Pour l'instruction de ce dossier, nos lecteurs se rendront compte que les idées, exprimées par tous ceux qui ont été approchés, ne manquent pas. Les techniciens, formateurs, dirigeants et autres observateurs expérimentés de la scène sportive ont leurs idées et cela démontre que c'est au niveau politique, d'abord, et au sein des fédérations nationales régissant une discipline sportive, ensuite, que l'on doit déclarer tout haut ce que l'on veut. Se contenter d'exprimer ses convictions ou de prendre en main, ponctuellement, pour préparer un engagement international, une « sélection jeunes » en la soumettant à des stages intensifs, est déjà trop tard. Avant cette étape ultime, il y a la formation. C'est ce stade, cette étape primordiale, qui fait le plus défaut. Si nous prenons l'exemple qui a cours en France, considérée de par le monde comme un des pays les plus performants (avec les Pays-Bas), puisque ses joueurs, les meilleurs et même les seconds, sont demandés partout. Ils le doivent à une règle très simple : « Pour devenir joueur de football professionnel, il est primordial de passer par un centre de formation. C'est ce qui fait que la France et la Hollande sont devenues des références mondiales en formant de nombreux joueurs internationaux issus des structures foot-études ». Cette façon de voir les choses dans ce monde où le « professionnalisme » est galvaudé au point de présenter un visage peu rassurant est extrêmement importante. Un footballeur professionnel, c'est tout simplement une personne qui a choisi de faire du football, ou d'une autre discipline, une profession. Cela suppose avant tout une formation comme pour devenir électricien, ingénieur, maçon, entraîneur ou autre chose. Pourquoi cette présentation du dossier ? Tout simplement pour faire la différence entre ceux qui « sélectionnent » les joueurs pour les équipes jeunes parmi le lot de ceux qui sont venus pour jouer au football et ceux qui ont été pris en charge à la suite d'une sélection rigoureuse et qui ont effectué, pour devenir « professionnels », une formation dans des centres spécialisés. Les premiers se contentent d'avoir recours à ce qu'offrent des générations de pionniers, alors que les seconds ont l'embarras du choix dans un gisement de valeurs destinées à fournir des éléments « prêts-à-l'emploi », dont la formation est un suivi logique devant amener ces éléments dans le moule final que constitue l'équipe nationale A. Le sport tunisien a bien mis en place des lycées Sport et Etudes (lycées sportifs). Des éléments ont été sélectionnés dans des disciplines bien choisies. On a également mis en place des centres de formation où on a recruté des jeunes de qualité. Mais c'est d'abord l'absence de stratégie qui a considérablement réduit les résultats escomptés. Un jeune pris en charge ne saurait, avec l'exigence du sport de haut niveau, connaître une vie scolaire comparable à celle de ses camarades du même âge. Loin de sa famille, cet élément est couvé pour devenir un sportif d'élite. Il risque, faute d'encadrement adéquat, de sacrifier sa future reconversion. Nous avons vu des joueurs qui ont réussi leur carrière sportive, buter sur chaque mot prononcé et qui ne savent rien faire. Habitués à l'argent, ils ne savent plus que compter les billets de banque. S'écartant des méthodes dites « quantitatives » et statistiques pour privilégier l'observation participante, Erwin Goffman, sociologue, considère qu'une sélection est « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées ». Les stages de préparation, surtout ceux qui durent plus ou moins longtemps, ne sont pas toujours bénéfiques. C'est dire que la prise en charge occasionnelle de jeunes qui sont obligés de s'adapter à une forme de travail, à des méthodes et à des conceptions de jeu totalement différentes de celles de leurs clubs, est un élément perturbateur par excellence. Dans un centre de formation, les objectifs sont clairs : création d'une homogénéité qui prend racine au sein des premières sélections d'élite pour pouvoir retrouver cette maîtrise, une fois en équipe nationale A. Faute de suivi et surtout faute de politique d'entraînement et ...en raison des recrutements intempestifs de nos clubs d'élite, cette continuité est rompue. On n'y pense même pas. Pour s'en convaincre, il suffit de faire le compte des jeunes, pourtant de bonne qualité, qui sont perdus en route. Le meilleur exemple est celui qui vient d'apparaître au grand jour au sein du Club Africain : où étaient ces jeunes du temps de l'entraîneur italien qui veillait sur ce club ? Il a suffi que l'on ait recours à des techniciens essentiellement formateurs (qui ont fait leurs preuves), Marchand et Kolsi, pour que ces jeunes apparaissent au grand jour. Le CS Sfaxien n'est pas en reste et même lorsqu'il laisse partir ses meilleurs éléments, son centre de formation colmate les brèches avec bonheur. L'Etoile et l'Espérance possèdent aussi des jeunes de qualité, mais c'est au niveau de l'utilisation en priorité par rapport à ceux qui sont recrutés sur le marché national ou étranger que le bât blesse. La JSK forme des jeunes à tour de bras, mais leur club formateur se sépare d'eux pour survivre. Dans toute cette chaîne, le maillon faible devient par voie de conséquence les différentes sélections de jeunes privées de cette transition automatique, dont les éléments s'évaporent en cours de route. Et c'est la raison pour laquelle nous retrouvons, dans la plupart des pays européens ou sud-américains, la majorité des jeunes sortis des centres de formation à l'instar de Fontainebleau, Ajaccio, Bordeaux, La Masia (Barcelone), d'Arsenal, d'Amsterdam( plébiscité meilleur d'Europe) etc., alors que les nôtres disparaissent de l'écran. L'Italie a compris sa douleur, à la suite de son élimination du Mondial russe. Elle a reconnu que ses clubs, subjugués par les titres, font appel à trop de joueurs étrangers et négligent leurs jeunes et le secteur de la formation. Elle se prépare à reconsidérer sa politique. Le suivi des sélections des différents âges est la condition sine qua non de la réussite. Pour résumer, pour faire de véritables adieux à la logique « coubertine » où il suffisait de participer, nous pensons que les sélections jeunes ne doivent jamais plus éclore de ces générations spontanées, qui nous gratifient de temps à autre d'une brochette de joueurs exceptionnels, mais d'un véritable travail en profondeur où continuité et planification sont les maîtres-mots. D'où l'obligation, sauf exception difficilement envisageable par les temps qui courent, de passer par un véritable centre de formation avant d'être professionnel puis futur international jeune ou confirmé.