• Touché par la grâce d'une musique intemporelle qui a autant honoré les sonorités hispaniques que les variations tonales et modales du Maghreb, le public a franchi allègrement les passerelles aménagées dans la perspective d'une fusion des deux rives de la Méditerranée. Le concept de fusion des musiques espagnole et arabo-andalouse a mûri au fil des années, chez Syrine Ben Moussa qui est allée chercher son inspiration du côté du flamenco. Passerelles hispano-andalouses est un hommage à l'Espagne et aux trois pays du Maghreb du temps où ces quatre entités composaient les deux faces d'un même et grand empire. A l'initiative de l'ambassade d'Espagne en Tunisie qui a parrainé cette œuvre artistique, le spectacle donné vendredi sur la scène du Théâtre municipal, dans le cadre du festival de la médina, se veut comme un éloge au voyage des musiques et des cœurs, jadis unis, puis séparés par l'histoire. Syrine Ben Moussa est partie à la rencontre de ses origines andalouses par le biais d'une autre rencontre, celle des accents poétiques et lancinants d'Andalousie avec les rythmes fougueux et saccadés du flamenco de l'autre rive de la méditerranée. Ce fut un voyage de rêve, un véritable régal acoustique. Après l'aventure de «Entre deux rives» de 2009, la chanteuse poursuit sans faiblir cette enivrante expérience; elle est allée défricher un territoire musical élargi, puisant son énergie dans le terreau de ses racines, à la fois hispaniques et andalouses. La fulgurance du flamenco Astucieux était le choix de l'équipe orchestrale qui accompagnait Syrine dans ce nouveau voyage mené de main de maître par un professeur universitaire, Samir Becha, contrebassiste de talent. Dans un théâtre plein comme un œuf, la belle Syrine s'est présentée au public, assise avec son luth pour interpréter une série de pièces vocales suivies d'improvisations. A l'image de son concert, elle a fusionné les genres dans sa tenue vestimentaire (jupe espagnole à volant avec le haut en tissu traditionnel). Pendant son concert, elle a mélangé non seulement les genres, mais aussi les influences nées de ses multiples rencontres. Pour ne pas se figer dans une esthétique lourde et pesante, elle s'est recentrée sur les répertoires algérien et marocain, tout en gardant une oreille attentive aux courants espagnols. Son interprétation de Ya bent bladi ajbouni aïnik (Fille de mon pays, tes yeux m'ont séduit), Chahlet aâyani (Les yeux mordorés) ou La Tarara, un chant flamenco espagnol, était surprenante. Le public, conquis, a réagi avec beaucoup de naturel et d'instinct avec le répertoire de Hédi Jouini. Coup sur coup, elle a chanté Hobbi yetbaddel (Mon amour a beau changer), Sahretni (Sortilège) et Elyom galetli zine ezzine (c'est aujourd'hui qu'enfin la belle des belles s'est déclarée). Suave et chaude, légère et enjouée, la voix de Syrine a distillé des résonances d'un flamenco à déchirer le cœur. Une voix vouée à l'émotion avec juste ce qu'il faut de nuances et d'innocence pour éviter le déjà entendu. Ce cocktail était accompagné de tableaux de danse exécutés par une grande dame du flamenco, Melisa Calero Caro, qui a le don de subjuguer, fasciner et envoûter, tellement son ascendant sur le public est grand. La «cantaora» (ou la voix) était Nuria Martin. Artiste confirmée, elle s'est produite dans différents continents. Accompagnant Syrine, elle a chanté Fandango, chant de la Huelva qui exige qu'on se serve des mains pour battre la mesure et créer ainsi le rythme. Elle a également chanté Farruca du flamenco sévillan, puis des airs de tango et de flamenco, et enfin Tarara. Le guitariste José Torres, un garçon très sympathique, a joué avec vivacité et bonne humeur et en solo La vida va auserio (La vie c'est du sérieux), démentant ainsi l'entrain et l'ardeur des paroles. Par la suite, il a retrouvé ses deux compères espagnoles dans une danse Soleà. Entre changement d'ambiance, de lumière et, au finish, une fusion où tout le monde entre en scène, le spectacle auquel assistaient plusieurs diplomates dont les ambassadeurs d'Espagne et du Maroc, a été un des moments phare du festival. Chaleureusement applaudie et «bissée», Syrine Ben Moussa a dû revenir sur scène pour interpréter deux autres chansons de Hédi Jouini Lamouni elli gharou minni (Les envieux m'ont blâmé) et Samra (Brunette). Des instants d'une grande intensité émotionnelle qui ont scellé et marqué la partie ultime et peut-être la plus brillante du spectacle.