A Kélibia, des jeunes manifestants qui avaient protesté contre le crime politique, suite à l'assassinat, en 2012, de Chokri Belaïd, risquent une peine de 14 ans de prison. Le verdict sera prononcé le 4 janvier 2017 Le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) a présenté, hier, lors d'un point de presse tenu à l'occasion, le rapport mensuel des mouvements de protestations sociales au titre de novembre 2016. Le rapport traduit l'évolution des mouvements de protestation, dont le nombre a atteint 1.212 contre seulement 986 en octobre et 787 en septembre de la même année. Présentant le rapport, M. Abdelsattar Sahbani, responsable à l'Observatoire social tunisien (OST), attire l'attention sur la prépondérance des mouvements collectifs, lesquels correspondent à 90,3% de l'ensemble des mouvements. Néanmoins, les mouvements individuels ont connu une mutation qualitative sans précédent, faisant pencher la balance plus vers les sit-in et les grèves individuelles que vers les suicides et les tentatives de suicide. « Ce qui est certain, c'est que les mouvements de protestation ont touché à tous les gouvernorats, sans exception. Les régions phares des protestations sociales restent indéniablement Sidi Bouzid, Tunis, Gafsa et Kairouan. Les faibles indicateurs de développement dans ces régions et le laxisme des parties concernées à y trouver des solutions radicales justifient amplement la grogne sociale, laquelle constitue, pour ces Tunisiens, l'ultime alternative leur permettant de transmettre leur message et de réclamer justice sociale et droit à l'essor économique », indique M. Sahbani. Les tentatives de suicides collectifs à la hausse S'agissant des suicides et des tentatives de suicide — ou l'autre moyen de protestation individuelle —, le sociologue indique une sensible régression quantitative, soit 90 cas de suicides et de tentatives de suicide recensées en novembre contre 119 cas en octobre et 103 en septembre. Il est important de souligner que 50% des cas recensés relèvent des tentatives de suicide collectif, placées sous le signe de la théâtralisation voulue, en guise de protestation contre le laxisme des parties concernées quant à la résolution des problèmes touchant les populations de Sidi Bouzid et de Gafsa. D'un autre côté, le suicide et les tentatives de suicide demeurent la sonnette d'alarme des jeunes âgés entre 26 et 35 ans. Cela dit, et avec le vieillissement de la population, des seniors mettent fin à leurs jours chaque mois. De même que les enfants âgés de moins de 15 ans. « Nous avons enregistré en novembre quatre cas de suicide d'enfants dont le plus marquant, car le plus médiatisé serait le cas de la lycéenne d'El Mourouj 2 », souligne l'orateur. Il saisit, d'ailleurs, l'occasion pour condamner le traitement médiatique de cette affaire; un traitement qu'il qualifie de déplacé puisqu'il a donné une image dépréciative de cette tranche d'âge. Le sociologue reconnaît les efforts fournis afin de faire face au phénomène de suicide et des tentatives de suicide; un phénomène alarmant, car menaçant pour la société, tous âges confondus. Toutefois, il s'interroge sur les solutions pratiques, susceptibles de lutter, d'une manière effective contre ce fléau. L'éducation, l'administration et la sécurité : objets de protestations Pour ce qui est des mouvements de protestation collectifs, l'OST recense 1.095 dont 552 sont des protestations instantanées, 345 sont spontanées et 198 sont violentes. Le pic de ces mouvements concerne le secteur éducatif. Il faut dire que ces mouvements portent sur moult volets inhérents au système ainsi que sur des mesures fortement contestées, dont les vacances, le calendrier des examens, etc. L'orateur dénonce la conversion du système de l'éducation en un vecteur propice à la violence. « A qui profite la dégringolade ahurissante du système éducatif ? », s'interroge-t-il, perplexe. Le secteur éducatif, comme objet de protestation sociale, est suivi du secteur administratif, lequel reste le symbole du pouvoir ; un pouvoir considéré comme étant inéquitable. Le secteur sécuritaire vient en troisième lieu. Le recours à la violence contre les protestataires semble un retour méthodique et progressif vers les anciennes pratiques, ce qui n'est plus acceptable. M. Sahbani souligne, par ailleurs, l'ampleur de la violence qui gagne chaque jour du terrain dans une société angoissée. « Nous vivons une véritable hystérie collective qui transforme les lieux de loisirs et de discipline, notamment les établissements scolaires et les espaces sportifs, en des lieux de violence. D'où l'impératif d'asseoir les jalons d'une stratégie nationale de lutte contre la violence », recommande-t-il. Le point de presse a permis en outre de mettre le doigt sur le dossier juridique des protestataires. M. Abderrahmen Hedhili, membre-fondateur du Ftdes, indique que l'affaire des ouvriers de Majel Belabbès a levé le voile sur un grand nombre d'affaires similaires, où le droit à la protestation semble être un délit condamnable ! « Des jeunes sit-inneurs et manifestants provenant de Majel Boulabbès, de Gafsa, de Redeïf, de Sidi Bouzid, de Gabès, de Bousalem, de Kasserine et de Kélibia se sont trouvés poursuivis en justice. Le pire, c'est que certains verdicts ont été repris. « C'est le cas, à titre indicatif et non restrictif, de l'affaire d'un groupe de 24 jeunes de Ksibet Mediouni, condamnés à deux ans et à un an et demi de prison. Or, et contre toute attente, on vient d'apprendre que l'affaire a été rouverte », indique-t-il. M. Hedhili dénonce l'approche du gouvernement qui, à son sens, prétend aspirer à instaurer la paix sociale tout en refusant de négocier avec les protestataires. « Or, à défaut de négociations, ces jeunes optent, systématiquement, pour des actes de protestation et de revendication, ce qui est tout à fait compréhensible voire logique », dit-il. Il ajoute : « Certains jeunes issus de la région de Jrissa sont détenus depuis un an sans pour autant être comparus devant la justice. Le problème, c'est que la mobilisation des avocats bénévoles n'est plus aussi notable qu'avant ». Des manifestants à Kélibia condamnés à 14 ans de prison ! Parmi les affaires des jeunes protestataires figure celle d'un groupe jeunes de Kélibia qui avait, en 2012, et suite à l'assassinat de Chokri Belaïd, manifesté contre le crime politique. Mariem Jerbi, 22 ans, comptait parmi ces jeunes. Elle fut arrêtée le 13 janvier 2012, soit quatre jours après la manifestation. Cette affaire a été soutenue, quatre ans durant, par la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme. Finalement, le verdict a été prononcé le 12 octobre 2016 : quatorze ans de prison pour ces jeunes ! Certains sont accusés d'avoir incendié et le poste de police et le bureau régional du mouvement Ennahdha. «Personne ne s'attendait à cela ! D'autant que le Tribunal de première instance de Nabeul avait prononcé des verdicts nettement plus cléments dans une affaire similaire à Hammem Leghzez, soit deux ans de sursis », indique Mariem. Et d'ajouter que même ce verdict-là devrait être réfuté. « Le droit à la manifestation et à la protestation ne devrait aucunement être condamné. Les jeunes de Kélibia n'ont pas protesté pour des revendications sociales. Nous l'avons fait parce que du sang avait coulé et il fallait dire non à l'assassinat et au crime politique », renchérit-elle, emportée. Le verdict de l'affaire des jeunes de Kélibia sera prononcé le 4 janvier 2017.