Face au désarroi, à la pauvreté, à l'abandon de gosses dans la rue, il accuse... Les mots sont forts, révoltés, et il ne fait pas de cadeau sans, pour autant, tomber dans le misérabilisme Les Journées musicales de Carthage se poursuivent devant un public jeune mais pas forcément nombreux. Quant au monde de la chanson classique qui boude cette manifestation, il est quasiment absent. Nous reviendrons sans doute sur ce qu'ils appellent «une exclusion» pour donner notre point de vue. Ce que nous constatons jusque là, c'est que cette 4e session n'a pas encore révélé de génie mais qu'en tout état de cause, notre jeunesse est manifestement attachée à la musique et penche de plus en plus vers des sonorités occidentales sur des rythmes souvent puisés dans la mémoire collective. Une dualité qui, quand elle réussit, nous renvoie à la nature même du Tunisien, attaché à ses racines mais aussi ouvert sur un monde où il ne déteste pas s'envoler. Des chansons à texte Mercredi soir au Palais des congrès, Mortadha Ftiti et Tahar Guizani nous ont fait goûter aux plaisirs de l'esprit et des sens. Dans ce spectacle nommé «Sanaat yedin», Mortadha déploie tout ce qu'il a acquis en expérience. En effet, c'est lui-même qui écrit ses textes , avec cette sensibilité et cette révolte devant les injustices de la vie. Face au désarroi, à la pauvreté, à l'abandon de gosses dans la rue, il accuse .... Les mots sont forts, révoltés, et il ne fait pas de cadeau sans, pour autant, tomber dans le misérabilisme. La maladie aussi le provoque, le bouscule. Sa dernière chanson sur l'alzheimer est le cri d'un cœur endolori. Nous avons appris que sa grand-mère maternelle en était atteinte... Il a su dire sa douleur et sa voix n'a fait que traduire sa peine ... Nous ne pouvions nous empêcher de penser aux «vieux» de Jacques Brel. Ses textes nous rappellent aussi «Ness el Ghiwene», à un moment où la chanson à texte avait sa place. Mortadha Ftiti descend d'une famille où la maman est Radhia Chehaibi, une grande poétesse originaire de Kairouan. C'est dire qu'il a cet amour de la poésie dans les gènes. Les compositions et la voix Quant à la musique, il en est aussi le compositeur. Son association avec le grand musicien Tahar Guizani a permis de produire des sonorités modernes sur des rythmes maghrébins. C'est la tendance en ce moment. Nous ne pouvons nous empêcher de penser à «Ness El Ghiwen», mais aussi à la musique de Sabri Mosbah, la révélation des JMC 2016, notamment dans la chanson «Aman Aman». L'orchestre composé de guitares électriques, orgue, violon, batterie et une percussion, tantôt tam tam, tantôt kajan, est dirigé par Tahar Guizani au luth. Nos deux artistes nous ont avoué avoir préparé ce spectacle musical depuis un an et demi spécialement pour les JMC 2017, c'est dire si Tahar Guizani en particulier ne vise pas le podium tant il a été habitué à remporter un prix. Ce fut le cas il y a deux ans aux JMC, avec «Tamayourth» en compagnie du poète Mouldi Hassine. La voix de Mortadha Ftiti n'était pas au mieux. Mais sa sensibilité et sa musique ne laissaient pas indifférent. Cette voix médium souffre de l'absence des tons aigus, ce qui l'empêchait de monter plus haut. Nous avons eu l'impression, presque, d'une voix cassée. Nous espérons que ce handicap sera pris en charge pour donner un espace plus large aux possibilités vocales. Nous retenons de ce bon spectacle la valeur des textes et si le choix de ce jeune est orienté dans cette direction, nous ne pouvons qu'en être contents tant les nouvelles chansons sont de plus en plus plates et vides de sens, pour ne pas dire basées essentiellement sur la provocation. Et là, les exemples ne sont pas rares. Bonne route donc au duo que nous verrons sans doute aussi après les JMC 2017.