Samir Makhlouf nous demande si nous avons jamais considéré l'Univers comme l'infinité des existences potentielles, si nous envisagerions la folle idée de la théorie des univers simultanés. Et ces interrogations étonnamment singulières ne sont pas posées par l'auteur tant pour éprouver nos capacités intellectuelles et conceptuelles, que pour nous éveiller à cette vérité que la terre que nous ne cessons de malmener par nos excès nous implore de lui donner une seconde chance. «Je me souviens de m'être calé progressivement sur des points de passage en faisant coïncider par ma pensée des seuils d'inertie avec l'inertie de mes sens. Je me souviens d'avoir validé le dernier seuil qui pourrait correspondre à une sorte de contrat tacite entre moi en mon interlocuteur dénommé Salyé, d'avoir accepté la permutation de la conscience», se remémore Savo Najevic (à prononcer Nayévitch). Nous sommes dans un univers cohérent obéissant à une axiomatique précise établie par l'auteur et donnant toute leur légitimité à des pratiques qui nous invitent aux rapprochements entre l'avant-garde et la science-fiction : «Je me souviens vaguement que j'étais dans ma chambre à Srb (à prononcer çèrbe). J'avais mon écran rétinien sur les yeux. J'étais en train de manipuler des sortes d'équations que je dissolvais au feeling et qui capturaient toute mon attention sur le site Gayagroove», nous explique, à la première personne du singulier, le premier personnage du roman qui nous entraîne derrière lui dans un thriller intergalactique. Le dernier stade de l'histoire dialectique de l'humanité Il est délocalisé dans le corps d'une femme, découvre-t-il. Le territoire de stupeur est splendide. Il va rester quatre jours (en mesure terrienne) à Gayeh. C'est en se revêtant de cette nouvelle identité que Savo va s'éveiller à une vérité oppressante, là où entre l'alpha et l'oméga des 366 planètes similaires à la Terre que compte l'Univers, il existe un décalage de 300 ans d'évolution. Et, dans ce classement, la Terre est au dernier stade de l'histoire dialectique de l'humanité. Car ce voyage de Savo dans Gayeh à l'autre bout de l'Univers lui fait voir d'autres réalités, d'autres aboutissements et surtout d'autres entendements. Une sorte de sens commun intergalactique qui finit par l'éveiller à cette vérité que notre Terre que nous ne cessons de malmener par nos excès en est sans nul doute à nous implorer de lui donner une seconde chance. C'est dans ce but, nous semble-t-il, que Samir Makhlouf nous a demandé clairement si nous avons jamais considéré l'Univers comme l'infinité des existences potentielles, et si nous envisagerions, donc, la folle idée de la théorie des univers simultanés ; pour nous faire entrevoir qu'au rythme où nous nous en prenons à notre propre terre, il serait sage de commencer déjà à chercher un autre endroit où installer les Terriens quand (et pas si) les choses tourneront au vinaigre. Nos choix et l'avenir de notre planète En tant que Terrien, Savo n'a malheureusement pas assez de maturité, de recul et surtout de connaissances pour tirer la sonnette d'alarme sur l'avenir de la terre et c'est son vis-à-vis, habitant son corps pour quatre jours, Salyé, qui s'en charge. Des manipulations complexes pour attirer l'attention qui culminent par un procès sur une île de la nouvelle démocratie terrienne. Savo est accusé d'avoir bloqué l'économie mondiale en inoculant un virus aux deux systèmes de finance et d'identité... Ce n'est pas lui, c'est Mayali (l'autre nom de Salyé), mais il ne peut pas le prouver. C'est là que le destin s'en mêle et que son avocat, simple terrien moyen, surprend tout le monde. La complot est prouvé. On a simulé le dérèglement des deux plateformes universelles sur les finances et les données personnelles. Il n'y a jamais eu de virus et il ne faut qu'une seconde pour tout remettre en marche. Tout n'était qu'une farce. Paradoxalement, c'est le moins brillant de tous les premiers personnages du roman qui démantèlera le stratagème. La plaidoirie de Maître Belaskes, l'avocat commis d'office qu'on croyait dénué de la moindre envergure, a immédiatement vu clair dans le jeu en comparant l'attitude extrémiste du procureur qui demandait la haute rigueur à l'attitude de son client, Savo, qui ne s'était attaché qu'à sa propre cohérence, exactement comme le ferait un ambassadeur ou un humble messager. Un monde conceptuellement cohérent, construit de toutes pièces, non avare de paroles vertigineuses qui avertissent que d'autres vies sont possibles, des meilleures aux pires, et que ce sont nos choix qui traceront notre avenir et celui de notre planète. L'homme de Gayeh, 246p., mouture française Par Samir Makhlouf Editions Contraste, 2017 Disponible à la Librairie al Kitab, Tunis