«Je ne me sentirai libérée que lorsque je parviendrai à tirer un documentaire sur la révolution comme vue par Kalthoum dont elle avait, durant 5 ans, filmé différents étapes et aspects». C'était le vendredi dernier au siège de l'académie Beït al Hikma et cela a pris l'allure d'une rencontre-hommage. Un hommage rendu par Jalila Baccar et Zinelabidine Ben Aïssa à la cinéaste Kalthoum Bornaz et une rencontre autour de l'ouvrage «Kalthoum Bornaz, l'étoile à la recherche du fil perdu», signé par Alia Baccar. Cela fait un an déjà que la cinéaste nous a quittés (à l'âge de 71 ans) laissant derrière elle une belle carrière et plein de très bons souvenirs chez les siens et tous ceux qui l'ont connue. Kalthoum Bornaz fait partie de la première génération de femmes–cinéastes tunisiennes. Militante sans en faire un emblème, elle a su très bien représenter, rien que par sa manière d'être, la cause féminine, entre autres causes. Depuis 1968, elle a participé à de nombreuses productions en Tunisie et à l'international au poste de scripte, première assistante de réalisation et monteuse. Elle a également pris part au montage de «Vendredi ou la vie sauvage» de G. Vergès, «Pirates» de R. Polansky et «La Barbare» de M. Darc, et comme scripte et assistante à la réalisation de «Les Magiciens» de C. Chabrol, «Jésus de Nazareth» de F. Zeffirelli, «Les Baliseurs du désert» de N. Khémir. Après cette longue expérience de technicienne, elle a débuté une carrière de réalisatrice de courts et moyens métrages, dont «Couleurs fertiles» (1984), «Trois personnage en quête d'un théâtre» (1988), et enfin «Keswa – Le fil perdu» en (1997), son premier long métrage. C'est ce dernier qui a inspiré à Alia Baccar, écrivaine, professeure émérite des universités et sœur aînée de la cinéaste, son livre «Kalthoum Bornaz l'étoile à la recherche du fil perdu». «J'ai trouvé dans l'ecriture un refuge à ma grande peine, à mon traumatisme. C'était une manière de recréer l'illusion de sa présence et la garder vivante dans la mémoire collective», note-t-elle lors de cette rencontre. «Vis pour te souvenir d'elle», disaient les Grecs et Alia écrit aussi pour se souvenir d'elle et pour la tenir en vie dans la prospérité. Rien de mieux qu'un livre pour le faire, elle qui vénérait les livres à tel point que lors de son transport à l'hôpital, après l'explosion de gaz à son domicile qui lui a malheureusement coûté la vie, sa seule inquiétude était par rapport à sa bibliothèque... Ecrire oui mais de quelle manière ? «Il a fallu réfléchir à la forme. Au départ, j'avais l'idée de publier les trois scénarios qui lui ont été refusés par la commission. Mais j'ai fini par opter pour un écrit qui pouvait mieux la faire connaître, elle qui était tellement discrète. Une manière de rappeler son œuvre et ce qui a été écrit sur elle», explique la sœur. Elle nous livre ainsi des épisodes de la vie de Kalte, comme aiment à la surnommer ses proches, de l'enfance insouciante au sein d'une famille cultivée et moderniste, à ses études secondaires et supérieures (diplôme en littérature et en langue anglaise et des études de photographie cinématographique à Paris en 1968) pour arriver à sa carrière cinématographique qui a connu des succès mais aussi des moments moins heureux. L'ouvrage est préfacé par l'ami d'enfance, Férid Boughedir, dont le texte trace avec une douce nostalgie le parcours de la jeune Tunisoise. Il évoque une forte personnalité, celle d'une jeune fille d'avant-garde, moderniste par nature et qui «parle à égalité avec les garçons». «Je ne me sentirai libérée que lorsque je parviendrai à tirer un documentaire sur la révolution comme vue par Kalthoum dont elle avait, durant 5 ans, filmé différents étapes et aspects», conclut la sœur en lançant un appel à ceux que le projet intéresserait. Jalila Baccar nous a livré, à cette occasion, un émouvant hommage, se remémorant de la jeune fille passionnée par l'art et le cinéma, de la petite fille à la coiffure et habits bien soignés (dont la photographie est illustrée dans le livre entre autres clichés) qui renvoyaient à l'image de la parfaite Tunisoise mais dont le regard perçant disait long sur la future femme au caractère bien affirmé, d'une indépendance implacable et aux revendications bien assumées. Une femme qui n'a pas cessé d'inspirer ses proches à l'instar de l'un de ses neveux Badis Békir, qui a livré lui aussi son témoignage lors de cette rencontre. «Kalte était une tante exceptionnelle. Elle nous a transmis son amour pour l'art, pour la lecture et pour notre patrimoine culturel qu'elle défendait farouchement tout en s'ouvrant à d'autres cultures». Le jeune homme a lancé récemment l'association Bookmania, un nom suggéré par Kalthoum Bornaz qui en était la marraine. Une autre belle manière de vivre pour se souvenir d'elle