La Médina ce soir-là (samedi 4 septembre) brillait de mille feux. Les rues étaient éclairées et sur chaque place un groupe de musique poussait la chansonnette. Plusieurs échoppes ont ouvert leurs portes et placé quelques chaises et tables pour accueillir les badauds. Sur l'esplanade du musée Kheireddine, une petite scène accueille un groupe de rock et, dans un coin, on vend des briks et des sucreries. Cette scène que nous décrivons est probablement une première dans l'histoire de la Médina de Tunis. Jamais cette cité n'a été autant animée. Et voilà que des dizaines, voire des centaines de jeunes, qui boudaient autrefois le festival de la Médina, considéré comme vieillot, affluaient de partout. S'attroupaient devant les artistes. Mais, surtout, venaient passer la soirée avec le groupe Gaâda de musique «afro-gnawi»de Tlemcen. Tout le monde sait que la jeunesse tunisienne est férue de ce genre de musique et qu'elle est même connaisseuse quand il s'agit de ces artistes algériens qui explorent avec doigté le patrimoine sahraoui de chez eux. Et même si les habitués du festival de la Médina semblent préférer le tarab à l'orientale, on a pu constater de visu à quel point la musique populaire de nos voisins peut attirer un public longtemps ignoré par le festival de la Médina. Devant l'entrée des jardins du palais Kheireddine, deux jeunes, portant l'un le tee-shirt du Croissant-Rouge et l'autre celui de l'Association de lutte contre le sida, nous accueillent avec une brochure de sensibilisation pour une campagne commune auprès des jeunes pour agir ensemble contre les maladies sexuellement transmissibles. Venons-en au concert. Dès que ce groupe de six garçons et une fille (Aïcha) apparaît sur scène, et à peine les premières notes sorties de leurs instruments, le public se dresse d'un coup et entre dans une danse sans répit qui durera jusqu'à la fin du concert. « Gaâda » est un groupe qui a choisi la tradition revisitée comme identité musicale. Cette musique typique des processions se termine avec une cérémonie où le maître arrache à une guitare sommaire, pourvue d'une seule corde (le gobri), une mélopée envoûtante à laquelle répond en contrepoint le son des karkabous. Peu à peu, des rangs des spectateurs émergent des danseurs ou des danseuses. Le mouvement est d'abord gracieux, puis saccadé, pour se terminer en transe libératrice. Ce sont, en fait, des instants où l'Afrique noire s'invite dans l'Afrique blanche jusqu'à faire corps avec elle. Et heureusement que cette tradition se perpétue à travers des groupes comme Gaâda, avec une proposition musicale pointue qui rompt avec la vision étroite d'une simple musique exotique pour donner une musique vive et souple : des rythmes arabo-berbères, des chants mystiques, des fresques musicales teintées de blues. Le souffle ancestral allié à la fête ! C'est également la quête d'un équilibre entre la section rythmique « moderne » et l'opulence sonore des instruments africains. Calmement d'abord, pour ne point faire de la musique une arme qui effraie, puis en crescendo, le rythme de la musique de Gaâda se fait de plus en plus envoûtant, comme pour accompagner le mélomane vers une élévation, vers l'extase. Vers l'atteinte impossible de l'infini, de la spiritualité. Une véritable thérapie qui se termine, selon la perception de chacun, par une transe. La voix de Aïcha, la seule femme du groupe, est un don de la nature. Une voix qui ne ressemble à aucune autre, aux intonations aiguës qui, à chacune de ses interventions vocales, donne la chair de poule à l'assemblée tant sa voix évoque l'infini et l'insaisissable. Un moment magique a eu lieu durant ce concert : le groupe a partagé sa musique, une fusion teintée de jazz, de blues et de gnawi qui transporte à chaque fois les spectateurs dans un délire total, et ce, en répondant avec des youyous et de la danse. En réalité, la musique de Gaâda n'est pas seulement conçue pour divertir. Le leader du groupe le souligne: « Notre musique porte un message et ce message est celui de la paix et de la prospérité. » Le groupe est composé de Abdelaâti Laoufi, au chant et à la percussion, de la splendide Aïcha Lebgae, également au chant et à la percussion, de Tayeb Laoufi, au violon, au chant et au guembri. On retrouve aussi, à la derbouka, Amar Chaoui, à la batterie, Hervé Le Bouche et, enfin, à la basse, Pierre Eric. Il a interprété une quinzaine de chansons anciennes et nouvelles, dont Soub'han Allah, Sidi Rnim et Ya louled rah el lil. Un hommage à Ness El Ghiwane et, bien entendu, à leur chanson la plus connue « Benbouziane ». Un répertoire que le jeune et dynamique public en transe connaissait par cœur. Une soirée magnifique qui montre qu'il y a d'autres musiques et d'autres publics que celui des qoudoud halabiya et mélodies orientales. A bon entendeur !