Alors que l'Etat hébreu ne cesse d'asseoir son pouvoir hégémonique en Afrique, les pays arabes continuent leur traversée du désert. Ces derniers sont presque absents du continent noir, se sont accordés à dire des analystes et experts arabes, réunis hier à Tunis. Prenant part à une conférence-débat sur le thème «L'expansion sioniste dans le continent africain», organisée par l'Association tunisienne de soutien à la Palestine, ces panélistes ont mis en garde contre un grand réveil des Israéliens et une «inertie assassine» des Arabes «L'Etat sioniste a, aujourd'hui, 11 missions diplomatiques en Afrique. Ces ambassades sont présentes en Afrique du Sud, en Angola, au Cameroun, en Côte d'Ivoire, en Egypte, en Erythrée, en Ethiopie, au Ghana, au Kenya, au Nigeria et au Sénégal. Et les Israéliens sont présents dans tous les domaines ou presque. Ils ont su capitaliser sur le remplacement de la notion de solidarité par celle d'intérêts particuliers», fait remarquer le chercheur tunisien en relations internationales Béchir Jouini. La bataille diplomatique, perdue Pour l'analyste, les Hébreux ont réussi à redorer leur blason dans le continent noir, en diversifiant les champs de leur activisme. « Longtemps rejeté par une grande partie des Africains pour avoir soutenu le régime d'apartheid en Afrique du Sud (politique de développement séparé opposant Noirs et Blancs, introduite en Afrique du Sud en 1948 et abolie en 1991, ndlr), le retour de l'Etat hébreu sur la scène diplomatique subsaharienne date, en effet, des années 80, selon des médias spécialisés. La République démocratique du Congo (ancien Zaïre) a repris ses relations avec Israël en 1982, le Libéria en 1983, la Côte d'Ivoire en 1980, le Cameroun en août de la même année et le Togo en juin 1987. Conformément aux explications du chercheur Jouini, l'Etat sioniste est parvenu à mettre en place un certain verrouillage de la politique proche-orientale des Etat africains, grâce à une présence multiforme, économique et politique dans le continent, en dépit de la décennie arabe en Afrique subsaharienne. « L'Union africaine (UA), précédemment appelée Organisation de l'unité africaine (OUA), a été dominée par une prise de position majoritairement pro-palestinienne depuis la guerre des Six Jours (1967-cette guerre opposa Israël à l'Egypte, la Jordanie et la Syrie) puis celle du Kippour (1973) ayant opposé Israël à une coalition arabe menée par l'Egypte et la Syrie. Mais Israël avait, parallèlement et discrètement, développé des relations avec certains alliés, dont le Kenya, l'Afrique du Sud de l'Apartheid », précise l'analyste. Aujourd'hui que les relations internationales sont régies, en premier lieu, par la logique des intérêts, l'Etat hébreu est présent dans tous les domaines du vécu en Afrique : politique, économie, culture, sport. Israël est plutôt dans le soft-power (manière douce de convaincre), de l'avis de Béchir Jouini. Les chiffrent parlent... Les échanges commerciaux entre Israël et l'Afrique subsaharienne ont été estimés à près de deux milliards USD en 2013, selon le dernier rapport de la base de données onusienne, Comtrade. Cette présence économique se présente, par les temps qui courent, sous divers aspects. Au Kenya, les entreprises israéliennes focalisent leur intérêt sur l'infrastructure hôtelière, alors qu'en Côte d'Ivoire, le groupe israélien Telemania a construit une centrale thermique au gaz naturel à Songon-Dagbé, banlieue d'Abidjan, pour un montant de 500 millions USD. En Afrique du Sud et au Botswana, les Israéliens s'orientent vers l'industrie diamantaire, d'après la même source. Les statistiques de l'Institut israélien des exportations et de la coopération internationale (IEICI) font aussi savoir que l'Afrique du Sud, l'Angola, le Botswana, l'Egypte, le Kenya, le Nigeria et le Togo figurent sur la liste des partenaires commerciaux réguliers de l'Etat hébreu. L'Etat sioniste jouit également d'une grande présence militaire. En effet, les ventes d'armes israéliennes à l'Afrique ont atteint, pour la seule année 2013 et uniquement pour l'Afrique de l'Ouest, quelque 223 millions USD, contre moins de la moitié l'année d'avant, selon Times of Israël. Vers la fin des années 1970, environ 35 % des ventes d'armes israéliennes se faisaient en Afrique, d'après «Jeune Afrique». A quand le réveil arabe ? A quand le réveil des Arabes ? Ainsi s'est interrogé le géostragtège palestinien Seifeddine Drini, lors de son intervention. «Face au pragmatisme des Sionistes, il y a une inertie arabe. Alors que certains pays frères se querellent et s'entretuent, l'Etat hébreu gagne davantage de terrain en Afrique. Les Arabes n'ont qu'à rattraper leur retard en puisant dans l'économie du savoir, en entreprenant une marche ensemble, solidaires et non en se gênant les uns les autres», a-t-il égrené. La présence des Arabes en Afrique demeure très modeste. En 2014, les exportations des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) vers l'Afrique subsaharienne se sont chiffrées à 19,7 milliards d'USD, soit 2% seulement des exportations totales du CCG. Dans le même temps, les importations du CCG en provenance de l'Afrique n'ont atteint que 5,5 milliards d'USD. La plus grande partie de ces importations était destinée aux Emirats Arabes Unis, notamment à des fins de réexportation. Achille Mbembe, chercheur camerounais à l'Université du Witwatersrand de Johannesburg (Afrique du Sud), préconise, par-delà, un renforcement de la coopération bilatérale entre les deux partenaires. Les contacts entre ces derniers ont précédé de plusieurs siècles l'instauration du régime colonial occidental. Ils n'ont ainsi qu'à renforcer la coopération bilatérale en lançant des projets économiques, culturels et militaires communs, de l'avis du chercheur qu'on a récemment interrogé, à ce propos. « Dans un monde multipolaire, ces partenaires ont intérêt à s'approcher les uns des autres pour résister à la convoitise des grandes puissances, être au diapason des évolutions technologiques et se faire une place dans le concert des nations », a-t-il alors expliqué. Pour Mbembe, la mort du dernier panafricaniste, l'ancien président libyen Mouammar Kadhafi, qui avait initié « des gestes significatifs en faveur de l'intégration régionale et du rapprochement entre l'Afrique et le monde arabe, a influé négativement sur le cours des choses ». «Les pays arabes sont plus ou moins absents de la course nouvelle vers l'Afrique », malgré plusieurs atouts favorables à un plus grand rapprochement entre les deux partenaires, pense l'analyste camerounais.