Le drame de Kerkennah récemment survenu à la suite du naufrage d'une embarcation de fortune, heurtée par un navire militaire au large de l'archipel, continue de défrayer la chronique. C'est que l'émigration clandestine semble n'avoir pas de solution, du moins à court et moyen termes. Le phénomène est à la fois problématique et complexe. Une question d'actualité à plus d'un titre L'Ecole politique de Tunis (EPT), avec le concours du Conseil de l'Europe, est revenue sur un phénomène de société aux contours flous et complexes, en organisant, hier à Hammamet, un séminaire régional sur «les problématiques de la migration dans la région euro-méditerranéenne». La manifestation dont les travaux prendront fin aujourd'hui a vu la participation de nos voisins immédiats, ainsi que les pays de la région. Donc, un regard croisé sur l'ampleur du phénomène qui mérite, plus que jamais, d'être mis sous les projecteurs. M. Ahmed Driss, directeur de l'EPT et président du Centre des études méditerranéennes et internationales, n'y va pas par quatre chemins pour remettre les politiques migratoires en question. D'ailleurs, dit-il, c'est le 5e séminaire de suite qui a tenu à recentrer le débat sur ce défi auquel se sont confrontés plusieurs pays dont la Tunisie. L'autre rive nord de la Méditerranée n'est pas, elle aussi, épargnée. Quitte à devenir, à vrai dire, une partie du problème et non la solution. «Tous les efforts menés à cet effet avec l'Union européenne n'ont pas porté leurs fruits», évoque-t-il. Seulement quelques conventions de coopération bilatérale figées et loin d'être fructueuses. La suppression du visa, une vieille recommandation Pour lui, le partenariat pour la mobilité des personnes dans l'espace européen «Shengen» est une recommandation insistante. Voire une mesure d'envergure. Autrement dit, la suppression du visa et l'allégement des procédures d'accès sont d'une importance capitale et mutuellement bénéfique. Comment ? La libre circulation de nos citoyens fait que la migration n'a plus un caractère illégal, d'autant qu'elle rend les frontières des deux côtés beaucoup plus en sécurité. «S'il y avait un accord dans ce sens, on pourrait, en retour, accepter d'être leurs gardes-côtes sur nos frontières contre le transit d'autres migrants subsahariens», mentionne-t-il. L'autre problématique de la migration, poursuit-il, réside essentiellement dans son aspect sécuritaire. Voire un défi de taille, étant donné que la Tunisie reste, selon lui, un point de transit, par lequel passent pas mal de migrants venant de l'Afrique subsaharienne. Une porte d'entrée en Europe, en quelque sorte. L'autre objectif, a-t-il encore ajouté, est de réfléchir à une stratégie commune de lutte contre l'émigration clandestine. Le directeur de l'EPT compte sur l'appui du Conseil de l'Europe, une instance plus large que l'UE, elle englobe même des pays non européens. «Ses relations avec la Tunisie sont plutôt privilégiées», conclut-il. Son directeur de la planification politique, M. Matjaz Gruden, était, lui aussi, de même avis. L'homme partage fort l'idée d'institutionnaliser la coopération euro-méditerranéenne dans le domaine. Car, à l'en croire, la multiplication des tragédies humanitaires en mer, dues aux barques de la mort, illustre, évidemment, le manque flagrant de vraies politiques de gestion migratoire. Elle montre également à quel point ce phénomène pourrait peser sur la donne géopolitique. Et là, la lecture des faits a pour référence trois idées stéréotypées, la question d'éthique, la porosité des frontières et la sécurité. Alors qu'une bonne gestion de la migration revêt aussi un aspect positif, en termes de développement et de réduction du chômage. En Allemagne, à titre d'exemple, il existe une école pour les réfugiés qui constitue, de la sorte, une solution pour la réinsertion sociale des migrants. Mais les stratégies nationales à l'échelle des pays de la région sont-elles en mesure de résoudre le problème ? Pas forcément ! Du moins par rapport à notre propre expérience. Une stratégie nationale en instance M. Abdelkader M'hedhbi, directeur général de la Coopération internationale chargé de la migration, est intervenu au nom de M. Adel Jarboui secrétaire d'Etat à la Migration et des Tunisiens à l'étranger, qui était absent. Il a présenté la stratégie nationale pour la migration, lancée en 2012, à la même année où plus de 500 de nos jeunes, déjà partis en Italie, sont portés disparus. Et jusqu'à l'heure actuelle, aucune nouvelle sur leur sort. Depuis, cette stratégie a du mal à voir le jour. Question de transformation géostratégique dans la région, juge-t-il. Remise dans sa version finale en juillet dernier, rappelle-t-il, elle table sur cinq principaux objectifs, à savoir la bonne gouvernance de la migration, la préservation des droits des Tunisiens établis à l'étranger, les rapports avec le développement, la protection des migrants vivant entre nos murs et les besoins locaux des régions. Ces objectifs globaux seront, par ailleurs, traduits en programmes spécifiques, et dont la mise en œuvre prendra encore du temps. «Il faut tout d'abord soumettre cette dernière mouture au Conseil des ministres pour examen et adoption, avant de lui chercher les mécanismes exécutifs et les moyens matériels nécessaires à son application», indique-t-il. En fait, encore du temps et de l'argent pour pouvoir asseoir une politique migratoire. D'ici là, le rêve européen ne manquera pas de séduire de nouveaux candidats à la mort. Entre-temps, un tel trafic d'êtres humains ne fait que prospérer, sous nos cieux. Dans l'impunité totale !