Des punitions physiques sévères sont infligées comme moyen de correction à 32,2% des enfants âgés de 2 à 4 ans et à 35,3% des enfants âgés de 5 à 9 ans ! L'écart entre le rêve d'enfant et la réalité s'avère être, dans bien des cas, démesuré. L'adoption par la Tunisie de la Convention des droits de l'enfant, l'élaboration du Code de protection de l'enfance et le travail inlassable des structures publiques et autres associatives pour la promotion du droit de l'enfant à la protection, au développement et à l'épanouissement se heurtent, souvent, à une équité défaillante, à une société irrespectueuse des droits de l'enfance et à un cocon familial atypique, dominé par la violence et par la négligence. La précarité, le non-accès aux services de soins, la malnutrition, la maltraitance, la mégarde, le non-droit à la protection et à l'éducation, sont autant de privations dont souffrent les enfants en Tunisie, à des degrés variables. Le rapport d'analyse de la situation pour le développement de la petite enfance en Tunisie, publié récemment par la Direction générale de l'enfance relevant du ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, en collaboration avec l'Unicef et la Banque mondiale—lequel rapport constitue une étape primordiale à l'élaboration d'une stratégie globale et multisectorielle pour le développement de la petite enfance— aborde, entre autres questions celle qui est relative à l'enfance menacée de dangers. L'analyse, menée par le Pr Faycel Ben Salah, met à nu la complexité d'un état des lieux préoccupant, car violent et incompatible avec les besoins et les droits de l'enfant. Un état des lieux alimenté par moult facteurs d'ordre économique, social, idéologique et culturel, lesquels facteurs dénotent aisément une politique socio-économique fondée sur l'iniquité, les disparités et la violence. Grandir dans la précarité Selon l'enquête sur la consommation, réalisée en 2010, bien avant la crise économique postrévolutionnaire, 25% des enfants âgés de moins de 18 ans vivent dans la précarité. Dans le milieu rural, la pauvreté infantile touche un enfant sur trois, en raison notamment du manque flagrant d'opportunités économiques, de l'infrastructure de base, de la mauvaise rémunération des métiers dégradants des ouvriers agricoles et du chômage. Dans le milieu urbain, elle correspond à 18% de la frange infantile, ce qui n'est pas peu ! Toutefois, malgré l'augmentation de la population précaire, vivant dans les quartiers défavorisés à l'intérieur et autour des villes, le dénuement s'avère être beaucoup plus saillant dans les régions du Centre-Ouest. Ainsi, 50% des enfants du Centre-Ouest sont-ils pauvres contre 12% des enfants du Centre-Est. Encore faut-il souligner que l'incidence de la pauvreté pour les enfants âgés de 0 à 5 ans est de 24,5%. Elle atteint les 27,5% chez les enfants de 6 à 11 ans. Manifestement, la disparité régionale, cette gangrène d'origine politique, joue au détriment du droit de l'enfant au bien-être, et renforce l'inégalité des chances entre les enfants tunisiens, les Hommes de demain. Privations : la liste est longue ! Par ailleurs, et d'après une étude réalisée par l'Unicef en 2014 et portant sur la pauvreté infantile en Tunisie, la précarité des enfants renferme en elle-même maintes privations, dont la privation d'un logement décent, de l'accès aux services médicaux, à la bonne nutrition, etc. La présente étude place la région de Sidi Bouzid en haut de la liste des régions marquées par les privations infantiles multiples, avec un taux choc de 50,5%. Pour ce qui est du droit à la bonne nutrition, il fait souvent défaut, aussi bien dans le milieu urbain que rural : dans le premier cas, et surtout dans les familles aisées, les enfants sont souvent victimes d'une malnutrition placée sous le signe de la boulimie. L'augmentation alarmante du taux de l'obésité infantile en dit long sur le recours à la malbouffe. Dans le milieu rural, en revanche, la malnutrition est synonyme de privation, de sous-nutrition. Le présent rapport souligne, en outre, le manque d'accès des enfants, notamment ruraux et ceux qui sont issus des régions du Centre-Ouest, aux services de santé ; une autre privation qui s'ajoute aux précédentes et qui est due aussi bien au manque des structures sanitaires qu'à l'insouciance des parents quant aux besoins sanitaires des enfants, notamment le besoin du suivi post-natal et de la vaccination. Encore faut-il mentionner d'autres privations qu'endurent les enfants dans les régions défavorisées et dans le milieu rural, dont la privation des moyens de loisirs, des structures d'éducation dédiés à la petite enfance pourtant essentiels à leur développement. Les enfants grandissent dans un environnement social dont la famille représente le noyau. Un environnement qui s'avère être hostile, voire dangereux car menaçant l'équilibre psychologique, affectif, cognitif et moteur de l'enfant. Le cocon familial, censé être le nid d'affection et de protection par excellence, requiert un aspect offensif. La violence à l'égard de l'enfance constitue une réalité, un vécu perpétré par les parents. Selon les chiffres de la délégation