Par Azza FILALI La surinformation est la règle dans nos sociétés qui consomment de tout et se délectent de la rumeur. Pour nous Tunisiens, il semble même que le phénomène n'est pas né avec la modernité : l'expression « rumeur à Carthage » remonte aux temps ancestraux où il n'existait ni réseaux sociaux ni plateaux télévisés. Entre nos radios, nos chaînes télévisées et l'incontournable « Facebook », l'information s'agite, telle une folle du logis. Comme partout ailleurs, nous vivons une époque de surinformation : trop de nouvelles, d'opinions (qui se prétendent analyses) et vont dans tous les sens n'hésitant pas à se contredire, si elles sont assurées d'avoir un petit coup de buzz. Tout cela serait bénin et sans conséquence si les intervenants (journalistes, chroniqueurs, animateurs télé), s'attachaient à la vérité et respectaient les personnes, même en dénigrant leurs prises de position. Or, il y a problème : dès l'information transmise, nos médias y vont de leur rumeur; celle-ci enfle et prend des proportions telles qu'elle se transforme en quasi-vérité. A partir de là, on assiste à l'édification d'un scénario, souvent bien ficeAavis, des contre-avis. L'honnête citoyen tombe dans le panneau d'autant plus facilement que la prétendue information est présentée, analysée, disséquée par les ténors des émissions radio ou des plateaux télévisés. Jusque-là, rien de bien extraordinaire : tels ces poulets aux hormones, qu'on engraisse puis qu'on sacrifie, nous sommes en permanence gavés d'informations que nous prenons pour argent comptant, et plus ces informations se multiplient et se précipitent, moins notre esprit critique est à l'oeuvre : nous prenons alors pour vérité ce qui n'est que l'opinion de tel ou tel animateur. Mais là où le bât blesse, c'est lorsqu'il s'agit de contre-vérités, ou que la prétendue « analyse politico-politicienne » de nos chers ténors tourne à la calomnie. L'information (et les commentaires qu'elle charrie) est alors érigée en « affaire » qui agite les esprits et mobilise les langues qui se mettent à « tricoter » à tout-va... Il n'en est pour se convaincre que d'évoquer trois « affaires » récentes. La plus douloureuse concerne les conditions ayant entouré le décès du regretté ministre de la Santé, feu Slim Chaker : en l'espace de quelques heures on a vu surgir les supputations les plus contradictoires : un manque d'équipements à l'hôpital de Grombalia, un retard dans les soins prodigués qui fut fatal au ministre, tout cela sans que le ministère de la Santé n'ait pris la peine de réagir rapidement et de diffuser un communiqué pour faire taire une rumeur aussi délétère qu'indécente dans d'aussi pénibles circonstances. Autre affaire ayant fait « tricoter » les médias : l'élection de Hafedh Caïd Essebsi au poste de député représentant les citoyens tunisiens résidant en Allemagne. Là, le sujet était savoureux et a fait saliver nos chers ténors qui ont déployé tous leurs effets de manches : certains ont même élaboré un scénario selon lequel le fils du président, une fois élu, serait catapulté au poste de président de l'ARP et deviendrait alors logiquement candidat à la présidence de la République, en cas de malheur...Essebsi I, Essebsi II, et voilà le régime beylical qui nous rattrape, cela au moment où d'autres rumeurs ont fait état d'une possible modification de la Constitution par le président afin de restaurer le bon vieux régime présidentiel ! Loufoque, non ? Toute cette agitation a été étouffée dans l'œuf, à l'annonce du nom du prétendant de Nida Tounès au poste vacant à l'ARP. Mais il est une ligne rouge que les médias se doivent de respecter : en aucun cas, l'information ne saurait devenir calomnie, ou règlement de comptes. L'annonce par Ahmed Néjib Chebbi de la création d'un nouveau parti a servi de prétexte à certains commentateurs pour faire feu de tout bois, réglant en public et sous les dehors de l'analyse politique, des contentieux tout à fait personnels. Ce genre de procédé est inacceptable. Là on est en droit de se demander ce que fait exactement la Haica ? Comment exerce-t-elle ses prérogatives ? Pourquoi laisse-t-elle certaines discussions de plateaux télévisés tourner à un trivial règlement de comptes ? Suffit-il qu'un animateur de radio ou de télévision ait le vent en poupe pour tout se permettre, comme par exemple (et sous couvert d'interview) d'agresser un comédien humoriste en lui assenant qu'il ne fait pas rire, et qu'il joue devant des salles vides ? Labes ? Mouch Labes ! S'il est vrai que les médias représentent un troisième pouvoir, qu'ils exercent donc ce pouvoir avec discernement et sans se départir de l'indispensable respect dû aux thèmes qu'ils traitent ou aux personnalités qu'ils dénigrent ! Or respect et discernement manquent cruellement à nos médias. Dans ce cas, deux solutions s'imposent : que les personnes, agressées ou vilipendées par les médias, ne gardent pas un silence qui les dessert. Que, le cas échéant, leur institution de tutelle prenne publiquement position, pour faire taire la rumeur. Et surtout que la Haica fasse son travail, celui pour lequel elle a été créée, à savoir garantir la véracité de l'information (stop aux «faux et usage de faux») et veiller à ce que les médias gardent en toute circonstance le respect dû à tout un chacun. Après plus de six ans de liberté d'expression, nous sommes en droit d'exiger de nos médias des informations les plus proches possible des faits, et des commentaires qui font rigoureusement la part entre critique et calomnie. Un grand effort doit être entrepris, tant par la Haica que par les acteurs médiatiques eux-mêmes pour se hisser à un autre niveau de qualité. C'est que bien des Tunisiens manifestent désormais une réelle désaffection à l'égard de leurs médias. Si les feuilletons sirupeux et les reality-show, poignants de trivialité, gardent encore un auditoire fidèle, l'actualité, relayée par les médias, est boudée par la plupart des Tunisiens, lassés de voir toujours les mêmes têtes et d'assister aux mêmes corridas politiques où le taureau est malade et le toréador de mauvaise foi...