A quelques mois des élections municipales prévues pour le 6 mai prochain et à moins de deux ans des législatives et de la présidentielle de 2019, le pays a besoin de plus de stabilité politique et sociale pour espérer sortir du marasme. Il faut une continuité dans l'action gouvernementale et un soutien plus affirmé de la part des signataires du « Document de Carthage ». Et une plus grande ouverture sur l'opposition qui devrait être écoutée. Tout le monde doit comprendre, aujourd'hui, que les Tunisiens ont besoin d'être rassurés et le pays a besoin d'unité et de cohésion. Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a décidé de sacrifier au rituel des vœux télévisés à la veille du nouvel an, pour assurer que 2018 sera une année « décisive », exhortant la classe politique à « offrir un climat adéquat pour le déroulement des municipales ». Le chef de l'Etat a dit espérer une croissance de pas moins de 3% en 2018, appelant à offrir de bonnes conditions de travail aux Tunisiens. Youssef Chahed a attendu le lendemain pour apparaitre dans une émission spéciale « Kahwa Arbi » (café arabe) diffusée sur la Watanya I, pour faire en quelque sorte « amende honorable » envers son mentor Béji Caïd Essebsi, en lui apportant son soutien « au cas où il serait candidat à la prochaine élection présidentielle ». Il s'est montré confiant en tablant sur la reprise de la croissance, appelant à l'instauration d'une « stabilité politique et d'un climat politique sain » et à la promotion d'un discours mobilisateur, le chef du gouvernement se trouve sur des charbons ardents, épié par tout le monde et attendu au tournant. L'accord en dix points signé avec l'Ugtt devait rassurer son gouvernement. Car, en fait, l'année 2018 commence, pour le gouvernement, de façon plus emberlificotée que 2017. Les hausses de prix enregistrées au cours du premier jour de janvier ont suscité un mécontentement quasi général et l'opposition s'est saisie de l'occasion pour annoncer la couleur contre ce qu'elle a appelé « un gouvernement de guerre contre le peuple ». Le Parti des travailleurs et le Courant populaire, qui ont dénoncé mardi les augmentations décidées par le gouvernement, ont appelé le peuple tunisien à « lutter de manière civile et pacifique contre ces mesures ». Alors que de son côté, le secrétaire général de l'Ugtt a appelé le gouvernement à « respecter l'engagement convenu au sujet du maintien des prix des produits alimentaires de base afin d'éviter toute tension sociale ». Pourtant, toutes ces augmentations ont été annoncées dans la loi de finances qui a été adoptée par l'Assemblée des représentants du peuple. L'homme dérange Il aura suffi d'une apparition sur le réseau social Facebook pour que les conjectures et les rumeurs fusent de toutes parts. Sa prestation a été diversement appréciée, parfois raillée et comparée à un certain Yassine Ayari. Pourtant, les réseaux sociaux Facebook, Twitter et Instagram s'imposent comme un outil de communication plus important pour les hommes politiques que les médias classiques. Une étude de l'American Press Institute et de l'Associated Press-NORC Center for Public Affairs Research datant de 2015, réalisée auprès de jeunes de 18 à 34 ans, « souligne que 88 % des sondés inscrits sur Facebook s'informent régulièrement par ce biais ». « Une communication bien menée et de grande ampleur sur ces plateformes sociales permet donc de disposer d'une forte visibilité, mais aussi de convoiter un électorat moins sensible aux médias traditionnels ». Depuis Obama en 2008, Facebook s'impose comme la première plateforme susceptible de multiplier la visibilité du candidat. Il a depuis modifié les pratiques communicationnelles des hommes politiques. Encore peu utilisés par les politiques de chez nous, ces réseaux, Facebook en premier, ont bouleversé le mode de communication des Tunisiens et ont conduit à une « véritable révolution dans la façon de penser les échanges » entre eux. Pour une première, le chef du gouvernement n'a pourtant pas démérité. Il s'est expliqué dans un langage facile, pas trop « langue de bois », sans fioriture, pour tenter de convaincre. Mais c'est surtout au niveau des véritables mobiles de cette apparition « facebookienne » qu'il a été interpellé. Avec les rumeurs dont les Tunisiens sont férus, les conjectures sont allées bon train pour essayer d'entrer au fond de la pensée du chef du gouvernement et tenter de lire dans sa pensée. Pourquoi cette apparition, et pourquoi maintenant après la déconfiture de Nida Tounès en Allemagne ? Autant de questions qui ont taraudé les esprits des uns et des autres. Mis sous pression depuis le lancement de la guerre