Par Samira DAMI Il s'agit d'une première sous nos cieux : «Regards de femmes», un festival de cinéma entièrement dédié aux femmes est né. Cette manifestation se tiendra tous les ans à Hammamet et sa première édition est prévue du 18 au 22 octobre au CCIH (Centre culturel international de Hammamet). A l'instar de «Femmes en cinéma», festival fondé en février 2017 à Paris et qui décline le même enjeu : valoriser et rendre plus visible le cinéma féminin, «Regards de femmes» offre aux festivaliers un florilège de films des plus récents, entre courts, moyens et longs métrages de fiction et documentaire, réalisés par des femmes cinéastes, notamment des deux rives de la Méditerranée. Outre les projections de films suivies de débats, ainsi que les rencontres et un concert-événement, cette manifestation rendra hommage à la cinéaste Kalthoum Bornaz disparue tragiquement en septembre 2016. Le parcours de cette réalisatrice mais aussi script, monteuse et assistante et productrice est typique de ceux de la génération de femmes qui ont investi le secteur du cinéma, sous nos cieux, dont Salma Baccar et Moufida Tlatli. Car, avant de passer derrière la caméra, Kalthoum Bornaz avait travaillé sur plusieurs films nationaux et internationaux, en passant par tous les départements (script, montage, assistanat). Ainsi, en tant qu'assistante, elle a secondé plusieurs réalisateurs d'ici et d'ailleurs, tels Abdellatif Ben Ammar, Claude Chabrol, Franco Zefirelli et autres. Dans les années 80, en 1986 précisément, elle réalise son premier court-métrage «Couleurs fertiles». Suivront trois autres courts métrages, dont «Nuit de noces à Tunis» produit pour la chaîne Arte. Puis en 1988, elle réalise un moyen métrage «Trois personnages en quête d'un théâtre» dont l'enjeu est la sensibilisation des Tunisiens à la nécessité de sauvegarder nos temples et édifices culturels et artistiques puisqu'il était question en 1986 de démolir l'unique théâtre (municipal) de la capitale, construit du temps de la colonisation, en 1902, cela afin d'abriter à sa place une partie du centre commercial, lui aussi érigé à la place de l'ancien complexe du Palmarium et son immense salle de cinéma. Ce qui a causé une perte énorme pour le parc cinématographique. La critique avait accueilli à bras ouverts ce moyen métrage en mentionnant qu'«il a contribué à sauver le Théâtre municipal de la démolition». Kalthoum Bornaz est passée ensuite à la réalisation de longs métrages : «Keswa, le fil perdu» (1998) et «L'autre moitié du ciel» (2008). Elle s'apprêtait à réaliser un 3e long métrage, mais le destin en a voulu autrement. Bref, la plupart des films de Kalthoum Bornaz se distinguent par une sensibilité à fleur de peau. Est-ce là une spécificité propre au cinéma féminin ? Les débats qui suivront les projections de films ainsi que les rencontres prévues tout au long du festival tenteront de répondre à cette question et à bien d'autres. «Regards de femmes» propose, par ailleurs, une «Résidence d'écriture» du 14 au 22 octobre, destinée à dix femmes réalisatrices et scénaristes en provenance du sud de la Méditerranée et qui travaille sur un premier ou un deuxième court-métrage. Cet atelier sera dirigé par le réalisateur et producteur égyptien Babel Ramsis. Voilà une opportunité pour booster l'écriture cinématographique féminine et stimuler la création au féminin. Certes, de par le monde, les femmes cinéastes sont plus présentes sur la scène cinématographique et leurs films sont plus visibles qu'il y a quelques décennies. Mais la production féminine ne dépasse pas, à l'international, les 20% de l'ensemble de la production cinématographique avec des écarts très sensibles d'un continent à l'autre, l'Europe se plaçant au premier rang, le cinéma féminin représentant un taux de 16%. En tout cas, il est clair, au vu des programmes de certains festivals internationaux, que le nombre de cinéastes femmes africaines est en augmentation sensible, notamment sous nos cieux. Mais l'accès des films de femmes aux festivals internationaux n'est pas toujours facile et surtout l'accès aux récompenses. Ainsi, dans les festivals les plus prestigieux, les récompenses décernées aux femmes cinéastes ne sont pas du tout légion. A preuve une unique Palme d'or est venue, en 1993, récompenser la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion pour son film «La leçon de Piano». Et encore, elle lui a été décernée en ex æquo avec le réalisateur chinois Chen Kaige pour son film «Adieu ma concubine»! C'est tout dire ! Comme si une femme ne méritait pas d'avoir en solo la récompense suprême. Idem pour la «Mostra de Venise» où le lion d'or n'a été octroyé qu'une seule fois à une femme; en 2001, la réalisatrice indienne Mira Nair l'a remporté pour son film «Le mariage des moussons». Les Journées cinématographiques de Carthage ont décerné davantage de récompenses suprêmes au cinéma féminin, trois Tanit d'or ont ainsi échu à des femmes cinéastes : la Conglaise Sarah Maldoror a raflé, en 1972, le Tanit d'or, lors de la 4e session des JCC, pour «Sambiz ang a» en ex æquo avec «Les dupes» de Taoufik Saleh (Syrie). Encore en ex æquo! Lors de la 16e session, en 1996, c'est à Moufida Tlatli que le Tanit d'or a échu pour «Les silences du Palais» et enfin l'année écoulée, lors de la 27e session, Kaouther Ben Hania s'est vue décerner le Tanit d'or pour son documentaire «Zaineb n'aime pas la neige». Les festivals entièrement dédiés aux femmes cinéastes, tels ceux de Paris, Londres, Los-Angeles, Vancouver, Florence, Rabat et autres, contribuent à leur offrir des opportunités pour briller et valoriser leur talent, mais aussi à donner plus de visibilité au cinéma féminin. Bon vent !