Ouverte au public au Qsar Essaïd, au Bardo, le 27 novembre dernier, l'exposition «L'éveil d'une nation» ne désemplit pas. Un fait rare sous nos cieux où, généralement, passé le jour du vernissage, les visiteurs quotidiens des espaces d'art se comptent sur les doigts d'une seule main. L'exposition en question, fruit d'un partenariat public/privé entre l'Institut national du patrimoine (INP) et la Fondation Rambourg, est inédite à plus d'un titre. Plus de 320 pièces entre tableaux de peinture, costumes militaires d'apparat, trônes, mobilier, documents exposés pour la première fois dont le texte de la Constitution de 1861, monnaie d'époque, insignes honorifiques... A première vue, l'exposition «L'éveil d'une nation» impressionne par la splendeur et la richesse des objets donnés à voir. Les tableaux, restaurés par les soins des meilleurs techniciens internationaux dans ce domaine, dont Cinzia Pasquale, à qui revient la rénovation de la galerie des Glaces au palais de Versailles, restituent, à travers des scènes illustrant le pouvoir, dans ses multiples dimensions, le faste, la gloire et les réformes des années 1837-1881. Images et objets illustrant le prestige de l'Etat Comme le veut la mode royale de l'époque, les toiles immenses, à la mesure des hautes cimaises qui les soutiennent, montrent le portrait équestre de Kheireddine Pacha, le camp de la M'halla, le retour de l'armée de la guerre de Crimée, les portraits en pied d'Ahmed Bey et de Sadok Bey, les régents réformateurs de Tunis... Un fauteuil de trône en os de cétacé, des insignes en diamant, des assiettes en opaline dorée confirment le prestige d'un Etat, à l'origine ottoman, mais multipliant au gré des années les signes de son indépendance à l'égard de la Sublime Porte. Ahmed Bey interprète, ainsi, à sa manière les «Tanzimat» turques et initie, dès 1837, des réformes de l'armée en créant l'Ecole militaire et polytechnique du Bardo pour former ses cadres. En 1846, il abolit l'esclavage. Cet événement sera suivi par la publication du Pacte fondamental en 1857, qui introduit le principe de l'égalité entre les différentes communautés de la Régence de Tunis. La promulgation de la première Constitution en terre d'islam, celle de 1861, (sortie pour la première fois des Archives nationales), conclut cet élan de construction de l'Etat tunisien. Avec le Code de droit pénal publié également sous Sadok Bey, c'est l'émancipation tunisienne, qui s'éveille à travers ces trois textes juridiques majeurs. Les «mamelouk», ces serviteurs du Bey à l'origine européenne, Grecs, Siciliens, Russes... introduisent, grâce à leur cosmopolitisme, une nouvelle conception du monde, de ses relations diplomatiques et de sa culture. L'exposition veut quelque part démontrer que le mouvement de modernité tunisienne sur lequel Bourguiba a construit sa politique et son idéologie est une accumulation d'actes et d'événements. Mais ainsi veut la loi du vainqueur : c'est la République qui a finalement écrit l'Histoire, balayant d'un revers de main toutes les avancées d'une monarchie se voulant, au gré des années, constitutionnelle. Un parcours pédagogique parsemé de découvertes Si le récit de cette période charnière de l'Histoire de la Tunisie est si bien raconté et restitué, c'est parce que «L'éveil d'une nation» respecte les standards internationaux des grandes expositions au niveau de la scénarisation, la présentation des objets et l'aménagement de l'espace. Le parcours de l'exposition répond à un objectif pédagogique, qui parie sur l'étonnement et l'esprit de découverte du visiteur. L'évolution historique est prise en compte. Elle est suivie pour narrer cette tranche du passé de l'époque des réformes, jusqu'à la révolte d'Ali Ben Ghedahem, entre 1864 et 1867, trois ans après la promulgation de la Constitution, qui créera une déstabilisation de la situation socio-économique. Le fil de l'histoire se poursuit pour aboutir à la mise en place d'une commission internationale chargée de contrôler les finances de l'Etat et enfin la signature en mai 1881 du Traité du Bardo, qui ouvrira la porte à la colonisation. Le choix des objets, dont beaucoup ont été restaurés par les équipes engagées par la Fondation Rambourg, ont été minutieusement choisis selon la thématique de l'exposition. Ils proviennent des réserves des collectionneurs, ainsi que de plusieurs musées publics et privés tunisiens et étrangers, dont le Musée national du Bardo, le Musée de la Rose, la Bibliothèque nationale, le musée Lella Hadhria à Djerba, le musée de la ville de Marseille... L'écrin lui-même, hier encore menaçant ruine, qui abrite l'exposition, le palais Qsar Essaïd du Bardo participe à la fascination du public pour l'événement qui se poursuit jusqu'au 27 février 2017. De facture italianisante, avec ses plafonds polychromes en bois peint, ses escaliers en marbre de Carrare, ses grandes salles couvertes de céramiques andalouses, ses dentelles de stucs, l'édifice raconte la splendeur de l'architecture royale, ressuscite l'or de la République, renoue avec un art de vivre et un raffinement insoupçonnés. Pour tout cela, «L'éveil d'une nation» a su rapprocher une période lointaine du public, de tous âges et de toutes catégories sociales. Un public qui semble se réapproprier avec beaucoup de bonheur et de curiosité des pages de son Histoire, des pans de son identité multiple, mais également l'espace intérieur et les jardins du palais. L'exposition aurait encore plus de sens si elle était accompagnée par des débats et des conférences sur le thème de l'événement. Un seul regret toutefois : la cherté du catalogue et le choix limité des objets, des souvenirs et des livres proposés à la vente à la fin du parcours de l'exposition. La Fondation Rambourg a annoncé son intention de poursuivre la restauration du palais afin d'en faire un musée de la Tunisie moderne. Belle initiative ! A soutenir et à multiplier pour agrandir notre Histoire, recoudre ses séquences les unes au fil des autres et donner une nouvelle vie à notre mémoire en partage !