«Il ne faut pas se limiter uniquement aux cotisations qui sont à la charge de l'assuré et de l'employeur, mais il faut envisager d'autres solutions en créant, à titre d'exemple, des taxes affectées à la sécurité sociale comme c'est le cas en France ou en mettant en place une contribution sociale généralisée, tout en préservant les systèmes par répartition», selon M. Kamel Maddouri, le directeur de la sécurité sociale au ministère des Affaires sociales Les caisses nationales de sécurité sociale tunisiennes (Cnss, Cnrps et Cnam), en collaboration avec le Bureau de liaison de l'Association internationale de la sécurité sociale (Aiss) pour la région de l'Afrique du Nord, ont organisé, mardi dernier, à Hammamet, un séminaire technique sur le thème «les réformes des systèmes de retraite et d'assurance maladie: problématiques et défis». Selon M. Mohand Saïd Zaïdat, officier de liaison et coordinateur de l'Aiss pour la région de l'Afrique du Nord, les institutions de sécurité sociale de la région sont confrontées à plusieurs défis d'où la nécessité d'engager des réformes et de nouveaux mécanismes pour y faire face. «Vous savez, l'Aiss est une ONG qui œuvre et travaille pour la promotion de la sécurité sociale afin d'arriver à mieux administrer et à élargir la couverture sociale à toute la population, surtout pour les pauvres. Notre objectif est d'atteindre l'excellence au niveau de l'administration et la gestion de manière efficace et efficiente de la sécurité sociale. L'Aiss émet les lignes directrices que les caisses essaient d'appliquer à l'échelle nationale et l'Aiss accompagne les institutions membres pour la réussite de l'application de ses directives», précise-t-il. Partager les expériences Toujours d'après M. Zaïdat, le thème de ce séminaire n'a pas été choisi de manière fortuite. En effet, il répond aux contraintes qui existent actuellement dans la région: le vieillissement démographique, l'émergence des maladies épidémiologiques et la nécessité de maintenir un équilibre financier dans la gestion des caisses sociales d'où l'impératif de mettre en place de nouveaux mécanismes de financement. «L'Aiss encourage ce genre d'événements afin que les caisses nationales puissent partager leurs expériences. Cet espace profite aux différents organismes pour repérer les experts avec lesquels peuvent nouer des contacts et établir des collaborations», ajoute-t-il. Un avis partagé par M. Haddam Tidjani Hassan, directeur général de la Caisse nationale d'assurances sociales (Cnas) en Algérie et président du comité directeur de bureau de liaison de l'Aiss pour la région de l'Afrique du Nord, qui pense que vu le contexte épidémiologique et la transition démographique, les ressources des caisses de sécurités sociales vont se tarir petit à petit si nous continuons à gérer sans prévoir. «Toutes les études actuarielles qui font des projections dans l'avenir avec la diminution de l'offre de l'emploi vont, dans un temps plus ou moins long, mettre en péril les systèmes de sécurité sociale dans les pays du Maghreb et, par conséquent, nous sommes avec cet atelier pour nous pencher sur cette problématique et la pérennité du système de retraite pour voir quelles sont les lignes directrices à faire adopter pour la région de l'Afrique du Nord afin de trouver d'autres sources de financement et réadapter nos systèmes», fait-il savoir. Chez le voisin algérien, les mêmes défis à relever Toujours selon le DG de la Cnas, les systèmes de sécurité sociale afin qu'il soient pérennes, ne peuvent rester viables s'ils continuent à être tributaires uniquement des cotisations des assurés sociaux. Il faut d'autres sources de financement (augmentation de la TVA, par exemple). «Nous militons en Algérie comme dans d'autres pays de l'Afrique du Nord pour qu'il y ait l'équilibre et la pérennité du système. Chez nous, en Algérie, nous sommes en train de revoir le système de retraite car nous ne pouvons pas continuer avec le système actuel qui est très large et très avantageux pour nos travailleurs. Nous sommes en train de le refondre et nous ne pouvons plus garder l'âge de la retraite à 60 ans», renchérit-il. Pour ce qui est de la Tunisie, le directeur de la sécurité sociale au ministère des Affaires sociales, M. Kamel Maddouri, pense que ce genre de séminaires reste une excellente opportunité qui vise essentiellement à détecter les défis et les contraintes en matière de déséquilibres des régimes de retraite et d'assurance maladie dans un contexte maghrébin, d'où l'importance de penser ou de trouver des solutions adaptées au contexte régional. «Il ne suffit pas d'importer des recettes prêtes pour introduire des réformes. Actuellement en Tunisie, il y a des contraintes énormes en matière d'équilibre des régimes de retraite, notamment dans les secteurs public et privé. Pour l'assurance maladie ça tient encore un peu à l'équilibre grâce aux régimes d'accidents de travail et de maladies professionnelles, mais il y a des transitions épidémiologiques et démographiques. Nous vivons dans une société qui s'achemine avec une vitesse très accélérée vers le vieillissement démographique d'où le déséquilibre au niveau du ratio démographique», souligne-t-il. Diversifier les ressources de financement des caisses Aujourd'hui, selon