La violence prend des formes variées et envahit tous les espaces. Celles-ci n'ont pas les mêmes motivations et, par conséquent, elles n'appellent pas les mêmes réponses. Toutefois, cette violence est révélatrice d'un malaise social profond et menace de détruire les fondements de la société et ses valeurs si rien n'est entrepris pour éradiquer ce phénomène à la base Les statistiques sont effarantes et parlent d'elles-mêmes. Elles prouvent la montée de la violence en Tunisie et l'augmentation du nombre de crimes, de plus en plus odieux et répugnants et la propagation du phénomène de la délinquance. Ce phénomène a touché tous les pans de la société et n'épargne même pas la famille, pourtant réputée unie et moins désintégrée. Elle est même devenue, chez les politiques, un mode d'expression et d'affirmation de soi. Ces statistiques font froid dans le dos et montrent que notre société s'enlise de plus en plus dans une spirale dangereuse. Que d'enquêtes ont été réalisées, que de rapports ont été élaborés et que de séminaires ont été organisés pour cerner ce phénomène et proposer des pistes pour la mise en place d'une stratégie globale, mais rien n'y fit. Le ministre de l'Intérieur, Lotfi Brahem, a fait état, devant l'Assemblée des représentants du peuple, de l'arrestation de 181.179 individus contre 171.306 en 2016 dont 87 personnes recherchées. Les campagnes de lutte contre le crime dans les environs des établissements éducatifs, hospitaliers et des stations de transport public ont permis l'arrestation de 26.861 personnes recherchées. Sans compter, bien sûr, les suspects qui ont réussi à passer entre les mailles de la police ou encore les criminels qui sont encore en cavale. L'école, une fabrique de délinquance ! Les rapports et les enquêtes réalisés par des organismes gouvernementaux et non-gouvernementaux corroborent les statistiques du ministère de l'Intérieur. Ainsi, l'Institut tunisien de études stratégiques (Ites) a révélé dans un rapport rendu public que le nombre des plaintes relatives à des actes de violence a atteint plus de 500 mille au cours des six dernières années (2010 à 2016). Elles représentent 25% de l'ensemble des plaintes déposées dans les tribunaux tunisiens. Plus grave encore, le nombre de crimes va augmentant avec 1.550 plaintes déposées au cours de la même période et il pourrait atteindre 1.700 à la fin de l'année en cours. C'est dire l'ampleur du phénomène qui envahit la société et menace sa stabilité. Les auteurs des crimes sont pour la plupart des jeunes désœuvrés dont le niveau scolaire ne dépasse pas le secondaire. Le même Ites a, dans une étude publiée au mois d'octobre dernier, dévoilé des chiffres sur la violence en milieu scolaire. Ils sont alarmants et montrent que l'école est devenue une fabrique de délinquance et de crime. Entre 2012 et 2015, 67.412 cas de violence ont été enregistrés dans les différents établissements scolaires. Nous en avons déjà parlé dans un précédent article, «La violence, l'autre mal qui ronge l'école» (La Presse du 30 octobre 2017). La violence en milieu scolaire est devenue, en fait, un phénomène récurrent et il ne se passe pas un jour sans qu'une ou plusieurs agressions ne soient perpétrées contre le cadre éducatif ou sans qu'un ou plusieurs cas de violation de l'intégrité de l'établissement scolaire ne soient relevés. Selon un rapport du ministère de l'Education publié en décembre 2014, 52% des cas de violence sont enregistrés à l'intérieur des établissements scolaires contre 48% dans son environnement, entre septembre et novembre 2014. Plus des deux tiers des cas, 77%, ont été signalés dans le millieu citadin contre 23% seulement dans les écoles rurales. Le Grand Tunis vient en tête des régions gangrénées par ce phénomène avec 14% suivi de Sousse (11%) et Sfax (10%). Les enfants et les femmes, les premières victimes Toujours selon les études et les rapports, ce sont les enfants et les femmes qui sont les premières victimes des violences sexuelles et des homicides. Ils font, parfois, l'objet de crimes odieux. Le viol et l'assassinat de la vieille octogénaire de Kairouan a suscité une vive condamnation de la part de l'ensemble des Tunisiens. Tout comme le cas de ce jeune élève de la localité de Djebba dans le gouvernorat de Béja au mois de janvier dernier qui a été enlevé, violé et brûlé. Ou encore cet enfant de Mellassine, âgé de quatre, qui a subi le même sort, au mois de mai 2016, avant qu'il ne soit tué par un caporal de l'armée. Passe pour les viols collectifs de jeunes femmes, détournées souvent sous la menace et qui ont subi les sévices les plus abjects. Les maltraitances à l'égard des enfants sont malheureusement en augmentation. Durant l'année 2016, le délégué général de l'enfance a dénombré 4.590 cas de maltraitances, soit 14 enfants sur 10.000. A son tour, l'Unicef a relevé qu'un « nombre stupéfiant d'enfants, parfois âgés de 12 mois seulement, sont victimes de violence, souvent de la part des personnes chargées de s'occuper d'eux». Les sévices infligés aux enfants sont vraiment préoccupants. Pourtant, la Tunisie s'est dotée depuis 2005 d'un Code de protection de l'enfant qui stipule, entre autres, que «l'intérêt supérieur de l'enfant doit être la considération primordiale dans toutes les interventions et décisions prises conformément aux dispositions du code». Des organes, comme les délégués de l'enfance, ont été créés dans chaque région, tout comme d'autres programmes pour assurer son entrée en vigueur. Mais entre le droit et le fait, il y a parfois toute une étendue. Les femmes ne sont pas du reste et leur sort n'est pas meilleur que celui des enfants. Il est peut-être pire, comme l'indiquent les chiffres. Selon une étude menée par le Centre de recherches, d'études, de documentation et d'information sur la femme (Credif), «78,1% des femmes en Tunisie disent avoir subi une violence psychologique dans l'espace public, tandis que 41,2% ont été victimes de violences physiques et 75,4% de violences sexuelles». L'acte le plus fréquent est celui de vouloir «arracher quelque chose de force», alors que 24,3% des femmes disent avoir été importunées dans la rue plus de dix fois, et 22,6% disent avoir été « collées » dans un moyen de transport public. Pourtant, la Tunisie est pionnière en matière de droits des femmes, avec son Code de statut personnel, promulgué le 13 août 1956, devenu une référence dans le monde entier. L'adoption le 26 juillet dernier d'une loi historique contre les violences faites aux femmes est considérée comme une avancée importante pour protéger la femme contre toute forme de violence. Son entrée en vigueur permettra certainement de juguler ce phénomène et de remédier à une situation qui empire. Le vandalisme dans les stades Une autre violence non moins préoccupante est celle qui sévit dans les stades. Elle a pris ces dernières années une importance telle qu'il devient plus qu'urgent de s'y pencher sérieusement. Il ne passe pas une semaine sans que des actes de violence et de vandalisme n'éclatent dans nos stades. Le match en retard du championnat de Tunisie de la Ligue 1 entre l'Etoile Sportive du Sahel et l'Espérance Sportive de Tunis, dimanche dernier, s'est terminé en bagarre généralisée entre les joueurs dont une dizaine font partie de l'Equipe nationale qualifiée pour la Coupe du monde de football. Comme expliqué précédemment, la violence prend des formes variées et envahit tous les espaces. Celles-ci n'ont pas les mêmes motivations et, par conséquent, elles n'appellent pas les mêmes réponses. Toutefois, cette violence est révélatrice d'un malaise social profond et menace de détruire les fondements de la société et ses valeurs si rien n ́est entrepris pour éradiquer ce phénomène à la base.