Sur les 28 cas examinés, 16 ont été abusés par leurs géniteurs dont quatre étaient contraints à vivre encore sous le même toit que leurs pères violeurs au moment de l'expertise pluridisciplinaire. La pédophilie commence à échapper de la sphère du silence et du tabou, à force d'actes de dénonciation et de traitement médiatique. Cette prédilection sexuelle atypique voire pathologique qu'ont certains adultes pour les enfants ne cesse de choquer l'opinion publique en raison de sa classification universelle parmi les crimes contre l'enfance ou la pédocriminalité. En 2008, le service de pédopsychiatrie à l'hôpital psychiatrique Razi, à La Manouba, avait démarré une étude à la fois prospective et descriptive, portant sur les abus sexuels sur les enfants. Cette étude a porté sur un échantillon représentatif de 28 enfants ; soit 15 garçons et 13 filles. Des expertises pluridisciplinaires ont été menées. L'étude a pris fin en décembre 2011, aboutissant ainsi à une série de constatations et de recommandations. La présente étude confirme l'étroite corrélation entre la cohésion familiale et la garantie du droit de l'enfant à la protection. En effet, grandir dans une famille disloquée, régie par des rapports conflictuels voire belliqueux, réduit nettement la chance pour l'enfant de jouir d'un processus développemental normal. Un tel environnement risque même de multiplier les facteurs de dangers menaçant la santé physique et psychoaffective de l'enfant. Et pour preuve, 52% des enfants expertisés vivaient tiraillés entre des parents divorcés. Treize enfants vivaient avec leurs mères alors que dix vivaient avec leurs deux parents. Parmi les 28 foyers en question, sept étaient marqués par la violence conjugale. Pour faire part de leur souffrance et de leur désarroi, la plupart des enfants victimes d'abus sexuels ( 17 enfants ) optent pour la personne la plus proche et sans doute la plus compréhensive et la plus digne de confiance, à savoir la maman. Seul un enfant sur 28 s'était confié à son père. Cet indice est lourd de sens. C'est que non seulement les pères ont généralement du mal à maîtriser leur impulsivité mais aussi parce que, sur les 28 cas examinés, 16 ont été abusés par leurs géniteurs. Les pères violeurs Il faut souligner que, pour les 28 cas étudiés, les abuseurs sont, tous, de sexe masculin. Ils sont tous également des personnes familières à l'enfant. Manifestement, les troubles de l'identité sexuelle touchent plus les hommes que les femmes. Cette perversion diffère d'un abuseur à un autre et d'un enfant à un autre. Selon cette étude, les abuseurs sont plus tentés par les garçons âgés entre cinq et sept ans ( 9 cas sur 15 )que par les filles et par les garçons en âge de puberté. En revanche, ils s'intéressent plus aux filles pré-pubères ou en début de l'âge de puberté, soit à partir de 12 ans ( 10 filles sur 13 sont âgées entre 13 et 16 ans ) qu'aux filles plus jeunes. Cela n'exclut point le recours de certains aux abus sur des enfants à l'âge préscolaire. L'étude en compte trois cas âgés de moins de quatre ans. Séquelles psychoaffectives et troubles comportementaux Entraînés dans une relation qui les rabaisse au statut de dominés, voire d'objets sexuels, lésés dans leur estime de soi naissante, dans leur intégrité corporelle et dans leur dignité, les enfants victimes d'abus sexuels sombrent dans un traumatisme complexe sans pour autant parvenir à le verbaliser. C'est à travers des signes psychosomatiques, des troubles du comportement que l'entourage averti et les experts peuvent déceler, dans des attitudes inhabituelles à l'enfant, son malaise, voire son mal-être. L'expertise pédopsychiatrique montre que sur les 28 cas examinés, 14 présentent des troubles du sommeil, 13 des difficultés scolaires et une humeur dépressive et 10 manifestent des troubles du comportement. Les séquelles psychoaffectives détectées chez les enfants en âge préscolaire se traduisent essentiellement par des troubles du sommeil, des troubles alimentaires, un avilissement du niveau de l'activité ou, au contraire, une hyperactivité et une irritabilité. Certains agissent et réagissent d'une manière agressive alors que d'autres, tétanisés par la peur, s'adonnent involontairement à des comportements phobiques. Les dires de l'enfant : traumatisme, mémoire et inexactitude Prendre en charge les enfants victimes d'abus sexuels n'est pas une mission aisée. Cette prise en charge implique tous les intervenants dont le cadre médical, éducatif, social et juridique. L'âge préscolaire de l'enfant représente une réelle contrainte pour les experts qui se trouvent confrontés à des dires souvent incohérents et incomplets. Ce n'est pas que l'enfant cherche à déformer la réalité. Mais c'est sa mémoire en développement qui ne l'habilite pas à retenir les faits centraux et les visages. Ce qui amène les intervenants, notamment les médecins cliniciens, à interpeller à maintes reprises l'enfant. Ce dernier se trouve dans l'obligation de répéter ses dires plusieurs fois. Las de devoir répéter le même récit poignant, ayant l'impression d'être incompris et probablement soupçonnés de mensonges, certains finissent par refuser de coopérer. Sur le plan juridique, plusieurs lacunes continuent à rendre la tâche difficile, dont l'absence de textes de loi fixant les questions qui devraient être posées aux experts. D'un autre côté, le non-accès des médecins et des experts aux dossiers juridiques entrave le suivi pluridisciplinaire des cas de pédophilie. Pis encore : le traitement juridique vient contrecarrer la prise en charge médicale clinique. L'étude montre que parmi les 16 enfants qui ont été abusés par leurs pères, quatre vivaient encore sous le même toit que leurs abuseurs au moment de l'expertise.