«Actuellement, notre foot est bâtard: ni amateur ni professionnel. Un corps hybride. Jadis, rares étaient les joueurs qui passaient d'un club à l'autre. On signait à vie pour une association. Le footballeur se donnait pour objectif de donner sans retenue, d'apporter le meilleur de lui-même. A présent, la première chose qu'il fait, c'est de demander: «Combien me donneriez-vous si je signe pour vous ?». On ne peut pas gérer cette gabegie. Il aurait fallu plafonner les salaires par des textes transparents et incontournables. Un joueur payé dix fois le salaire d'un ministre ou du président, vous trouvez cela normal ? Je crois que nos footballeurs ne méritent pas un salaire supérieur à 6 mille dinars. Comble du paradoxe: les clubs dits pros payent à bourse délier, comme si ce n'était pas l'argent du contribuable. Ils vivent en pleine crise financière, et s'obstinent en même temps à offrir des contrats faramineux. Le spectacle, lui, est le grand absent. Ou plutôt si, le spectacle est ailleurs: dans les gradins et dans la main courante où la violence s'installe. Le public fait la loi. Notre foot mérite mieux que cela. En 1977, lorsque j'ai fait mes premières apparitions parmi les seniors du CAB, les équipes grouillaient de grands footballeurs. Rien qu'au CS Sfaxien, Dhouib, Akid, Agrebi, Medhioub, Soudani... faisaient le spectacle. Le SRS, l'ASM, le COT... faisaient encore le printemps du foot national. Où étaient passés tous ces clubs ? A présent, il n' y a plus de place que pour une poignée de clubs qui vident les autres de leur meilleur produit. Tous les autres croulent sous les dettes. D'ailleurs, vous ne pouvez pas inverser cette tendance tout simplement parce que la seule chose qui compte pour le joueur, c'est l'argent. C'est à qui offrira le plus. A mon avis, il faut faire obligation au joueur de ne quitter son club d'origine qu'à partir de l'âge de 25 ans. Il aura ainsi eu le temps de le servir durant sept ans au moins avec les seniors. De plus, il faut faire obligation à chaque club de ne pouvoir vendre qu'un ou deux joueurs au maximum par an. «Au lieu de quoi, nous achetons à l'étranger des joueurs de pacotille qui nous coûtent des fortunes pour aussitôt les voir traîner leurs clubs devant les instances de la Fifa pour réclamer leur argent. D'ailleurs, notre pays passe pour être le champion en matière de litiges portés par des joueurs ou des entraîneurs devant la chambre de résolution des litiges relevant de la Fifa. Ces litiges nous coûtent la prunelle des yeux. Mon club, le CA Bizertin, a de tout temps bénéficié d'un vivier de grande qualité. Pourtant, il est régulièrement surendetté, et se voit obligé de vendre ses piliers. Et puis, trêve d'hypocrisie ! On attise le feu, et on se demande après d'où ça vient. De manière démagogique, les poncifs décrètent que les fauteurs de troubles n'ont aucun rapport avec le club. Depuis la recrudescence de la violence dans le football tunisien, je ne regarde plus les rencontres. Je me contente de suivre les résultats à partir de l'Arabie Saoudite où j'entraîne le club divisionnaire d'Arrayane.