Au moment où Youssef Chahed poursuit son périple dans les régions et engage des actions concrètes, comme on l'a vu ce jeudi à Sfax, les partis de la coalition s'enfoncent dans leurs crises internes et les partis des diverses oppositions poursuivent leurs shows qui n'intéressent plus personne Beaucoup d'observateurs fondent leurs analyses de la situation politique régnant ces dernières semaines sur ce qu'ils appellent «la fracture entre le discours du gouvernement et les véritables préoccupations des citoyens» dans le sens que nos politiciens, en premier lieu ceux qui sont au pouvoir, vivent dans un autre monde que celui dans lequel les Tunisiens évoluent quotidiennement. «On attend des décisions pratiques, des mesures réalistes et réalisables, on a toujours droit à des promesses qu'on nous a déjà servies et le plus souvent impossibles à concrétiser à court ou à moyen termes. Et quand nous attendons que le gouvernement impose son projet de loi relatif à la réconciliation nationale pour que la machine économique redémarre, il nous sort une loi obligeant les étudiants licenciés en droit à obtenir un mastère pour pouvoir s'inscrire à l'Institut supérieur de magistrature au moment où nos tribunaux et pôles spécialisés manquent terriblement de magistrats et où les dossiers s'entassent par milliers au point que personne ne croit plus que les corrompus ou les terroristes seront un jour jugés», estiment ces mêmes observateurs. Et ils n'épargnent pas aussi les «divers opposants, plus particulièrement ceux du Front populaire et du Courant démocratique, dont les députés s'enlisent de jour en jour dans un comportement le moins qu'on puisse dire incompatible avec la mission pour laquelle ils ont été élus. Idem aussi pour le nouvel arrivant sur la scène politique nationale, le Front du salut et du progrès, dont personne n'est au courant de ce que Mohsen Marzouki, Slim Riahi et Ridha Belhadj vont faire pour que la Tunisie sorte de sa crise actuelle sauf peut-être deux idées: Béji Caïd Essebsi doit quitter le plus tôt possible le palais de Carthage parce que sa validité a expiré (Slim Riahi) et les jours du gouvernement de Youssef Chahed sont comptés (Ridha Belhaj). Une ceinture étouffante En parallèle, Nida Tounès s'enforce de plus en plus dans sa crise récurrente en contrepartie des personnalités qu'il vient de recruter pour redorer son blason et redémarrer sur la base d'un nouveau programme assurant «la victoire lors des élections municipales» (Borhène Bsaïess, le nouveau stratège en communication et restructuration du parti, et Cheikh Férid Béji, l'éminent idéologue qui prétend avoir la recette magique pour débarrasser la Tunisie non seulement du cancer daéchiste mais aussi de l'islam politique), les femmes députées du parti décident à un rythme quasi quotidien de claquer la porte du parti et du groupe parlementaire, laissant Sofiène Toubal diriger le bloc parlementaire comme bon lui semble. Après Leïla Ouled Ali, qui a démissionné après avoir compris qu'il «ne peut y avoir de réforme au sein du groupe», Leïla Chettaoui, dont les activités sont gelées depuis la fameuse affaire des fuites relatives à la réunion du bureau politique et qui est menacée par Sofiène Toubal de renvoi de son poste de présidente de la commission parlementaire d'investigation sur les réseaux terroristes (voir interview de Toubal au journal Assour du mercredi 19 avril), la députée nidaiste Néjia Abdelhafidh vient de quitter le bloc parlementaire en signe de contestation de la mission entreprise par Ibtissem Jebabli (présidente de la commission parlementaire des Tunisiens à l'étranger) en Libye pour s'enquérir de la situation des enfants tunisiens (de père ou mère daéchiste) emprisonnés en Libye «sans aviser les membres du bloc et en se faisant accompagner par Chafik Jerraya». Voilà le décor ou les conditions dans lesquels Nida Tounès, le parti n°1 du pays, gère ses propres affaires et prétend être toujours le soutien principal du gouvernement Youssef Chahed. Et l'on se demande : le locataire du palais de La Kasbah qui fait face à la colère des régions qui exigent des mesures immédiates et ne veulent plus traiter avec les délégations ministérielles qui leur sont envoyées périodiquement, a-t-il encore besoin du soutien de Nida Tounès qui n'arrive plus à retenir ses députés et se contente de publier des communiqués, après coup, annonçant son soutien au gouvernement, mais n'empêche pas ses leaders régionaux de participer aux marches régionales de protestation. La même observation s'applique au parti nahdhaoui dont les députés font la pluie et le beau temps au palais du Bardo, imposant que certaines lois passent selon leur bon vouloir (comme la loi sur les jardins d'enfants où on ne saura jamais quel genre d'éducation préscolaire sera dispensée à nos petits). Les leaders régionaux du parti nahdhaoui gèrent aussi les mouvements de protestation dans leurs régions et vont jusqu'à boycotter les réunions de dialogue dirigées par leurs propres ministres. (On rapporte que Imed Hammami, ministre nahdhaoui de la Formation professionnelle et de l'Emploi, s'est retrouvé au Kef avec deux représentants de la société civile alors que le coordinateur régional d'Ennahdha a préféré se retirer de la réunion). Que peut attendre à l'avenir Youssef Chahed de ses deux partenaires influents, Ennahdha et Nida Tounès, quand il aura à traiter l'épineux dossier de Néji Jalloul, ministre de l'Education, à qui les syndicalistes de l'enseignement secondaire et du primaire donnent jusqu'à la proclamation des résultats des examens nationaux pour partir ? En attendant que les partis formant la ceinture de soutien du gouvernement se débarrassent de leur double langage, voire pluriel, Youssef Chahed poursuit ses visites dans les régions. Hier, il s'est déplacé à Kerkennah où il devait essayer de trouver une solution à la crise de Petrofac «qui n'est pas une question facile», devait-il souligner avant de regagner l'île.