M. Maddouri, le nombre des actifs qui travaillent pour financer la pension d'un retraité est largement inférieur à celui des années précédentes d'où l'obligation de trouver des solutions d'urgence et de réformer le système de sécurité sociale comme cela était inscrit dans le contrat social qualifié par certains comme étant une constitution sociale. Ce contrat,signé entre les gouvernements et les partenaires sociaux (Ugtt et Utica), prévoit, en effet, une révision globale des régimes de retraite avec une diversification des ressources de financement. «De ce fait, il ne faut pas se contenter uniquement des cotisations qui sont à la charge de l'assuré et de l'employeur, mais il faut créer un espace et des niches fiscales avec la préservation des systèmes par répartition», précise-t-il., rajoutant, par ailleurs, qu'il existe une sous-commission qui travaille pour la révision et la réforme du système de sécurité sociale. «Malheureusement, je ne vous cache pas qu'il y a un petit retard dans les travaux de cette dernière qui a tendance à travailler avec un rythme un peu lent. La situation est tellement grave qu'on ne parle plus de réformes, mais plutôt de sauvetage des caisses de sécurité sociale». Le représentant du ministère des Affaires sociales tunisiennes pense qu'il serait judicieux de s'inspirer du système français qui est identique au nôtre (un système par répartition). Contrairement au modèle tunisien, ce système est financé uniquement à 60% des cotisations qui sont à la charge de l'assuré et l'employeur alors que le reste (40%) provient de la fiscalité . «La TVA sociale a connu aussi son essor dans les pays scandinaves et l'Allemagne. Donc il est temps de mettre en œuvre les consignes mentionnées dans le contrat social tout en préservant l'équilibre entre la compétitivité des entreprises, les charges sociales et le pouvoir d'achat», lance-t-il. Divergences dans les approches Quant au bras de fer opposant l'Union générale tunisienne des travailleurs (Ugtt) et le gouvernement concernant le recul de l'âge de la retraite, M. Maddouri avoue qu'il a une «petite divergence» dans l'approche des deux partenaires. «Le ministère des Affaires sociales estime que le recul de l'âge de la retraite est nécessaire, mais insuffisant. On est dans l'obligation de retarder l'âge de départ à la retraite parce qu'aujourd'hui l'espérance de vie en Tunisie est de 75 ans alors que l'âge du départ à la retraite est à 60 ans. Avec la péréquation et d'autres mesures qui consacrent la générosité du système de retraite dans le secteur public, cette réalité contribue effectivement à une hémorragie financière», fait-il savoir. Il renchérit : «Nous restons optimistes surtout avec la reprise dernièrement des concertations car même les partenaires sociaux sont obligés de trouver des solutions. Nous sommes des partenaires et l'Ugtt a déjà présenté des solutions . Mais je le rappelle, la situation est tellement grave qu'on n'a pas le luxe de s'éterniser dans cette polémique». Enfin, le président directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), M. Béchir Irmani, a confié à La Presse de Tunisie qu'après dix ans de service, son institution a entamé une phase d'évaluation pour permettre de dresser les lignes stratégiques afin d'améliorer la prise en charge et l'assurance maladie dans nos contrées. «Cette évaluation a pour finalité de déterminer les ajustements nécessaires qu'on va apporter au système parce qu'il y a tout un projet et une batterie de mécanismes de financement à mettre en place pour améliorer la prise en charge dans le cadre d'un élargissement de la couverture sociale. Le système de la Cnam ne nécessite pas essentiellement des réformes, on est plutôt dans une situation qui nécessite une évaluation et une révision des objectifs», déclare-t-il. Cnam : 40 millions de dinars pour la «carte vitalité» Le P-dg de la caisse nationale d'assurance maladie a aussi annoncé qu'un budget de 40 millions de dinars a déjà été alloué pour la création d'une carte de soin électronique, la tant attendue «carte vitale», qui va remplacer le carnet actuel de la Cnam. Cette enveloppe inclut aussi l'acquisition des «lecteurs de cartes qui seront fournis gratuitement à tous les prestataires de soins» et reliés directement aux bases de données de la Cnam et à un système numérique. Rappelons que cette carte à puce regroupera toutes les informations nécessaires de l'adhérent et elle ressemblera à une carte bancaire qui va contribuer à simplifier les procédures de prise en charge aussi bien pour les adhérents de la caisse, les prestataires de soins et les intervenants de la Cnam. «Ainsi, l'affilié social qui se présente chez son médecin, pharmacien, dentiste, ou autre, aura une idée en temps réel de la mise à jour du plafond Cnam, après les soins promulgués ou les médicaments dispensés par les prestataires de soins», précise une note de la Cnam. Selon M. Irmani, cette carte sera une solution pour mettre fin aux dépassements des plafonds et aux irrégularités qui entachent le système de l'assurance maladie. Et «grâce à un mot de passe, chaque assuré peut consulter certaines informations et pourra, en cas de besoin, procéder au changement de la filière, du médecin de famille du code PIN», lit-on dans une note informative.