Intellectuel, universitaire et critique littéraire, Taoufik Baccar vient de faire ses adieux à une Tunisie qu'il a contribué à rendre florissante en idées et en perspectives. C'est un érudit comme on n'en fait plus qui nous quitte après une vie vouée à soutenir l'intelligence et la créativité tunisienne. C'est un long travail de patience que Taoufik Baccar a tissé au fil des décennies, une activité débordante qui se poursuivit jusqu'à l'âge de 89 ans, là où sa créativité et son entrain influèrent durablement sur l'Université tunisienne dont il était l'un des fondateurs. Un érudit comme on n'en fait plus qui consacra sa vie à sortir de l'anonymat toutes ces plumes qui font aujourd'hui notre fierté. Mahmoud Messaâdi, Ali Douagi, Mohamed Aribi, Béchir Khraïef... Une saga qui commence par des années d'étude, de curiosité et d'apprentissage où il reçut les premiers éléments de ce qu'était cette société civile universelle à laquelle il appartiendra toujours. Taoufik Baccar est né en 1927 à Tunis. Après avoir décroché son baccalauréat, il rejoint la Sorbonne à Paris avant de s'inscrire au Collège de France. De retour en Tunisie à la fin des années 1950, il sera l'un des fondateurs de l'Université tunisienne à laquelle il apporta les grandes lignes directrices-inspiratrices des deux grandes institutions françaises. Peut-être paradoxalement, ce n'est pas au sein du département de la langue française mais bien arabe qu'il s'illustra ; mais cependant, à la différence de tous ceux de génération qui adulaient la littérature arabe classique et orientale, son engagement se manifesta tout de suite pour la littérature tunisienne. Il fut ainsi parmi les premiers à intéresser les étudiants tunisiens à leur propre patrimoine littéraire dont les grands noms ne manquaient pas pour lui. Taoufik Baccar éveilla ainsi les jeunes gens qui suivaient ses cours aux écrits de Mahmoud Messaâdi (de l'œuvre duquel il était considéré comme le meilleur spécialiste), Ali Douagi, Mohamed Aribi, Béchir Khraïef... et toutes les plumes qui s'activaient dans le groupe «Taht Essour» (Sous les Remparts). Mais la littérature n'était pas la seule déesse des arts qu'il affectionnait car son intérêt s'étendit également à l'art figuratif dont les grands noms, tels que Triki, Ben Salem, Belkhoja... étaient devenus une autre encre pour sa plume. «3ouyoun el mou3açara», la mémoire et la trace Des intérêts innombrables dont il avait tenu, dès le début, à garder une trace pour la postérité et c'est ainsi que la mémoire culturelle tunisienne retiendra à jamais que Taoufik Baccar avait dirigé jusqu'à sa disparition la collection ‘'3ouyoun el mou3açara'' qu'il avait fondée avec Mohamed Masmoudi, le doyen de Sud Edition. Une collection qui ne cessa pas de paraître depuis les années 1970 et dont la vocation était de faire connaître les plumes tunisiennes qui s'affirmèrent successivement sur la scène littéraire de notre pays, et tels que Ali Douagi (dont il soutenait les pièces radiophoniques), Mahmoud Messaâdi, Béchir Khraïef, Aroussia Nalouti, Hsan Nasr, Mohamed bardi, Abdeljabbar Euch, Emna remili... ainsi que des plumes arabes comme Nizar Kabbani, Mohamed Darwich, Abdelwahab Bayati, Emile Habibi, Hannah Mina... Pourtant, il n'était pas lui-même prolifique en matière de publication, se suffisant à des recueils de poésie et de nouvelles et à une série d'études académiques dans les revues de l'Université tunisienne. Agitateur dans le sens le plus culturel du terme, il était également parmi le groupe d'universitaires tunisiens qui, de retour de Paris au début des années 1960, avaient créé le magazine ‘'Attajdid'' (Le renouveau) ; essentiellement deux communistes : Taoufik Baccar et Salah Guermadi, et deux Destouriens : Monji Chemli, Abdelkader Méhiri. Un magazine qui s'illustrera comme l'une des expériences les plus marquantes de l'histoire moderne de notre pays. Membre du parti communiste depuis sa jeunesse, il a joué avec Salah Guermadi un rôle majeur dans la conviction du parti de soutenir la cause de l'indépendance tunisienne mais tous deux, en compagnie de Noureddine Bouarrouj, le quittèrent en 1970 après le 7e congrès en dénonçant son rôle dans l'expérience désastreuse du collectivisme.