Edité par la maison d'édition d'écritures féministes égyptienne «Elles», «Madame Clémentine» est le deuxième recueil d'Amal Khlif, après «Un cœur sur la pointe d'une aiguille». Amal Khlif, tout comme son personnage de «Madame Clémentine», est averse aux classifications inutiles. Elle fait partie de cette génération qui a fait des murs de Facebook des maisons d'édition, d'écritures libres et libérées des codes et des préceptes. Aujourd'hui, elle présente cet écrit la main sur le cœur, et s'en libère afin que chaque lecteur y trouve son compte. «Je suis absolument d'accord avec toute lecture sincère», nous dit-elle. Amal Khlif parle particulièrement des lectures d'amis qui ont présenté avec elle «Madame Clémentine» lors d'une rencontre-dédicace la semaine dernière au centre culturel Avanci : le journaliste Haïkel Rezgui qui considère le recueil comme une œuvre universelle et la critique Yosra Sghaïer qui le considère comme un texte féministe par excellence. Cette dernière a traduit des extraits du recueil qui nous permettent d'introduire «Madame Clémentine» : «C'est déjà trop tard, Dit Madame Clémentine Eteignons les lumières, toutes ces fausses lumières. Tandis que dans l'ombre crient les patientes...» Mais qui se cache derrière ce personnage ? Amal Khlif nous raconte que tout est parti de l'histoire d'une amie à elle, Martine, dans les quarantaines, une femme très romantique et qui croit à l'amour. Elle a vécu plusieurs déceptions amoureuses en Tunisie, au point de commettre une tentative de suicide et d'être internée à l'hôpital psychiatrique, délirante. «Quand j'allais la voir, je sentais que je ne pouvais rien faire à part être témoin de son état. Alors j'ai commencé à écrire des textes autour de son délire», explique l'auteure. Et d'ajouter : «Je voulais exprimer le désarroi d'une amie, retranscrire sa douleur et puis c'est devenu un personnage à travers lequel je ressors la mienne. Je ne voulais pas appeler le personnage Martine. A l'hôpital, sur la table il y avait une clémentine et voilà, «Madame Clémentine» est née. Elle parle au nom de toutes les femmes que j'ai rencontrées. Porte leurs voix et ce qu'elles n'ont pu dire». «Femmes, vous pourrez allumer les bougies d'amour Parsemer les précieux présents Quand toutes les magies ne suffisent Car les hommes périssent si vite Ils aiment mourir Et on ne peut rien y faire. Nous devons, faire en sorte que, seules, souffrions la vie Cette vie que nous façonnons tant Qu'avec soin et frénésie, nous brodons Finalement, admettre qu'il est trop tard Car rien ne peut arrêter la mort». De ce texte qui lui pesait, Amal Khlif voulait se débarrasser : «La seule façon était de sortir un livre. Mais j'hésitais car c'est un texte très triste alors que j'aurais aimé apporter de la joie aux lecteurs. Finalement, il m'a semblé mieux de le sortir sous une maison d'édition féministe afin que le lecteur soit d'emblée averti : c'est un cri commun de désarroi et de révolte contre un système patriarcal qui prive la femme d'amour». De la main de l'infirmière, Madame Clémentine arrache la bougie : Sois courageuse Pour courir dans le noir Le jeu est déjà fini, les hommes ont décidé de mourir A nous, tout le temps pour marcher, Ou encore faire de la confiture de rose A nous, tant du temps, à ne rien faire, Juste répandre nos corps sous le soleil La vie est si dense, excédante Versons-la Il n'y a plus de lumière Ni de tours de magie Ni même les niais poèmes d'amour Ils veulent qu'on se décolère - Ces hommes aigris - Qu'on se taise Et qu'on cesse de faire nos beignets au miel. Tout comme sa naissance, la parution de ce recueil se fait dans la spontanéité, la non-démarche. «Si ça n'avait pas été avec cette maison d'édition que je considère alternative, j'aurai sorti ce recueil à mon propre compte comme j'ai fait pour le premier. Je serai restée dans le fait maison», assure Amal Khlif. Derrière ce choix, il y a quand même une prise de position ferme : «Je trouve le prix du livre en Tunisie exorbitant par rapport à l'Egypte ou au Maroc. Aujourd'hui, les réseaux sociaux font l'affaire», affirme l'auteure qui a justement commencé par publier ses textes sur Facebook et qui fait partie des écrivaines du projet «Les nouvelles Antigones», destiné à «donner à entendre la parole libre ou la prose sauvage et poétique des blogueuses de la Méditerranée, les Antigones du XXIe siècle». Comme beaucoup de jeunes, elle n'a jamais mis les pieds dans une institution culturelle ou une manifestation littéraire officielle : «La révolution a permis à l'expression artistique d'envahir l'espace public, dont les réseaux sociaux, et des initiatives comme Street poetry et Notre Dame Des Mots sont apparues. Facebook est plus adapté à la nature de mes écrits. Ecrire est ma façon de m'exprimer et je suis dans le partage. Ça meuble ma solitude et c'est ma réponse face à l'absurdité du monde. Ce qui en émane vous appartient. A vous d'en faire la lecture !» Mme Clémentine fait glisser la bougie Pendant que le feu mord ses doigts, elle crie : Les hommes ont décidé la mort Les hommes ont décidé de mourir...