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« La révolution est un oiseau dont on a coupé les ailes »
Entretien avec Jelila Hafsia, journaliste et ecrivaine
Publié dans La Presse de Tunisie le 24 - 11 - 2016

Pionnière de l'animation culturelle dès les premières années de l'indépendance, elle a dirigé les centres Place Pasteur, le club Tahar-Haddad et l'espace Sophonisbe. Jelila Hafsia est également auteure et journaliste. Passionnée de lecture et d'écriture, passionnée tout court, c'est au milieu de ses livres et bibelots, son objet fétiche étant la chouette solitaire, qu'elle nous ouvre les portes de son univers. Quelques photos, discrètement posées, de voyages officiels, avec des personnalités tunisiennes et internationales, témoignent de la richesse de son parcours. Une femme qui a vécu en phase avec son idéal, munie de sa dignité sans jamais baisser la garde. Atypique lorsqu'il n'était pas de bon ton de l'être. La Presse, à travers cet entretien, lui rend hommage
Avez-vous fait ce que vous avez projeté de faire dans votre vie professionnelle ?
Sans orgueil ni prétention, mais en pensant à la finalité de ma vie, je pense que la réponse est positive. Ce que j'avais envisagé de faire, je l'ai réalisé. Le fait de vivre seule, le fait même que je ne dois rien à personne. J'ai fait de ma vie ce que j'ai voulu qu'elle soit. J'ai voulu être libre, j'ai voulu voyager, j'ai voulu créer des choses, et être avec les autres. Mais on porte tous en soi des rêves qui ne se réalisent pas, sinon ce serait merveilleux.
Vous avez parlé de l'écriture comme élément majeur de votre vie, de quelle manière ?
Les livres et l'écriture ont toujours été pour moi le fil conducteur de ma vie. Toute jeune, je cultivais déjà une passion pour les livres. J'ai eu la chance de naître dans un milieu où le livre était à notre portée. J'ai été initiée naturellement, sans avoir à déployer des efforts. Par la suite, ma chance c'est d'avoir eu à exercer un travail qui m'a permis de réaliser ce rêve de rencontrer des créateurs, d'écrire et de lire. Lorsque j'ai commencé à me poser des questions, je commençais aussi à lire d'autres auteurs qui m'ont bien devancée et qui ont marqué leurs siècles, qui se sont battus et ont réalisé des rêves, pas seulement au niveau de l'écriture mais en défendant des causes, comme la condition de la femme. Je peux dire maintenant que lire et écrire sont les deux éléments les plus importants de ma vie, mais non pas, hélas, en écrivant des chefs-d'œuvre.
Parlez-nous de vos livres ?
Au départ, j'avais écrit « Cendres à l'aube » qui est largement autobiographique. Ce livre m'a permis de sortir d'un gouffre dans lequel je me trouvais, que je portais en moi. Quelque part ce livre a été un libérateur.
Dans votre collection « Instants de vie » parue en sept tomes, vous consignez votre quotidien mais également l'actualité politique nationale, internationale, que vous commentez parfois, pourquoi relier le personnel au général ?
Je me suis toujours intéressée à tout ce qui se passait dans le monde, j'ai toujours acheté les journaux, écouté la radio. Dans le parcours de ma vie, j'ai rencontré des hommes politiques tunisiens, des députés français et non des moindres, et j'ai assisté à des événements politiques, j'étais mariée avec un avocat qui était au parti. De tout temps, j'ai été confrontée au domaine politique en tant qu'observatrice uniquement. Je n'ai jamais été tentée par ce domaine que j'aurais pu intégrer facilement par le concours des circonstances de la vie. Mais, à mon avis, si la condition de la femme avance quelque part, elle avance partout, si elle recule quelque part, elle recule partout. Pour moi, le monde a toujours été un tout. Je n'ai pas divisé le monde en sociétés avancées et en tiers-monde. C'est faux ! Les questions majeures sont liées par la société mondiale.
Le livre « La Ligne d'espérance » est une série d'entretiens. D'habitude, vous êtes seule, entre vous-même et la feuille blanche. Cette fois-ci, vous vous êtes prêtée au jeu des questions-réponses. Vous vous êtes confiée parfois, racontez-nous cette expérience ?
C'est avant tout l'idée de l'auteure, même si d'autres me l'avaient demandé par le passé, j'ai toujours refusé. Neila Jrad est mon amie depuis très longtemps. Elle a une grande culture et je lui fais confiance. Elle a posé ses questions, j'ai répondu, sauf pour ce qui concerne le chapitre vie privée, elle a compris que je n'irai pas plus loin.
Dans vos livres, justement, vous nommez certaines personnes, mais le plus souvent, vous employez la troisième personne du singulier. C'est à leur demande, ou par pudeur ou cela procède d'une démarche ?
