Pour le moins qu'on puisse dire, le palmarès de la 69e édition du Festival international de Cannes a été contesté si l'on excepte la Palme d'or attribuée à «Moi, Daniel Blake» de Ken Zoach qui fait son entrée, dix ans après «Le vent se lève», dans le cercle fermé des doublement palmés. Il est vrai que son opus, quoique de facture classique, interpelle par son thème traitant de l'état du monde entre drames et misères à travers une chronique sociale qui dénonce les aberrations du système administratif anglais. Le cinéaste est un militant engagé contre le système néolibéral qui écrase les laissés-pour-compte d'un monde à la dérive où les plus fragiles et les plus démunis sont rejetés hors du système. D'ailleurs, le réalisateur anglais a toujours mis en garde le monde «contre les idées néolibérales qui risquent de nous mener à la catastrophe. Qui ont traîné dans la misère des millions de personnes de la Grèce au Portugal». Et de déclarer lors de la remise de la Palme qu'un autre monde est possible. Et même le cinéma social a été ainsi récompensé car dès l'entame du festival, le réalisateur australien Georges Miller, président du jury de cette 69e édition, avait prévenu durant la conférence de presse du jury : «Nos critères de choix privilégièrent les films qui traitent de l'état du monde». Or «Moi, Daniel Blake» en fait partie. Toutefois, on ne comprend pas que le magnifique et poétique opus du réalisateur américain Jim Jarmusch, «Paterson», soit totalement ignoré par le jury. A nos yeux, il méritait la Palme du cœur, mais pourquoi pas, aussi, la Palme d'or en ex aequo ou le grand prix qui a été attribué, étrangement, à «Juste la fin du monde» du Québécois Xavier Dolan qui, en mettant en scène de façon théâtrale une famille qui s'entredéchire gravement jusqu'à l'ennui le plus total, a déçu une bonne partie de la critique qui était divisée. Mais il faut dire qu'on était loin de la fraîcheur et de l'originalité de «Mommy», son avant-dernier opus pour lequel il a remporté en 2014 le prix du jury de Cannes. Le cinéma iranien doublement primé Les prix de la mise en scène a récompensé en ex-aequo le Français Olivier Assayas pour «Personal Shopper» et le Roumain Cristian Mungin pour «Baccalauréat». Si le deuxième fustigeant la corruption qui mine la Roumanie mérite son prix, tant il est maîtrisé si l'on excepte la fin par trop résignée, le deuxième, accueille par des huées et des sifflets à la projection. Presse pèche par un style fantastique sur fond d'un récit fumeux et d'un un jeu de comédiens hétérogène. Les scènes de cinéma façon surnaturel sont truffées d'effets spéciaux quant à eux trop visibles dans ce monde de l'invisible mis en scène par l'auteur. Voilà un prix injustement octroyé qui aurait pu récompenser «Paterson», mais il faudrait un jury de cinéphiles patentés pour que le film de Jarmusch ne soit pas carrément ignoré. En revanche, «American Hney» de l'Américaine Andrea Arnold a bien mérité la prix spécial du jury grâce à un road-movie décalé qui met en scène, certes quelques peu longuement, une jeunesse livrée à elle même dans un désert de valeurs et de sentiments, la fraîcheur du film et le thème traité l'ont favorisé pour rafler le prix du jury. Le cinéma iranien a été doublement récompensé, lors de cette édition, en recevant le prix du scénario pour «Le client» de Asghar Farhadi et le prix d'interprétation masculine pour Shahab Hosseïni. Voilà qui est, pour le moins, paradoxal tant le film péche jsutement par des failles dans le scénario et certains faits capitaux laissés dans l'ombre et restés peu clairs pour le public. On est franchement loin de la virtuosité de son avant-dernier film «Séparation». Le Prix d'interprétation masculin aurait pu, également, récompenser en ex aequo l'interprète de «Toni Erdmann», l'Autrichien Peter Simonischek. La caméra d'or a échu, cette année, à «Divins» de la Franco-Marocaine Houda Ben Yamina, un film de femmes sélectionné à «La Quinzaine des réalisateurs», énergique en diable, tragi-comique, se focalisant sur l'amitié de deux jeunes filles banlieusardes, Dounia (Oulaya Amamra) et Maimouna (Deborah Lukumuena), qui crèvent l'écran. On peut dire qu'une nouvelle vague du cinéma français est née. Enfin, la Palme d'or du court-métrage raflée par l'excellent «Time codé», de l'Espagnol Juanjo Gimenez, est amplement méritée tant cet opus séduit par la simplicité du propos et l'originalité de la forme dans une ode émouvante à l'art de la danse. Les oubliés du palmarès Pami les oubliés du palmarès, outre «Paterson», de Jarmusch, citons «Toni Erdmann», de l'Allemande Mare Ade, une comédie dramatique qui moque le monde du consulting avec panache, faisant l'unanimité aussi bien de la critique internationale que du public grâce à des moments tendrement comiques où un père tient à rendre un sens à la vie austère de sa fille. D'ailleurs, l'actrice Sandra Hiller (la fille) méritait bel et bien le prix d'interprétation qui a échu de manière surprenante à Jaclyn/Jose pour son rôle dans «Ma'Rosa» du Philippin Brillante Mendoza qui se braque, de manière par trop anecdotique, sur la corruption à Manille. «Loving» de l'Américain Jeff Nichols a séduit, en mettant en scène un couple empêtré dans une lutte féroce contre l'interdiction des mariages interraciaux, de manière sobre, mêlant la petite histoire à la grande histoire. Cela sans compter «Mademoiselle» du Sud-Coréen Park Chan-Wook, un thriller magistral. Enfin, si aucun film n'a survolé la compétition comme l'ont fait, par exemple, «La vie d'Adèle» du Franco-Tunisien Abdellatif Kechiche (Palme d'or en 2013), «Amour» de l'Autrichien Michael Haneke (Palme d'or en 2012), «Winter Sleep» du Turc Nuri Bilge Ceylan (Palme d'or en 2014), il n'en demeure pas moins que la compétition de Cannes 2016 était dans l'ensemble un bon cru cinématographique.