La première consultation nationale vient d'être lancée auprès de la société civile. Toutefois, celle-ci n'y croit pas beaucoup C'était, hier matin, depuis le Centre international des technologies de l'environnement de Tunis (Citet), que M. Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l'Homme, a donné le coup d'envoi « d'une première consultation nationale sur l'élaboration du nouveau cadre juridique régissant les associations ». Soit une loi organique remplaçant l'actuel décret-loi 88-2011 qui semble, à vrai dire, moins rigide et juridiquement restreint pour mieux réorganiser le tissu associatif, devenu, en quelque sorte, débordant, et dont le nombre a doublé en l'espace de six ans après la révolution. Aujourd'hui, on compte 20 mille associations à vocations différentes, alors qu'elles étaient, avant, à peine neuf mille. Leurs activités, faut-il le dire, ne sont pas, pour une partie, en règle, et encore moins conformes à la loi en vigueur. D'où des soupçons de corruption ont été signalés. M. Ben Gharbia n'en a évoqué qu'une centaine, déjà identifiées auprès du ministère de l'Intérieur. Qu'en est-il au juste ? Et pourquoi un cadre juridique nouveau ? Aux dires de Ben Gharbia, le maître d'œuvre de cette initiative législative, le décret-loi 88-2011 régissant les associations n'a pas la force du caractère pour assurer tout contrôle administratif et financier. Leur mode de gestion, la nature d'activités exercées et même les fonds ou les donations qu'elles ont régulièrement reçus rien n'est vraiment assez transparent. Et d'arguer que ledit décret-loi souffre de pas mal des failles organisationnelles, procédurales mais aussi un certain vide juridique à combler. D'autant plus qu'il n'est pas aussi constitutionnel, au sens de l'article 65 de la constitution du 27 janvier 2014. Ce dernier stipule ce qui suit : « Sont pris sous forme de lois organiques les textes relatifs, entre autres, à l'organisation des partis politiques, des syndicats, des associations, des organisations et des ordres professionnels et leur financement.. ». D'où il importe, ici, de rendre un tel cadre juridique plus adapté, en harmonie tant avec l'esprit de la constitution qu'avec les standards internationaux. Le ministre a tenu à proposer une plateforme électronique, en guise d'une base de données propre au tissu associatif, dans ses états. Un même objectif pour deux L'objectif primordial, rassure-t-il encore, ne vise absolument pas le rétrécissement de la marge des libertés acquises en termes de création d'associations ou de leur exercice sur le terrain. Aucune menace ou pression ne s'opère sur leur existence, à condition que tout se fasse dans la dentelle. Dans la transparence requise. « Nous avons le même objectif », insiste-t-il encore. D'ailleurs, le directeur général du centre Ifeda, était on ne peut plus clair et direct : «Il y aura tendance vers l'application de la loi et la rationalisation de la gouvernance associative». Cette première consultation, qui ne sera surtout pas la dernière, se veut ainsi un débat fécond et ouvert à toutes les composantes de la société civile nationale, à même de réfléchir ensemble sur un nouveau cadre juridique. Le tout dans une approche participative. De son côté, le secrétaire général du gouvernement, Ahmed Zarouk, a juré de ne pas toucher aux fondamentaux de l'action associative. « Notre objectif est plutôt constructif. L'édifice démocratique ne saura se réaliser sans une société civile efficace», lance -t-il, indiquant qu'un nouveau cadre juridique demeure extrêmement important et pour le gouvernement et pour les associations. Cela, poursuit-t-il, est bien évident dans l'article 35 de la Constitution, lequel insiste sur la liberté de créer des partis, des syndicats et des associations. Sauf que chaque formation s'engage, dans son statut et ses activités, au respect des dispositions juridiques en place, au principe de la transparence financière et au rejet de la violence. Mal à propos ! Toutefois, ces arguments, tels qu'avancés par le gouvernement pour renforcer sa position à l'égard du nouveau cadre juridique relatif aux associations, ne semblent pas convaincre un nombre important des représentants d'associations et d'organisations. Ni le discours de Ben Gharbia, ni celui de Zarrouk ou même l'intervention d'appui du directeur du centre Ifeda ne sont parvenus à dissiper leurs craintes franchement exprimées. « Pourquoi doit-on changer un décret-loi bien soutenu et qui fournit autant de garanties aussi bien juridiques qu'organisationnelles ?, se demande Sana Ben Achour, présidente de l'association « Bayti » (ma maison) œuvrant dans l'hébergement des femmes sans soutien. « Franchement, la rectification des lois régissant les libertés présente un risque sérieux. D'autant que la mise hors d'usage d'un décret-loi en vigueur, il y a à peine 6 ans, donne une image d'instabilité», s'exprime-t-elle. Pour Moez Ben Rejeb, président de l'académie de la société civile à Kébili et secrétaire général de l'association « Joussour » à Tunis, la création envisagée d'une nouvelle loi organique dénote de mauvaises intentions. « Elle ne serait, en fait, qu'une manœuvre juridique qui ne dit pas son nom, visant à mettre le tissu associatif au pas », craint-il. Car, explique-t-il, réformer une loi, c'est, tout d'abord, justifier ses défaillances et puis mettre les points sur les i pour savoir où nous allons. « Sinon, parler, ici et maintenant, d'un nouveau cadre organisant les associations, alors que nous avons déjà un décret-loi, fait planer beaucoup de doute et nourrir de la mauvaise foi». Pour conclure, Ben Rejeb préfère voir le gouvernement accorder davantage d'intérêt au financement public destiné aux associations que de réinventer la loi. « Un cadre juridique mal à propos », juge-t-il.