Les artistes proposent dessins, découpages, livres d'artistes et autres sculptures avec des démarches s'inspirant d'un monde arabo-musulman épuré ou s'inscrivant totalement dans la philosophie de l'art concret. Les cimaises de la galerie Selma Feriani accueillent jusqu'au 19 janvier prochain l'exposition de groupe «L'horreur du plein». Réunis par la commissaire d'exposition Khadija Hamdi Souissi, six artistes de différentes sensibilités et différentes cultures se sont exprimés autour de l'art islamique dans des interprétations épurées ou encore s'inscrivant totalement dans l'art concret. Il s'agit des artistes Dana Awartani, Ala Ebtekar, Farah Khelil, Timo Nasseri, Haleh Redjaian et Peter Weber. Le terme «art concret» est introduit dans le langage artistique par Theo van Doesburg (peintre, architecte et théoricien de l'art néerlandais) en opposition au terme d'art abstrait» en 1924. Loin de faire, cependant, dans l'art figuratif, l'«art concret» (mouvance de l'art contemporain) s'affranchit de l'art abstrait et signifie plutôt tout art basé sur les lignes, les surfaces et les couleurs et qui suit le plus souvent un principe géométrique clair. C'est un art qui matérialise le spirituel et n'a aucune signification symbolique. Van Doesburg explique que «la peinture est un moyen de concrétiser la pensée de manière optique». L'idée de cette exposition, comme l'explique Khadija Hamdi Souissi, est venue suite à un travail de recherche autour de la possibilité de conférer à l'art islamique un aspect concret en partant de son approche géométrisante. Ce travail de recherche de plusieurs années constituait à vider près de deux cents céramiques de leurs ornements, engendrant par là même des réseaux de lignes. Partant de cela, il est possible de confondre cet aspect de l'art islamique avec l'art concret. Pour expliciter cela, la commissaire de l'exposition fait remarquer : «Au cours de son histoire, le décor islamique a évolué selon des normes qui dépassent l'esthétique, s'inscrivant dans une vision à la fois philosophique et contemplative, qui mène vers l ́horreur du vide : une esthétique explorant divers motifs géométriques, végétaux, animaliers et épigraphiques ornant une œuvre dans sa totalité». Elle ajoute : «Quand l'œil plonge dans les détails d'une telle œuvre, il décèlera très rapidement les règles selon lesquelles celle-ci a été conçue. En effet, au-delà de cette esthétique de remplissage, la surface à orner se veut d'abord délimitée par un ordre géométrique et une symétrie qui donnent à voir une création mesurée par l'intelligence et qui témoignent des enchevêtrements, des rythmes et des ondulations purement mathématiques...». L'exposition, comme le signifie son titre «L'horreur du plein», s'oppose, d'une part, à cette esthétique qui prône le remplissage d'une œuvre (L'horreur du vide) et, d'autre part, jette un pont entre l'art islamique et l'art contemporain. Les artistes proposent dessins, découpages, livres d'artistes et autres sculptures avec des démarches s'inspirant d'un monde arabo-musulman épuré ou s'inscrivant totalement dans la philosophie de l'art concret. Dans cette seconde démarche, l'on peut citer le travail de l'artiste tunisienne Farah Khelil (Carthage 1980) qui expose une œuvre intitulée «Un livre aveugle». Un travail qui consiste en une impression en noir d ́un texte traduit en braille. Le livre censé être lu perd ainsi son usage habituel et devient purement objet. «La vue cède la place au toucher», explique Khadija Hamdi Souissi et «le spectateur est également privé des mots et sera désormais convié à la contemplation». Dans cette même veine, l'on trouve les sculptures «Mesh» de l'artiste berlinois d ́origine iranienne Timo Nasseri (Berlin, 1972). Le vide est exprimé à travers la rencontre et la répétition de lignes droites et obliques qui fonctionnent à l'instar des Muqarnas (Motif de l'architecture islamique depuis l'époque médiévale) en trois dimensions, comme le note encore l'initiatrice du projet. Une démarche à laquelle s'adonne l ́artiste en parallèle avec le dessin. Avec une approche plutôt épurée de l'art islamique, l'artiste iranienne Haleh Redjaian (Berlin, 1971) propose une superposition minutieuse de formes géométriques épurées fondées sur la répétition de carrés ou de lignes. Une démarche, comprend-on, que l'artiste puise dans les tapis iraniens et qui est basée sur la forte relation entre les mathématiques et la géométrie. Il ne s'agit pas ici de créer de l'ordre mais plutôt de modifier l'espace, s'adapter et s'écarter de l'ordre préétabli. Une exposition à voir absolument.