Grande mutation dans les prisons tunisiennes avec cette nouvelle expérience unique qui a permis aux familles des détenus de partager la rupture du jeûne avec leurs enfants durant le mois de Ramadan. Une première inédite, digne d'une Tunisie, respectueuse des droits fondamentaux de tous ses citoyens sans exception aucune. La prison de la Rabta à Tunis, a vécu, ce mercredi 7 juin, une journée mémorable en ouvrant ses portes devant les membres des familles des détenus pour leur permettre de rompre le jeûne avec leurs enfants. L'émotion des retrouvailles était bien palpable. On n'oubliera pas de sitôt les scènes de ce jeune détenu étreignant son enfant qu'il n'a pas vu depuis une longue période, de ce père, les larmes aux yeux, assis auprès de son fils, de cet artiste peintre qui a insufflé la vie aux murs de la prison. Préserver la dignité des détenus dans les prisons Il est 18h00. On se présente devant la prison de la Rabta. On ne trouve aucune difficulté pour accéder à l'intérieur. Notre mission est facilitée par Kaïs Soltani, porte-parole de la Direction des prisons et de la rééducation, et Hanen Halloumi, du bureau des relations avec le citoyen, qui insiste, lors de notre rencontre, à mettre en exergue les grands changements observés dans les prisons dans notre pays. «Il faut conjurer cette mauvaise image portée à tort à propos des lieux carcéraux où la torture et la maltraitance sont pratiquées d'une façon systémique». L'organisation est impeccable et les agents de la prison s'efforcent à tout mettre en ordre avant l'arrivée des familles des détenus. Le colonel Slaheddine Badrouni, directeur de cette prison, nous explique que cette action est une initiative prise par le ministère de la Justice et la Direction générale des prisons et de la rééducation. Elle a une dimension humanitaire et s'instaure dans le cadre de l'application de l'article 30 de la Constitution tunisienne, qui stipule que : «Tout détenu a droit à un traitement humain qui préserve sa dignité. Lors de l'exécution des peines privatives de liberté, l'Etat doit considérer l'intérêt de la famille et veiller à la réhabilitation du détenu et à sa réinsertion dans la société». On vise aussi la consolidation des liens entre le détenu et sa famille dans le cadre de la politique générale de l'Etat, axée sur la prévention de la récidive et la réinsertion sociale du détenu, souligne encore le colonel Slaheddine Badrouni. Et d'ajouter que 17 détenus sur un total d'environ une centaine ont été choisis pour bénéficier de cette initiative, en raison de leur bonne conduite. Mais la direction de la prison a préparé une autre surprise pour tous les détenus, sans exception, celle de les faire convier à la fête organisée le soir-même. Le colonel Badrouni explique que cette prison est un peu spéciale. Elle est destinée en prime lieu aux personnes qui doivent bénéficier de soins à l'hôpital la Rabta et ceux qui sont mis à l'épreuve des travaux d'intérêt général. Pour conclure, il fait remarquer que le nombre des détenus impliqués dans les affaires de stupéfiants a augmenté par rapport aux années précédentes, caractérisées par le nombre élevé des personnes jugées pour vol. De jeunes garçons et un artiste peintre derrière les barreaux Il est environ 18h30, quand les familles des détenus ont commencé à affluer. Une petite visite dans les pavillons de la prison fut pour nous une opportunité unique pour découvrir l'univers carcéral. On est d'emblée frappé par la beauté des fresques murales qui sont l'œuvre d'un détenu, nous dit l'un des agents en place. Un artiste peintre qui s'est retrouvé derrière les barreaux après une lourde condamnation de six ans. C'est vrai, la Rabta est une prison un peu spéciale. Les agents donnent les noms des détenus qui sont autorisés à partager la rupture du jeûne avec leurs familles. Des jeunes en majeure partie condamnés pour vol, violence et surtout pour drogue. On va à la rencontre de cet artiste qui a laissé ses empreintes de peintre avéré sur les murs de la prison de la Rabta. Ses fresques traduisent une communion avec une liberté perdue et qu'il tente de retrouver à travers son pinceau. C'est lui qui le confirme. Il ajoute, non sans regret, qu'il a comme l'impression d'avoir