En réalité, c'est ma propre démarche. Les personnes citées sont le plus souvent des ami (e)s dont je connais, le plus souvent, tout de leur vie. La réciproque est vraie. Mais cette pudeur, je la porte en moi, je ne peux aller plus loin dans la vie privée des êtres. Je la respecte comme je demande aux autres de respecter la mienne. Je ne pense pas que ce voyeurisme ajoute quoi que ce soit à la dimension politique ou littéraire ou autre d'une personne, et je me suis toujours abstenue de poser des questions qui pourraient déranger.
Jelila Hafsia est journaliste, racontez-nous votre histoire avec le journalisme et avec le journal La Presse ?
Lorsque j'ai commencé à travailler en 1966, le prix français des « Quatre jurys » se réunit une fois seulement par an, et tous les ans dans un pays différent. C'est un prix qui a circulé dans le monde entier. Les jurys se sont réunis en Tunisie et c'est Albertine Sarrazin qui avait eu le prix pour son livre « L'Astragale ». A ce moment-là, Albertine Sarrazin était interdite de sortir de France. Chedly Kelibi, ministre de la Culture, avait téléphoné à André Malraux, ministre de la Culture en France, pour lui demander de permettre à l'écrivaine de venir en Tunisie pour recevoir son prix. Avant que le prix ne soit décerné, Mohamed Ben Ismail, qui venait de lancer la revue Carthage m'a demandée de lui faire un article sur le livre primé. J'ai refusé, je n'ai pas l'habitude d'écrire des articles, il m'a presque forcé la main. Donc j'ai fait mon papier, le lui ai donné, il a dû enlever une phrase d'en haut et une autre en bas, et l'a publié. A partir de ce moment, l'envie d'écrire des articles s'est faite pressante et je me suis dit mais pourquoi pas ? Je suis allée voir le directeur de La Presse, Amor Belkhiria, paix à son âme. Il ne faut pas oublier que c'était au début de l'indépendance et que tout était possible, et je lui ai proposé ma collaboration. Si Amor m'avait posé la question sur quoi voulez-vous écrire ? J'ai répondu spontanément, faire des critiques de livres et parler des femmes. A partir de ce moment, j'ai rempli des pages entières sur la question de la femme au travail. J'ai fait beaucoup de critiques de livres. J'ai tenu une rubrique. C'était ma passion, et je tiens à le souligner, j'ai été très heureuse à La Presse, j'aime beaucoup tous ceux qui y travaillent, il y a eu quelques problèmes, mais je ne souhaite garder que les bons souvenirs. Je travaillais tellement et avais une forte responsabilité, La Presse représentait un lieu et un moment de détente et de bonheur. J'aimais ce milieu.
Vous avez collaboré pendant combien de temps avec La Presse ?
Très longtemps, et c'est moi qui ai quitté le journal, ils ne m'ont jamais révoquée. Au moment où j'ai eu des problèmes à l'espace Sophonisbe vers la fin de 1999 avec l'ancien régime et précisément avec Ben Ali. J'ai donc décidé de quitter le journal et la radio, parce que tout se tient, enfin, non pas dans un régime démocratique. Mais je tiens à ma dignité, je respecte les autres et je demande à être respectée. Mais pour dire les choses comme elles sont, personne n'est venu me dire quoi que ce soit à La Presse. Mais j'avais tiré un trait sur tout. Je ne pouvais plus supporter ce monde. Avec le recul et surtout par honnêteté intellectuelle, j'aurais dû en parler avec les gens de La Presse et expliquer ma position. Mais je ne l'ai pas fait.
Avez-vous des regrets ?
Non je n'ai aucun regret, arrive un moment où il faut savoir partir. Et surtout, il y a un moment où il faut savoir garder sa dignité. Perdre sa dignité, c'est-à-dire ne plus exister.
On perçoit parfois dans vos paroles de l'amertume, lorsque vous évoquez les hommes mais surtout les femmes qui ont pris leur envol à partir des espaces que vous avez dirigés, et qui aujourd'hui, installées dans la vie publique, ne prennent pas la peine de se souvenir de vous. Est-ce bien le cas ?
Dans les trois espaces que j'ai dirigés, Place Pasteur, Tahar Haddad, ou espace Sophonisbe, j'ai toujours invité les femmes de tous bords, de gauche et de droite. Je ne l'ai pas fait pour attendre de la reconnaissance en retour. Je garde simplement le souvenir de toutes ces femmes et de cet élan que nous avions en commun pour des idéaux, comme la libération de la femme. C'est tout ce que je retiens, chacun fait sa vie.
Nous allons lever un coin de voile sur votre vie privée et vous laisser libre de nous en parler à votre guise, accepteriez-vous de le faire ?
