Le texte de loi entrera en vigueur dès sa publication au Jort, tandis que la protection des dénonciateurs d'affaires antérieures à l'adoption de la loi se fera en les citant nominativement. Ces derniers se sont trouvés seuls à affronter leur sort et des sanctions lourdes, qui vont du renvoi définitif à la mise à la retraire forcée ou aux convocations en conseil de discipline. C'est le projet de loi très médiatisé relatif à la dénonciation de la corruption et la protection des dénonciateurs qui a été débattu hier en séance publique. Un texte déposé par le gouvernement le 17 juin 2016, important tant par son impact sur la gestion de la chose publique qu'au niveau de la consolidation démocratique des institutions. Sa promulgation et surtout sa bonne mise en œuvre feraient office d'un trophée sur le maigre tableau de chasse du gouvernement d'union nationale. Le report d'une semaine souhaité par l'exécutif, faisant l'objet tout au long de ces derniers jours d'une surenchère médiatico-politique, n'aura servi à rien finalement. La plénière a eu lieu au rendez-vous convenu, présidée par Abdelfatteh Mourou et suivie par 118 députés, en présence de deux ministres, Abid Briki, ministre de la Fonction publique, et Iyad Dahmani, ministre auprès du chef du gouvernement, chargé des Relations avec le parlement. Une nouvelle mouture a été présentée hier par la commission des droits et libertés et des relations extérieures. Les faiblesses structurelles qui nuisaient à la pertinence et la cohérence de la première version ont été relevées par la première concernée, l'instance nationale de lutte contre la corruption, par les acteurs de la société civile, par des membres de l'exécutif, et des membres de la juridiction administrative. Constituée de 36 articles, l'actuelle version aura nécessité pas moins de 19 réunions en commissions avec une durée totale de 52 heures. Les frontières se brouillent Au regard de l'ensemble de ces éléments, tout prêtait à croire que la plénière allait démarrer en force avec de grands débats à la clé. Pas du tout. La séance a été un raté au démarrage. Et ce ne sont même pas les quelques points d'ordre, toujours hors sujet, qui sont en cause. Un café déversé par mégarde depuis l'étage où travaillent les journalistes et la société civile, attribué à un journaliste, alors que c'est un photographe du bloc de Nida Tounès qui en est responsable, a créé l'incident. La députée, nidaiste également, que le liquide a visée involontairement, aurait dû s'en assurer avant de lancer les accusations. Au-delà du fait lui-même, il est vrai incommodant, les proportions prises le dépassent de très loin. Des élus s'en sont allés vérifier la scène du «crime», lieu du déversement du liquide, un autre groupe est monté à l'étage, le président s'en émeut et lève la séance. Egalement, dans le cadre du mélange de genre, l'Assemblée a pris l'habitude de réciter la « fatiha » pour honorer l'un des parents décédé d'un élu. Du coup, à chaque plénière, c'est le même rituel qui se déploie. Une manière de s'approprier une institution publique et de mettre en scène une affaire personnelle, certes grave et douloureuse, mais qui brouille les frontières entre la chose privée et la chose publique. Troisièmement, la séance commence bel et bien et la commission des droits et libertés en charge du projet de loi se met à lire le rapport. Deux bonnes heures auront été nécessaires de 10h à midi, pour en venir à bout. Deux heures que chacun a essayé de faire passer comme il a pu ; consulter le téléphone, discuter avec le voisin, roupiller, ou carrément se retrancher dans le café du parlement. Orientation judiciaire des lanceurs d'alerte Ce rapport laborieux, plusieurs fois honoré par les députés par sa qualité mais surtout par sa valeur quantitative, une cinquantaine de pages recto-verso, reprenant les minutes des réunions de commissions, a nécessité l'entraide de plusieurs élus pour le réciter. Le document de référence est précieux en soi, et pour alimenter les archives nationales, mais il aurait pu être résumé. Une synthèse qui ferait ressortir les articles litigieux, les points phares et les recommandations de la commission — qui a adopté le projet en interne —, pour la séance plénière. Cette incapacité de synthèse à l'échelle institutionnelle, tant de fois relevée, pénalise le rythme des plénières et les rallonge indéfiniment. Hier, il y a eu le déploiement d'un exemple type. A midi, on attaque enfin les choses sérieuses : 29 députés ont demandé la prise de parole. Globalement, les mêmes points y revenaient ; on a salué des avancées notoires en matière législative, célébré le travail de la commission parlementaire, les efforts de l'instance nationale de lutte contre la corruption. Plusieurs intervenants ont appelé à la doter de ressources humaines et matérielles en adéquation avec la quantité de travail dont elle aura la charge. La flexibilité des procédures, un suivi psychologique et les orientations judiciaires pour les lanceurs d'alerte ont été réclamés avec insistance. Balayer devant sa porte Certains ont cependant fait des propositions concrètes, à l'instar de Jilani Hamami qui a critiqué la non-réactivité de la loi. La présente loi entrera en vigueur effectivement dès sa publication par le Jort, alors que l'élu de l'opposition a concrètement demandé la protection des dénonciateurs d'affaires antérieures à l'adoption de la loi, en les citant nominativement. Ceux-là se sont trouvés seuls à affronter leur sort et des sanctions lourdes, qui vont du renvoi définitif à la mise à la retraire forcée ou aux convocations en conseil de discipline. Mongi Rahoui a soulevé, lui, un autre problème autrement plus grave que l'imbrication entre le pouvoir, les partis politiques et les lobbys. Dans une harangue qui a duré une bonne dizaine de minutes, il a dit tout haut ce que les instances internationales n'ont cessé de dénoncer : la corruption qui touche directement et à grande échelle la sphère publique. Il a mis en avant le cas « surréaliste » d'une députée dont il a tu le nom qui, dénonçant les pratiques mafieuses d'un gros bonnet d'une région, a été harcelée. « Tout le monde a voulu intervenir en faveur de ce mafieux qui est l'incarnation même de la corruption, il ne reste que Trump », s'est-il écrié, moqueur. Aux formations politiques, à l'Assemblée et au gouvernement, aux ministères, « gangrénés par la corruption », de balayer devant leurs portes d'abord, a-t-il réclamé. A l'heure où nous mettions sous presse, le débat se poursuivait encore. Ainsi, aucune crédibilité ne peut être donnée à aucune initiative, si on ne commence pas par donner l'exemple, et, en clair, par couper les têtes de la pieuvre.