générale de protection de l'enfance et relatifs à 2015, le nombre de signalements d'enfants en situation de danger et en particulier d'enfants maltraités suit une courbe ascendante. En effet, quelque 1.583 signalements ont été recensés, dénonçant des pères violents ; 1.218 signalements contre des mères, et 1.466 contre les deux parents. Après le sevrage, la torture ! La violence à l'égard des enfants a fait, également, l'objet d'un volet consistant dans le cadre de l'enquête Mics 4. Ce travail a permis de montrer que 93,2% des enfants âgés de 2 à 14 ans ont dû subir, au moins une fois, une forme de punition psychique ou physique, dont 32% des punitions sévères. Pis encore : les punitions physiques sévères sont infligées comme moyen de correction à 32,2% des enfants âgés de 2 à 4 ans et à 35,3% des enfants âgés de 5 à 9 ans ! Un constat inquiétant vu l'impact redoutable d'une telle agressivité sur le développement de l'enfant. Ces indicateurs dévoilent une mentalité des plus hostiles et des plus menaçantes pour l'enfant ; une mentalité qui s'applique à près de 50% des parents, vu que 44% d'entre eux sont persuadés que la violence physique constitue le meilleur moyen de correction et d'éducation. D'où l'impératif de multiplier les actions de sensibilisation et d'information sur les séquelles que risquent d'endurer les enfants battus et maltraités aussi bien physiquement que moralement. L'encadrement des parents s'impose dans le but de les orienter vers les méthodes éducatives appropriées. Le rapport d'analyse de la situation de développement de la petite enfance a permis, en outre, d'examiner la situation des enfants «appartenant à des groupes socialement et économiquement marginalisés». Cette catégorie sociale infantile concerne les enfants communément appelés «enfants de la rue», les orphelins et ceux qui souffrent d'incapacités. Ces chérubins, livrés à la rue... Il faut dire que la question des enfants de la rue a été longtemps considérée comme un thème tabou car susceptible de mettre à nu l'impertinence de la politique sociale, particulièrement celle destinée à la catégorie infantile. La documentation sur cette catégorie sociale demeure timide. Toutefois, dans une étude réalisée par l'Unicef en 2008, et portant sur un échantillon de 592 enfants en situation de rue, l'on constate que 23% d'entre eux sont âgés de moins de cinq ans. Ainsi, la petite enfance tunisienne se trouve, dans bien des cas, pour des raisons sociales, économiques et structurelles, livrée à son propre sort, dépourvue de toute protection et des facteurs élémentaires à son développement. Ces enfants sont acculés à la mendicité, à l'exploitation sexuelle, économique et à être intégrés dans les réseaux criminels, sinon dans la délinquance chronique. Ont-ils choisi leur vie? Ont-ils décidé de leur sort ? La réponse ne peut qu'être négative... Les «orphelins sociaux» et les substituts de la chaleur familiale S'agissant des enfants orphelins, il est important de rappeler que la définition conventionnelle de ce statut correspond à tout enfant dont l'un ou les deux parents sont décédés. Cependant, une appellation plus judicieuse qualifie tout enfant dépourvu de soutien familial et de protection parentale d'«orphelin social». La plupart des orphelins sociaux sont le fruit de relations sexuelles établies hors mariage, ce qui les contraint à l'instabilité familiale et sociale. Les statistiques montrent qu'annuellement, l'on enregistre entre 1.000 et 1.500 naissances hors mariage. Certes, 95,2% des orphelins sociaux de moins de cinq ans vivent avec leurs parents biologiques, 4,7% avec leurs mères, 0,8% avec leurs pères. Néanmoins, 0,3% d'entre eux sont délaissés par leurs parents et 0,8% sont orphelins au vrai sens du terme. L'Institut national de protection de l'enfance se charge des orphelins et des orphelins sociaux jusqu'à l'âge de six ans. Selon les données relatives à 2013, 19,5% des enfants pris en charge par l'Inpe ont été adoptés, 5,9% ont bénéficié du parrainage ou «Kafela» et 24,8% ont été placés dans des familles d'accueil. Alors que 23,2% ont eu la chance d'être récupérés par leurs parents. Pour ceux qui sont sans soutien familial et n'ayant pas été récupérés par leurs parents ou par des familles d'accueil, ils sont placés à S.O.S village ou encore dans des unités de vie relevant de certaines ONG. Ces solutions plus ou moins salvatrices ne sont pas accordées, en revanche, aux enfants orphelins souffrant de handicap. Ce qui pousse l'Etat à les placer au Centre socio-éducatif pour personnes handicapées et privées de soutien familial à Sidi Thabet. Quant aux enfants souffrant d'incapacités ou de handicap, le présent rapport montre que cette population à besoins spécifiques correspond à 4,6% de la population infantile dont 1,4% est âgée de moins de six ans. Il est également utile de souligner que 47,8% des handicaps sont d'origines périnatales et 32,7%, d'origines postnatales. Le rapport montre, en outre, que le nombre d'enfants infectés ou affectés par le VIH/sida est minime et se limite, selon les données fournies par la direction des soins et de santé de base, à cinq cas annuels.