A la fin de la semaine, le visiteur aura pris la juste mesure du travail accompli par les sculpteurs et succombé au charme irrésistible des figures issues des entailles des disqueuses et des coups de maillet Quinze chefs-d'œuvre de la sculpture gracieusement laissés par les artistes participant au symposium de sculpture tenu à Borj Kallel, sur le thème Ancrage méditerranéen, sont venus enrichir les collections d'œuvres d'art de l'Association des amis des arts plastiques à Sfax et de l'Union des artistes plasticiens tunisiens, partenaire de cette résidence artistique qui a bouleversé le quotidien du borj. La scène est pour le moins surprenante ! A première vue, le visiteur non averti croit avoir fait fausse route : l'esplanade de Borj Kallel, un espace plutôt paisible, a tout l'air d'une carrière tout aussi grouillante que bruyante. Une quinzaine de personnes couvertes de poussière, le visage dissimulé par un masque et les yeux protégés par des lunettes, s'affairent au tour de volumineux blocs de pierres. L'atmosphère est enveloppée par un nuage de poussière émis par de vrombissantes et stridentes tronçonneuses relayées par les coups secs et rythmés des maillets et autres massettes, tapant sur des burins de maçons. A la pause, une fois le calme revenu, l'on se rend compte de sa grossière méprise ! Point d'appareilleurs, en vérité, mais des artistes accomplis pris en flagrant délit d'ébavurage, d'épannelage et de tronçonnage. Venus de Tunisie, Algérie, Oman, Turquie et Italie, quinze plasticiens sont, en effet, réunis à Borj Kallel, sur invitation de l'Association des amis des arts plastiques à Sfax et de l'Union des artistes plasticiens tunisiens, coorganisateurs du symposium de sculpture placé sous le thème «Ancrage méditerranéen». Explication de Aïda Zahaf, présidente de l'association : «Tous les deux ans, l'ensemble de nos activités artistiques et culturelles sont inscrites dans un thème précis, qu'il s'agisse d'arts plastiques, d'art culinaire, d'hommages, de colloques, de musique, etc. Le symposium de sculpture ne devait pas déroger à la règle. Les sculpteurs présents savaient qu'ils avaient à concevoir leurs œuvres dans le cadre du thème retenu, celui de l'Ancrage méditerranéen. Ils sont à féliciter pour leur admirable désintéressement et leur disponibilité. Non seulement, ils ont fait preuve d'une humilité digne d'éloges, se contentant des conditions modestes d'hébergement et de séjour, assurées par l'association, incapable de mieux faire, vu les moyens modestes dont elle dispose, faute de soutien financier, mais ils ont eu la délicatesse de nous faire don des œuvres créées ici». A la fin de la semaine, le visiteur aura pris la juste mesure du travail accompli par les sculpteurs et succombé au charme irrésistible des figures issues des entailles des disqueuses et des coups de maillet : un véritable trésor légué par les artistes, inspiré et dédié à la Grande Bleue, belle, généreuse, et chaude. C'est ainsi que prénommée «Symphonie de la Méditerranée», la sculpture de Sanem Tufan, de Turquie, représentant une étreinte fusionnelle entre des formes polies et gracieuses avec des strates rugueuses, traduit l'harmonie des cultures de la Méditerranée et la bonhomie de ses riverains, en dépit de son ambivalence et de son histoire heurtée. Pour sa part, l'œuvre de l'Italien Stephano Sabetta est d'inspiration mythologique. Référant à l'Arche de Noé, parti de la Méditerranée, elle s'intitule «Arche de la vie», en hommage à la préservation des espèces, sauvées du déluge. La même impression de maestria technique, de sensibilité et de créativité caractérise les autres figures émergées de la matière muette, figée et sans âme, lesquelles se sont mystérieusement muées en œuvres d'art communicatives, loquaces, exubérantes et rayonnantes de beauté, irradiant gaieté, ravissement, sérénité et bien-être. Le même thème de l'entrelacement est exprimé par le titre «Entrelacs» donné par Rim Moalla Smaoui à sa sculpture, pour traduire l'enchevêtrement des cultures méditerranéennes qui, partant du même socle, entament, dans un même élan, une ascension collective vers le sublime, toujours collées les unes aux autres telles des siamoises. Mohamed Bouaziz a, de son côté, exalté la jonction culturelle des rives de la Méditerranée à travers sa sculpture intitulée «Synergie». Avec un égal bonheur et une virtuosité qui force le respect, Mohamed Sahnoun a enfanté une œuvre baptisée «Iltifef» ou entrelacement. Nizar Trichili a, quant à lui, opté pour «Tanit», nom évocateur de la domination carthaginoise sur la Méditerranée. Pour Houcem Ghorbel, c'est le fœtus, fruit d'une fécondation culturelle multiforme et en même temps symbole d'une gestation qui annonce une communauté de destin. Pour Tahar Hadhoud, la Méditerranée est une multitude de ports d'où appareillent les voiliers de l'imaginaire vers les aventures de la création, bercés par les «Vagues» de Khaled Féki, des ondes en perpétuel «Mouvement», comme le suggère l'intitulé choisi par Ali Slimane Jébri pour son œuvre. Inspiré par la même égérie, Jébri réfère, en effet, à la Méditerranée infinie, éternelle et dynamique, par le biais d'une spirale d'une beauté exquise. Wajdi Hsaïri a pour sa part opté pour l'allégorie de l'amour pour parler de la Grande Bleue, désignant sa sculpture par le nom «Un homme, une femme». Si Abdelaziz El Hassaïri a dénommé sa sculpture «Attente», sans doute pour dire combien la Méditerranée compte sur ses enfants pour la sauver, la préserver des atteintes dont elle souffre, alors que Sami Klibi a choisi le nom «Enfin», tout aussi énigmatique et mystérieux, pour baptiser la sienne. D'ailleurs, le mérite de certains artistes participant au symposium de Sfax est d'autant plus appréciable qu'ils ont enfanté d'aussi merveilleuses créations alors qu'ils ont mis la main, pour la première fois de leur carrière d'artiste, à la sculpture sur marbre, réussissant pour leurs coups d'essai de véritables coups de maître ! Pour sa part, le symposium vaut par l'opportunité offerte à des étudiants des instituts des beaux-arts de Sfax et de Gabès de voir à l'œuvre des maîtres de la sculpture, de s'informer et d'apprendre sur le tas. Mieux encore, la résidence artistique de Borj Kallel a favorisé la rencontre de plasticiens d'horizons divers, l'échange d'expériences et la naissance de nouvelles amitiés. En attendant le 25 avril, date du symposium de céramique, toujours placé sous le thème d'Ancrage méditerranéen, l'exposition des œuvres d'art issues du symposium de sculpture se poursuivra à la galerie de Borj Kallel, aux côtés des toiles peintes lors du dernier symposium consacré à la peinture.