Il est à craindre qu'en annonçant la perspective d'un gouvernement d'union nationale, le chef de l'Etat ait lâché un tigre sans pouvoir le dompter après coup. Les exemples italien, libanais et belge vont dans ce sens. Remarquons au passage qu'il s'agit dans les trois cas précités de systèmes parlementaires éclatés et reposant sur des équilibres et marchandages partisans Toute nouveauté a un préjugé de bonne tenue. Seulement, les choses décisives se mesurent à l'aune de leur première lancée. Le dialogue initié il y a bientôt deux semaines sur la formation d'un nouveau gouvernement d'union nationale ne préjuge guère de quelque issue sinon miraculeuse du moins heureuse. Et pour cause. M. Béji Caïd Essebsi, président de la République, a annoncé l'impérieuse nécessité de la formation d'un nouveau gouvernement d'union nationale à la veille du Ramadan, c'est-à-dire il y a trois semaines. Depuis, ça piétine. Aux dernières nouvelles, les partis participant aux pourparlers ont été chargés de concevoir le programme du nouveau gouvernement. C'est dire qu'on commence par la fin en quelque sorte. Ce qui importe dans ce genre de situations, ce ne sont pas tant les partis en lice que la personnalité du chef du gouvernement. Le who's who en d'autres termes. Et cela est d'autant plus patent dans notre vécu politique immédiat que deux considérations majeures y président. En premier lieu, le gouvernement sortant, celui de M. Habib Essid, est bien un gouvernement de coalition gouvernementale réunissant les quatre partis ayant obtenu le plus grand nombre de sièges lors des élections législatives d'octobre 2014. Théoriquement, il dispose d'une confortable majorité parlementaire absolue de 179 sièges sur les 217 que compte le Parlement. Cela ne l'a pourtant pas empêché d'échouer. En d'autres termes, ce ne sont pas les superpositions des voix des partis majoritaires qui font le succès d'un gouvernement. En second lieu, le chef du gouvernement est bien, constitutionnellement parlant, la personnalité la plus puissante de l'édifice institutionnel gouvernemental et étatique. Dès lors, c'est la personnalité du chef du gouvernement qui importe le plus. Une personnalité qui doit être porteuse d'un programme économique et social aux contours précis et ne point céder aux chantages et exigences boutiquières des partis politiques. Pour l'instant, les machines partisanes se sont ébranlées en vue d'en imposer du leur. Ennahdha penche pour M. Chédli Ayari, l'actuel gouverneur de la Banque centrale. Or, il s'agit bien de l'un des acteurs majeurs de la grave crise économique et financière que traverse le pays dans le sillage de l'échec gouvernemental on ne peut plus évident. C'est même l'une des plus graves crises qu'ait connues la Tunisie moderne. Elle ressemble à bien des égards à ce qu'il en fut avec le gouvernement du Khaznadar entre 1862 et 1869. Surendettement étranger, pression fiscale intérieure, dévaluations successives du rial et corruption avaient achevé de mettre la Tunisie d'alors sous la coupe de la tristement célèbre Commission financière puis de l'occupation française directe. Aujourd'hui, la situation ressemble à celle du gouvernement du Khaznadar et de ses sbires. L'histoire se répète sous forme de tragédie. Et M. Chédli Ayari est bien l'une des figures majeures de cette banqueroute en bonne et due forme. Le président de la République penche, autant à lui, pour des hommes du sérail. Ce qui équivaut à fausser le plein jeu des institutions souveraines, si imparfaites soient-elles. Et les autres croient au père Noël et font accroire aux faiseurs de miracles. Dans ce jeu à géométrie variable, tout est pris en considération, hormis l'intérêt supérieur du pays. La partitocratie a montré ses limites, tant du temps des deux gouvernements de la Troïka (2011-2014) que de la coalition quadripartite à l'issue des législatives de 2014. Il est impérieux d'en tirer les bonnes conclusions. A trop vouloir être la synthèse, les partis finissent par devenir une erreur composée. Il est à craindre qu'en annonçant la perspective d'un gouvernement d'union nationale, le chef de l'Etat ait lâché un tigre sans pouvoir le dompter après coup. Les exemples italien, libanais et belge vont dans ce sens. Remarquons au passage qu'il s'agit dans les trois cas précités de systèmes parlementaires éclatés et reposant sur des équilibres et marchandages partisans catastrophiques, à l'instar du nôtre. Seule l'Italie en échappe depuis l'avènement de Matteo Renzi aux affaires. Et cela s'apparente bien au pantouflage. En France, le pantouflage est la possibilité pour un haut fonctionnaire de l'administration publique de passer dans l'entreprise privée. Chez nous, il consiste à phagocyter toute l'administration politique dans les coteries privées.