L'Organisation mondiale contre la torture (Omct) s'inquiète de nombreux cas de représailles et d'intimidation contre ceux qui ont le courage de déposer plainte Pour la première fois, le Conseil exécutif de l'Organisation mondiale contre la torture (Omct), composé d'experts issus de la plus grande coalition internationale d'organisations de la société civile actives dans la lutte contre la torture, s'est réuni du 2 au 4 octobre en Tunisie en vue de faire le point sur les politiques anti-tortures dans le monde. Malgré toutes les avancées législatives enregistrées dans la lutte contre cette violation grave des droits de l'homme en Tunisie, le Conseil exécutif de l'Omct constate des lenteurs dans le processus de réformes. Lors d'une conférence de presse organisée mercredi, le Conseil exécutif s'est inquiété du grand nombre de plaintes déposées auprès des tribunaux et qui n'ont, jusqu'à ce jour, abouti à aucun jugement pour torture. Pis encore, le Conseil exécutif a été informé de nombreux cas de représailles et d'intimidation contre ceux qui ont le courage de déposer plainte et de demander de l'aide. Pressions et faux procès « Sur les 200 victimes de torture qui ont fait appel depuis 2013 à nos centre « Sanad », à Sidi Bouzid et au Kef, seuls 90 ont porté plainte. Les autres se sont contentés de l'assistance médicale et sociale que nous leur fournissons. Car ils savent qu'ils peuvent faire face à des représailles ou à des menaces de représailles», explique Camille Henry, qui travaille au bureau de Tunis de l'Omct. Jusqu'à ce jour, aucune décision de justice, proportionnelle à la gravité de ce crime, n'a été rendue sur le fondement de l'article 101 bis du Code pénal tunisien qui sanctionne les actes de torture. Chose qui consacre l'impunité et fragilise encore plus les victimes. Camille Henry rapporte des cas précis de pressions sur les victimes recueillis à travers le réseau d'avocats de Sanad. Ainsi Habib, asthmatique, est incarcéré avec plusieurs prisonniers dans une cellule où on fume à longueur de journée. Pour des raisons de santé, il demande à être transféré dans une chambrée moins encombrée. Réponse des gardes : des coups et des violences. Il porte plainte et se voit la maltraitance se démultiplier pour le forcer à se rétracter. Les époux Mongia et Mohamed Ali subissent une descente policière musclée. Mongia est traînée par les cheveux sur plusieurs mètres de la voiture. Elle dépose une plainte devant la justice. Des faux procès sont alors montés contre Mohamed Ali pour faire plier le couple. Le mari se retrouve obligé de rester à l'étranger où il était précipitamment parti chercher refuge. Des mesures disciplinaires s'imposent Les pratiques de chantage sont courantes à ce niveau : on rôde autour de la maison de telle victime le sourire menaçant, on incite un propriétaire à expulser une autre, on harcèle la fille d'une telle autre, on propose un pseudo dédommagement... « Un grand nombre de personnes ayant dénoncé leurs tortionnaires se trouvent accusées d'avoir violé l'ordre public ou porté atteinte à des biens publics. Ils sont condamnés rapidement. Leurs plaintes ne progressent jamais selon la même vitesse que celles des agents de sécurité », affirme Mokhtar Trifi, vice-président du Conseil exécutif de l'Omct. La non-rétroactivité de la loi pénale ajoutée au refus des officiers de la police judiciaire de recevoir les plaintes des victimes de torture par esprit de solidarité et de corporatisme compliquent encore plus l'exercice de la justice. Résultat : les pressions et les représailles s'étendent également aux avocats, aux magistrats et aux militants des droits de l'Homme. « C'est important aujourd'hui qu'il y ait au moins une condamnation d'un acte de torture exercé par un agent de police. Ce serait là un signal fort adressé aux victimes. Qu'on prenne au moins des mesures internes de discipline contre les tortionnaires. Malheureusement certains ont été promus. Comment empêcher alors les victimes de retirer leurs plaintes et d'avoir peur ? », s'interroge Camille Henry. Dans un communiqué de presse publié hier par le Conseil exécutif, l'Omct a déclaré : « Le véritable test d'un processus de réforme accompli sera la fin de l'impunité ». L'Omct a par ailleurs ajouté : « Nous espérons que l'engagement exprimé lors de nos rencontres avec le Président de la République et le chef du gouvernement se traduira par des mesures claires et concrètes pour que les auteurs d'actes de torture soient traduits en justice et que des mesures qui protègent les victimes contre toute forme de représailles soient prises ».