perdu beaucoup de choses dans la vie, d'autant plus qu'il a un fils âgé de 19 ans. Sa peine est un peu lourde, il a écopé de 6 ans de prison en raison d'une affaire de stupéfiants. «Je vivais pourtant bien et j'étais décorateur dans les hôtels», conclut-il. La bonne nouvelle est que la direction de la prison s'est penchée sur son cas. Hanen Halloumi, du bureau des relations avec le citoyen, nous a fait part de l'intérêt que portent les responsables de la prison pour son cas, en raison de sa très bonne conduite. «On va tenter de lui obtenir une grâce spéciale et l'assister pour monter un projet dans le domaine de la décoration, et ce, dans le cadre du projet de la réhabilitation et de réinsertion des prisonniers», nous confie Mme Halloumi. Emouvantes retrouvailles entre les détenus et leurs familles Ils sont très bouleversants ces moments de retrouvailles entre les détenus et leurs familles. Les gorges sont nouées et l'émotion est très forte. La séparation forcée est bien déchirante et pénible à vivre. La prison ne bouleverse pas seulement la vie du prisonnier, mais aussi de toute la famille. L'un des détenus, âgé d'une trentaine d'années, ne pouvait retenir ses larmes à la vue de son enfant qui n'avait que trois ans. Il le prend dans ses bras, l'étreint longuement. Ce détenu est condamné à un an de prison, selon les dires de son père. Ce dernier, ainsi que la mère, tiennent à remercier tous ceux qui ont contribué à ce rapprochement entre les prisonniers et leurs familles. Un autre détenu est attablé à côté de sa mère et de son père. Agé de 21 ans, il a été condamné à un an et trois mois de prison. Le père nous déclare amèrement que son fils avait obtenu son bac et comptait aller tenter sa chance au Canada, mais le sort en a voulu autrement. N.B. âgé de plus d'une soixantaine d'années est condamné à 15 ans de prison. Il n'a pas rompu le jeûne avec sa famille depuis 13 ans. «C'est comme si je venais de quitter la prison et recouvrer ma liberté», nous dit-il. Il a été muté à cette prison dans l'attente d'être hospitalisé à l'hôpital de la Rabta. «J'aimerai bien être libéré pour pouvoir mourir sereinement à la maison et je conseille aux jeunes surtout d'éviter les problèmes pour ne pas finir à la prison et se trouver privé de liberté». Le chanteur Hédi Donia anime la soirée Après la rupture du jeûne, la prison s'est métamorphosée en une véritable salle des fêtes. Les chanteurs populaires Hédi Donia et Moncef Abla sont passés par là. Ils ont enflammé l'ambiance. Le gouverneur de la ville de Tunis et ancien ministre de la Justice Omar Mansour était parmi les invités à côté du directeur général de la Direction des prisons et de la rééducation. Dans un bref entretien qu'il nous a accordé, M. Mansour a déclaré que cette initiative est une occasion pour rassembler tout le monde durant le mois de Ramadan. «Quelqu'un qui a été incarcéré ne veut pas dire qu'il doit être considéré comme une personne rejetée par la société, cela était toujours ma position quand j'étais à la tête du ministère de la Justice», a-t-il tenu à dire, confirmant ainsi la nécessité d'une approche humanitaire dans la politique carcérale de l'Etat. «On a beaucoup progressé et on espère que dans le futur, il n'y aura plus de prisonniers dans notre pays», ajoute-t-il. «De nos jours, les mentalités ont évolué, mais le plus important est de ne pas omettre que la personne incarcérée demeure avant tout un être humain». L'ambiance était festive avec les deux chanteurs Hédi Donia et Moncef Abla qui ont pu libérer les détenus de leur stress et de leur monde carcéral le temps d'une soirée à marquer d'une pierre blanche. Quelques prisonniers profitent de cette ambiance pour danser, se défouler et oublier. Ce soir, la prison de la Rabta s'est transformée en une grande salle des fêtes. La joie était à son apogée du côté des prisonniers et leurs familles. La soirée fut ponctuée par la remise de cadeaux, en guise d'aide, à quelques détenus dont la conduite en prison est exemplaire. L'image du directeur général de la Direction des prisons et de la rééducation en train de remettre un cadeau à l'un des jeunes prisonniers et l'embrasser est un geste imbu de messages positifs que doivent saisir les détenus.