Le bien public (trottoir) change de nature et de vocation, en devenant un bien privé à usage commercial. Le paysage urbain tunisien change de mal en pis. Et l'inquiétant c'est que cette laideur est généralisée. Que vous soyez dans un village ou dans une ville, un quartier populaire ou un quartier résidentiel, une rue ou une avenue, les chaussées et les trottoirs connaissent l'anarchie la plus totale. Nous gardons tous le mauvais souvenir du spectacle désolant de l'après 14-janvier, où le centre-ville de Tunis était transformé en un immense marché aux puces. Et même si les autorités municipales y ont mené des campagnes contre les installations anarchiques, ce fléau n'a pas été complètement éradiqué puisqu'il en subsiste encore et en grand nombre. C'est-à-dire que beaucoup reste à faire. Alors, si telle est la situation en pleine capitale, on ne peut s'étonner que ce phénomène soit amplifié ailleurs, à sa périphérie et dans les autres villes du pays. Le fait que les autorités prennent conscience de la gravité de ce fléau et qu'elles agissent en conséquence pour essayer de réprimer ce comportement incivique est certes louable. Seulement, pour que cette action soit vraiment salutaire et qu'elle apporte ses fruits, il est indispensable qu'elle soit généralisée, en ce sens qu'elle s'applique indifféremment à tous les contrevenants, sans distinction aucune. L'astuce L'action menée par plusieurs municipalités, qui ont enfin daigné réagir après l'initiative citoyenne «libérez le trottoir», a suscité un soulagement et un engouement chez les citoyens qui l'ont applaudie et soutenue inconditionnellement et continuent à le faire. Comment ne le feraient-ils pas si cela participait à mettre de l'ordre dans leur environnement, qui s'est considérablement dégradé, et permettrait d'améliorer leur quotidien. Le désordre est tel qu'ils éprouvent toutes les peines du monde à se déplacer à pied dans les rues où ils peuvent passer un temps considérable rien que pour parcourir quelques centaines de mètres. Le problème est d'autant plus inquiétant que ce ne sont pas seulement les marchands ambulants qui bloquent le passage, mais aussi et surtout les cafetiers et les restaurateurs. Et le pire c'est que certains ne se contentent plus de transformer les trottoirs en des terrasses ouvertes, mais les annexent, carrément, à leurs locaux pour en faire des salons ou des terrasses fermées. Ainsi, le bien public change de nature et de vocation, en devenant un bien privé à usage commercial. N'en déplaise aux piétons !. Ce tohu-bohu règne partout, où que vous alliez. D'ailleurs, contrairement à ce que l'on pourrait penser, cet état d'anarchie dans certains quartiers chics est de loin beaucoup plus important que dans les quartiers de rang inférieur, réputés être les champions du désordre. Elégance et ordre ne riment pas toujours ensemble. Détrompez-vous ! C'est le cas, par exemple, du Lac I et II, et en particulier ce dernier. Et pour bien saisir cette anomalie, il faut s'y promener à pied. C'est à travers les trottoirs qu'elle apparaît dans toute sa dimension. Effectivement, bien qu'ils soient larges d'une dizaine de mètres, on trouve beaucoup de difficultés pour y marcher tellement il y a d'obstacles. Ces derniers sont aussi nombreux que variés, donnant à ces trottoirs un aspect assez étrange. Les emprunter vous oblige à suivre une ligne sinueuse comme si vous étiez engagés dans des chemins labyrinthiques. Soit qu'ils rétrécissent pour devenir des allées étroites ne permettant le passage que d'une ou deux personnes, soit qu'ils sont entièrement squattés, ce qui oblige les piétons à marcher sur la chaussée. Dans ces endroits chics, vous trouvez des commerces exigus de 3 ou 4m2 mais qui, grâce au trottoir, s'étendent en long et en large pour devenir très spacieux avec des superficies triplées ou quadruplées. Voici un bon tuyau et une astuce pour les chasseurs de bonnes affaires. Ils n'ont qu'à acheter un petit local et y incorporer le trottoir. Autrement dit, ils peuvent devenir propriétaires de grands locaux commerciaux dans ces quartiers huppés, où le prix du mètre carré est exorbitant, moyennant des investissements modestes. Alors, il est grand temps d'en finir avec ce laisser-aller, ces pratiques frauduleuses et ces escroqueries qui nuisent considérablement à l'intérêt général. Que les autorités municipales locales interviennent là aussi pour faire respecter la loi et mettre un terme à ces dépassements flagrants préjudiciables aux nombreux piétons qui ont besoin d'espace pour se sentir à l'aise et se promener tranquillement, sans que l'on entrave la liberté de leurs déplacements dans ces lieux de détente et de relaxation! Sévissons contre tous ces violateurs de la loi là où ils se trouvent et quel que soit leur statut social !