contre la corruption, Youssef Chahed sait qu'il est attendu au tournant et que les lobbies ne le laisseront pas dormir tranquille. Sa cote de popularité est remontée après cette opération, malgré un bilan mitigé, et il caracole en tête des sondages comme étant la personnalité préférée des Tunisiens, de quoi susciter la jalousie de plus d'un. A peine la quarantaine, il a été lancé par son « mentor », le président de la République Béji Caïd Essebsi à La Kasbah pour succéder à un Habib Essid, destitué par ceux qui l'ont porté au firmament. Après des débuts difficiles, il a commencé à reprendre du poil de la bête, s'est ressaisi pour aller de l'avant et ne pas hésiter à se confronter à la réalité. Pour ses détracteurs, il soigne beaucoup plus son image de « présidentiable ». Le premier qui a dégainé contre lui est le président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, qui l'a appelé à s'engager à ne pas se présenter aux prochaines échéances électorales et à se consacrer exclusivement aux défis socioéconomiques qu'affronte le pays. Ghannouchi lui a tracé sa mission, à savoir « veiller au bon déroulement des prochaines élections municipales, prévues pour le 17 décembre 2017, et des élections régionales ainsi que le suivi de la gestion quotidienne des affaires du gouvernement, notamment le dossier économique et social ». Une sorte de mise en garde contre toute velléité « présidentialiste ». Un parallèle fait avec Mehdi Jomâa qui a présidé le gouvernement de compétences issu du dialogue national et à qui la feuille de route adoptée par tous les partenaires spécifiait clairement que ni lui, ni les membres de son équipe ne devaient songer aux échéances électorales. Besoin d'unité et de cohésion Les rapports de Youssef Chahed avec son parti Nida Tounès ne sont pas au beau fixe, en dépit d'un soutien déclaré. Le député et ancien ministre de la « Troïka », Mohamed Ben Salem, n y est pas allé par quatre chemins, en lâchant, le 6 décembre sur les ondes d'une radio locale, que « certaines parties de la coalition au pouvoir veulent faire tomber le chef du gouvernement, Youssef Chahed, juste pour récupérer des postes ». Son collègue de Nida Tounès, l'ancien président du groupe parlementaire, Fadhel Ben Omrane, a été plus explicite en adressant une mise en garde au chef du gouvernement concernant « sa guerre contre la corruption ». Cette guerre nécessite, selon lui, « toute une logistique pour réaliser les buts assignés, ce qui n'a, absolument, pas été le cas dans ce qui est appelé guerre contre la corruption ». Il l'a même qualifiée « d'opération qui vise à caresser les sentiments populaires en leur faisant croire qu'on est sur la voie de la réalisation d'une société sans corruption ». Le nouveau dirigeant de Nida, l'ancien ministre Mohsen Hassen n'est guère rassurant quant au redressement de l'économie nationale. « La Tunisie est aussi fortement secouée par la crise des finances publiques, notre pays s'enfonce dans un déficit structurel », a-t-il écrit. « Les réponses apportées et les mesures de consolidation mises en œuvre jusqu'à présent n'ont pas permis une inversion de la tendance à la hausse de deux déficits, qui continuent de se creuser au lieu de se résorber. L'enjeu est à la fois crucial et facilement appréhendable : soit la Tunisie parvient à se réformer et à mettre en œuvre les jalons politiques et budgétaires nécessaires, soit elle perdra à terme son attractivité et sa souveraineté budgétaire ». D'aucuns prédisent une fin pour Youssef Chahed à la manière de Habib Essid qui a été abandonné par tous. Et les cassandres d'annoncer un avenir sombre pour le pays. Ils oublient que le gouvernement actuel est celui de la dernière chance, comme l'a affirmé le chef de l'Etat qui continue à soutenir son « poulain ». Il n'a pas trop tergiversé en le proposant à La Kasbah. Il a déjà invité les signataires du « Document de Carthage » à une réunion, demain autour de lui, pour lui donner un nouveau souffle. Ennahdha fait, pour l'instant, le dos rond, dans le souci de ne pas vexer son allié Béji Caïd Essebsi. A quelques mois des élections municipales prévues pour le 6 mai prochain et à moins de deux ans des législatives et de la présidentielle de 2019, le pays a besoin de plus de stabilité politique et sociale pour espérer sortir du marasme. Il faut une continuité dans l'action gouvernementale et un soutien plus affirmé de la part des signataires du « Document de Carthage ». Et une plus grande ouverture sur l'opposition qui devrait être écoutée. Tout le monde doit comprendre, aujourd'hui, que les Tunisiens ont besoin d'être rassurés et que le pays a besoin d'unité et de cohésion.