La crise de Nida Tounès a ébranlé la scène politique nationale, fragilisé les équilibres au sein de l'Assemblée des représentants du peuple et ouvert la voie à une nouvelle recomposition dont les contours sont encore flous. Le parti a perdu son statut de premier groupe parlementaire au profit de son ancien rival devenu partenaire, le mouvement Ennahdha Le mouvement Nida Tounès a célébré le 16 juin le 5e anniversaire de sa création sur fond de divisions et d'affrontements. Pour marquer cet événement, le père fondateur Béji Caïd Essebsi s'est contenté de recevoir dans la discrétion quatre membres triés sur le volet, à savoir Houda Naguedh, la veuve du «martyr du mouvement» Lotfi Naguedh, Mustapha Ben Saïd, le doyen des coordinateurs régionaux, Chakib Bani, le plus jeune député membre du groupe parlementaire de Nida à l'ARP, et Rabeb Sebaï, la benjamine des membres actifs du mouvement. Il devait se lamenter en son for intérieur de voir l'édifice qu'il a construit avec des militants engagés autour d'un idéal commun s'effondrer comme neige. Le mouvement qui lui est cher s'est effrité et ce qu'il en reste n'est plus qu'une fausse résonance de cette formation annoncée pour dominer la scène politique nationale. Ce parti qui se réclamait du mouvement réformateur apparu pendant la seconde moitié du XIXe siècle, mouvement initié par Kheireddine Pacha et perpétué par d'autres grands réformateurs tels que Tahar Haddad, Abdelaziz Thaâlbi, Tahar Ben Achour, Mohamed Ali Hammi et bien entendu Habib Bourguiba, ambitionnait de contrer l'hégémonie du mouvement Ennahdha, arrivé au pouvoir après les élections de la Constituante en octobre 2011. Mais l'ennemi d'hier est devenu l'allié d'aujourd'hui et les deux lignes parallèles ont fini par se rencontrer. Un rêve furtif L'histoire de Nida Tounès est celle d'un rêve furtif vite dissipé par «les problèmes insurmontables du mal et de l'erreur». Rarement un parti aura été aussi rapidement abîmé après avoir remporté « le doublé » présidentielle et législatives. Au point que plusieurs parmi ses dirigeants qui ont quitté le navire ont acté sa «mort» et la fin d'un beau rêve. Depuis sa création en juin 2012, Nida Tounès contenait en son sein les symptômes de la division. Et si son président fondateur, Béji Caïd Essebsi, a réussi, tant bien que mal, à contenir les velléités scissionnistes, le spectre de la division a éclaté au grand jour après son élection à la présidence de la République. Le linge sale a, alors, été étalé au grand public. «Le fracas des destins personnels» a fini par ruiner les objectifs d'un parti qui a soulevé beaucoup d'espoir chez les Tunisiens, mais qui a fini par les désenchanter. Les frères d'hier sont devenus les ennemis d'aujourd'hui et chacun est allé de son côté, amenant dans son sillage partisans et courtisans, laissant la base des militants dans l'imbroglio total. Miné par une guerre de clans et d'ambitions, toutes les tentatives pour sauver ce qui reste d'un parti en pleine décomposition ont été vouées à l'échec. Annoncé comme étant un congrès consensuel, le congrès de Sousse organisé au mois de janvier 2016 a fini par consacrer la rupture définitive entre les parties rivales et fractionner la direction qui en est issue. Cette «épuration ethnique», pour reprendre les propos de Boujemaâ Remili, repris plus tard par la députée Sabrine Goubantini, a précipité la scission du mouvement avec la formation d'un nouveau parti, «Mouvement Machrou Tounès», autour de l'ancien secrétaire général Mohsen Marzouk et la constitution d'un nouveau groupe parlementaire, «Al Horra». L'hémorragie a continué avec le départ d'un autre fondateur Ridha Belhaj, l'architecte du congrès de Sousse qui a formé avec un autre groupe de dirigeants une direction provisoire du parti, contestant la légitimité de la direction actuelle conduite par le directeur exécutif Hafedh Caïd Essebsi, le «représentant légal du parti». Et même s'il a été débouté par la justice, il ne désespère pas de «récupérer l'épave» (dixit Lazhar Akremi). Ne restent dans l'oued que ses galets Tout a commencé lors de cette fameuse réunion de Djerba, le 18 octobre 2015. Convoquée par Hafedh Caïd Essebsi, qui présidait alors la commission des structures, elle a provoqué une blessure béante dans le corps du parti dont il ne guérira pas. Tous ceux qui l'ont boycottée, dont le président intérimaire Mohamed Ennaceur, ont été tout simplement écartés. Il en est de même pour la plupart des membres fondateurs qui se sont trouvés éjectés d'un mouvement qu'ils ont contribué à en faire la première force politique du pays, comme de vulgaires intrus. Le coup fatal fut donné dimanche 1er novembre 2015 à Hammamet où les militants du parti, munis de bâtons et de gourdins, se sont livrés à une bataille rangée. Les images transmises par les chaînes de télévision et partagées sur les réseaux sociaux ont fini par discréditer le parti aux yeux de l'opinion publique. La crise de Nida Tounès a ébranlé la scène politique nationale, fragilisé les équilibres au sein de l'Assemblée des représentants du peuple et ouvert la voie à une nouvelle recomposition dont les contours sont encore flous. Le parti a perdu son statut de premier groupe parlementaire au profit de son ancien rival devenu partenaire, le mouvement Ennahdha. L'arrivée de nouvelles figures qui ont été propulsées aux premières loges et l'alliance scellée avec l'ennemi d'hier, concrétisée le 6 juin par la création d'un haut comité de coordination, ont été contestées par plusieurs membres de l'instance politique dont des députés. Les coordinateurs régionaux, pas tous certes, qui sont la cheville ouvrière du mouvement et qui sont réputés proches du directeur exécutif Hafedh Caïd Essebsi, s'insurgent contre la mise à l'écart des membres fondateurs et l'usurpation de leur parti par les nouvelles recrues. Ils rejettent de manière catégorique son alignement sur Ennahdha, qui risque de précipiter le parti dans l'abîme, s'il ne l'est pas déjà. Rien de mieux que ce texte sarcastique du dirigeant de Nida Tounès Abdessatar Messaoudi, pour résumer l'état de Nida Tounès. Il a célébré à sa manière le 5e anniversaire du parti dans un post publié sur sa page Facebook. «Les fondateurs légitimes ont été mis à l'écart et l'héritier biologique a fait acte de présence à leur place. A mes frères, je dirais patience, patience, ne restent dans l'oued que ses galets». «En politique, toute faute est un crime», disait un écrivain français. Et tout crime est passible d'une sanction. Celle des urnes, dans le cas d'espèce.