Le port de Younga était classé second après celui de Carthage. Le site renferme des monuments antiques, essentiellement un château fort là où étaient aménagés une petite mosquée, trois églises, des bassins de salaison et le marabout de Sidi Ahmed Absa Le constat est regrettable. Nos sites archéologiques, livrés à l'abandon, comme de vulgaires ruines, sont en train de sombrer dans la négligence et l'oubli, perdant, de jour en jour, de leur valeur. C'est du moins l'impression, pour ne pas dire la certitude, qui s'est dégagée de la récente visite guidée des monuments historiques de Younga et de Thyna, étapes majeures du circuit ou «Massar», défini par la manifestation Sfax capitale de la culture arabe dans le but d'inciter à la réhabilitation et à la valorisation du patrimoine archéologique de la région. Les représentants des médias ont, en effet, participé, dernièrement, à une nouvelle caravane médiatique à laquelle se sont joints les participants au concours de photographie, partis à la chasse des prises de vue les plus réussies dans l'espoir de remporter l'un des prix en compétition, se faire proclamer lauréat et, consécration flatteuse, voir ses photos publiées dans le livre blanc et le catalogue à éditer par la manifestation avant sa clôture. Pour atteindre sa première destination, en l'occurrence, le site de Khaouala situé sur le littoral des Iles Kanïess,une réserve naturelle connue pour être le lieu de rendez-vous annuel des oiseaux migrateurs, le bus mixte a traversé un paysage sans grande variété, mais drapé d'une verdure éclatante avec d'infinies rangées d'oliviers épanouis s'étendant à perte de vue, riches en promesses, augurant d'une récolte abondante et d'une campagne oléicole où l'huile bénie, d'une couleur lumineuse se déclinant sous de multitudes nuances appétissantes du vert, coulera à flots au grand bonheur des Tunisiens et ira régaler les papilles partout dans le monde. Les excursionnistes devaient, d'abord, observer une halte à Khaouala où un ponton mène à l'embarcadère du site, autour duquel des barques, amarrées, s'apprêtaient à prendre le large, en direction de l'archipel composé de quatre îlots. Représentants des médias et photographes ont été envahis, là, par un sentiment de profonde déception, tellement la négligence et le manque d'intérêt sont manifestes. Aucune infrastructure, aucun arbre, aucun édifice pour accueillir les éventuels visiteurs, les abriter des intempéries et donner un semblant d'hospitalité au site, alors que l'archipel est digne d'intérêt écologique et historique, d'autant plus que sur l'îlot dit «Dziret Laboua» se trouvent les vestiges d'un monastère «Où Saint Fulgence, évêque de Ruspe, est venu se retirer durant les premières années du VIe siècle». Mais comble d'infortune, le site n'est pas gâté par la nature : une immensité de terres plates, nues, constamment balayées en hiver par des rafales de vent glacial, et inondées, l'été, par une chaleur accablante qui tape impitoyablement sur les nerfs, brûle le corps et engourdit l'esprit. Pour faire fuir les visiteurs, il n'y a pas mieux! Pourtant, pour un œil exercé, le rivage ne manque pas d'attraits, avec le vieux ponton aux planches desséchées et grinçantes, les barques dispersées dans la crique et les eaux dormantes où flotte une végétation d'un vert pistache tirant vers le jaune. Une fois la curiosité assouvie et les photos prises, le bus a mis le cap sur le site archéologique de Younga. Plantée dans un décor un peu plus accueillant, une citadelle, à l'allure majestueuse, offre à la vue les hautes murailles de son enceinte assez bien conservées, flanquées d'une tour tout aussi imposante. Mais le visiteur est vite frappé à l'intérieur par l'état plutôt décevant de la forteresse, marquée, à certains endroits, par un délabrement regrettable, d'où l'urgence d'une opération de restauration pour sauver ce monument grandiose mais malmené par le temps, les intempéries et sans aucun doute le vandalisme des hommes. Connaissant l'histoire des lieux, sur le bout des doigts, Nébil Belmabrouk, conservateur-conseiller à l'Institut national du patrimoine, n'a pas été avare en éclaircissements, affirmant que le site «se trouve à l'emplacement d'une cité à la civilisation florissante. Le port de Younga était, en effet, classé second après celui de Carthage. Le site renferme des monuments antiques, essentiellement un château fort là où étaient aménagés une petite mosquée , trois églises, des bassins de salaison et le marabout de Sidi Ahmed Absa». Fait insolite mais non moins digne de considération : pendant la période islamique, les chrétiens pouvaient continuer à faire leurs offices dans la même forteresse où il y avait une mosquée ! La tolérance au concret ! Figurant sur le même circuit, le site archéologique de Thyna (Thaenae) a été visité en dernier lieu, pour la simple raison qu'il se trouve à quelques kilomètres au sud-ouest de Sfax. Portant les signes d'un délabrement avancé, le site fait apparemment l'objet d'une timide opération de réparation. Pourtant, il est loin de manquer d'intérêt. En effet, comme l'a précisé Nébil Belmabrouk : «Les données archéologiques font remonter l'histoire de la cité antique au Ve siècle av. J.-C. Le site archéologique a une superficie intra-muros de quatre-vingt-quatre hectares. Les fouilles archéologiques ont mis au jour des thermes publics, des maisons privées et des nécropoles païennes et chrétiennes. Le site renferme, de même, des bassins de salaison et des ateliers de céramique. Il est entouré de remparts percés de deux entrées au minimum : la porte de Taphrura, à l'est, et la porte de Tacapes, à l'ouest». Ainsi, l'excursion aura au moins le mérite de permettre aux participants, et particulièrement aux plus jeunes d'entre eux, de connaître de visu des sites archéologiques dont, au meilleur des cas, ils en avaient entendu parler, et de leur faire prendre conscience du rôle qu'ils pourraient jouer pour demander la restauration de ce patrimoine si précieux et, par là-même, sa valorisation.