Dans la vie, peut-on dire que nous avons réussi ? Cela me paraît aberrant. Mais si je regarde en arrière, je ne regrette rien. Ma vie a été linéaire. J'ai réalisé, après deux ou trois expériences à travers lesquelles il n'y avait aucune raison pour que je ne sois pas bien dans ma peau, que quelque chose me manquait. C'est le jour où j'ai habité seule, décidant qu'il n'y aura plus personne que je me suis sentie bien. Ce qui signifie qu'au fond, je suis une solitaire. Et je n'ai plus éprouvé le besoin de vivre avec quelqu'un. Je ne rejette pas les autres, mais pour mon équilibre, pour écrire, j'ai besoin d'être seule. J'ai pris cet appartement, il venait d'être construit. Je l'ai pris seule et je ne dois rien à personne. Le jour où j'ai mis la clef dans cette porte, j'ai compris que j'étais libre. Mais entendons-nous bien, personne n'est libre en réalité. Quoi qu'il en soit et sur ce petit chemin que représente ma vie, je me suis sentie libre. Dans la mesure où un être humain s'assume économiquement, il est libre. Nous avons besoin des autres, du reste. Nous avons besoin d'aimer et d'avoir des amis. La vie, c'est un tout.
Vous avez traversé plusieurs époques, si on vous demandait de porter un regard sur la période actuelle, sur ce que les Tunisiens produisent en matière d'art et de culture, quelle est votre perception de l'atmosphère intellectuelle et artistique qui règne aujourd'hui en Tunisie ?
Regarder en arrière n'est pas toujours bien. Mais je ne peux m'empêcher de dire que pendant dix années, de l'indépendance jusqu'à la maladie de Bourguiba, la Tunisie a rayonné. Elle a rayonné à travers les créations et dans tous les arts. Sans compter les festivals qui se déroulaient, les sommités qui venaient en Tunisie. Les JCC représentaient un événement extraordinaire, les plus grands metteurs en scène y participaient. Il y avait à cette époque, sans avoir à nommer quelqu'un, des femmes et des hommes qui y croyaient. Cet élan était général. Les JCC drainaient un monde fou. Le plus grand festival dans le monde arabe et africain. La priorité était donnée à cette partie du monde, les autres n'ont pas besoin de nous. On ne peut pas nier que les JCC sont l'idée de Tahar Chriaa, comme on ne peut nier que le Festival d'Avignon, c'est Jean Vilar. Il faut qu'il y ait à la base un homme ou une femme qui y croit fortement, un socle de folie pour pouvoir lancer de tels projets. C'est un jeu, on ne sait pas à l'avance si l'idée fera long feu ou pas. Autre élément non négligeable, le soutien de l'Etat. A l'époque, il n'y avait pas un festival, une manifestation, une pièce de théâtre à laquelle Bourguiba n'assistait pas. Lorsque Maurice Béjart avait donné ses spectacles, Bourguiba est allé voir les deux, à Carthage et à Hammamet. Quand Michel Foucault donnait ses conférences, il est rare qu'un ou deux ministres anonymes ne soient pas présents dans le public.
Les époques ont changé mais les gens aussi, ce n'est pas propre à la Tunisie. Qu'en pensez-vous ?
Nous autres, je dis nous, parce que c'est ma génération, nous avions bénéficié de l'aide de l'Etat. Bourguiba, au temps des JCC, recevait tous les acteurs, sans compter l'apport des intellectuels et des universitaires qui ont fait corps avec nous. On ne peut demander aux manifestations et aux festivals d'être ce qu'ils avaient été dans le passé, ni d'avoir le même rayonnement, ni de prétendre que les autres sont plus capables que les contemporains, c'est faux. Il faut savoir qu'un festival s'essouffle, l'animation culturelle s'essouffle. Après 60 ans, le festival des JCC ou du théâtre ne peuvent continuer à tenir le haut du pavé comme par le passé. A mon avis, il faut arrêter de comparer et essayer de trouver de nouvelles formules. Je ne cite pas la France pour citer la France, mais le festival d'Avignon n'a plus rien à avoir avec ce qu'il était au temps de Jean Vilar.
Un certain 14 janvier, la révolution a éclaté, quel regard portez-vous sur cet événement ?
Il faut que cette liberté soit un catalyseur pour impulser la culture et la création d'une manière générale. Mais je dois dire cependant que le 14 janvier a été euphorique. C'est un événement extraordinaire, non pas parce que j'ai été malmenée, je ne suis pas une résistante, c'est ridicule ! Mais tout le monde y a cru. Je suis allée voter sous la pluie. Au lendemain de la révolution et pendant une année et demie environ, les débats politiques étaient intéressants par leur niveau, par l'apport de ceux qui y participaient. Ensuite, c'est devenu au-dessous de tout. Nous sommes retombés dans les règlements de comptes, les disputes, le partage des privilèges. C'est dommage ! Moi-même comme tous les autres, j'y ai cru. La révolution a donné des ailes à tout le monde. C'est comme un oiseau qui commence à voler, qui se croit libre, et on lui coupe les ailes. C'est l'image que me donne cette révolution.


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