Notre interlocuteur, M. Mourad Mestiri, président de la Fédération tunisienne de handball, toujours aussi discret, accueillant et accessible, a commencé par nous remercier pour l'intérêt que notre journal accorde au handball. Nous lui avons simplement rappelé que seule La Presse en tant que quotidien et le journal Le Sport, hebdomadaire spécialisé en sports, sous la plume de notre confrère et ami Jilani Ben Mbarek, à une certaine époque, accordaient (depuis les années 59/60) une rubrique régulière à cette discipline. La raison était très simple : le handball a connu une fulgurante percée, profitant de la suppression du football du nombre des sports scolaires. Cette décision a été prise parce que le football accaparait tout le monde et comme les pédagogues de l'époque ne pouvaient comprendre que si onze joueurs étaient sur le terrain, des centaines d'entre eux, inactifs et... malheureux les regardaient sur les gradins. Il fallait les intéresser et les orienter vers des activités sportives. Suivez notre regard pour comprendre que si le sport tunisien est aujourd'hui ce qu'il est, il le doit à des hommes qui ont joué à fond leurs rôles de pionniers et de formateurs et... faites la comparaison avec ce qui se passe actuellement! Ce fut la ruée sur les autres sports collectifs, qui profitèrent largement de cette prise de position historique. Le handball en fut le premier bénéficiaire. Si bien que toute l'équipe nationale était composée d'élèves, d'étudiants et... de quelques-uns de leurs professeurs. Au Palais des sports, qui se trouvait à l'Avenue Mohamed V, où on construit actuellement la Cité de la Culture, les matchs se jouaient à guichets fermés. Il y avait autant de monde dehors que dedans et la fête se terminait tard dans la soirée. Cet intérêt était tel que La Presse ne pouvait que répondre à cet engouement. La rubrique handball était devenue une véritable concurrente du football. Depuis, notre attachement est demeuré intact et La Presse était, par conviction et non pas par occasion, aux côtés du handball, présente dans toutes les compétitions maghrébines, africaines, méditerranéennes ou mondiales. Le handball méritait cet encouragement et ce soutien, qui vise la promotion d'un sport qu'aiment tous les Tunisiens et Tunisiennes. Un sport, qu'ils et elles ont connu sur les bancs de l'école. Des places fortes Le handball en Tunisie est un sport qui, grâce à son enracinement dans les milieux scolaires, s'est érigé au fil des années en porte-drapeau des sports collectifs dans le pays. Ce sport rayonnait sur l'Afrique, bien que la présence de l'Egypte et plus tard de l'Algérie avait quelque peu mis à mal la domination tunisienne durant quelques années, (il y avait des raisons), ce sport s'était ancré dans les mœurs et créé ses places fortes : au risque d'en oublier, Tunis, bien sûr, avec ses grands collèges et lycées, Sousse, Nabeul, Moknine, Hammamet, Menzel Témime, Béni Khiar, Mahdia, et bien d'autres depuis, ont marqué l'émergence de dizaines de joueurs de premier plan. L'Institut national des sports de Kassar-Saïd sortait des dizaines de promotions de spécialistes. Beaucoup d'entre eux sont allés lancer le handball dans des pays amis et frères. Le Qatar, l'Arabie Saoudite, le Maroc et d'autres encore continuent à faire appel à nos techniciens, reconnaissant la qualité de leur formation et leur savoir-faire. Des jeunes venant des pays du sud du Sahara ont également fait leurs premières armes dans les instituts tunisiens et continuent à œuvrer pour la promotion de cette discipline chez eux. Les raisons de cette régularité Ce rappel a été fait pour souligner que le handball, au Gabon, n'a pas connu un sacre providentiel, mais qu'à son dixième titre (avec des premiers rôles réguliers), il a simplement confirmé la richesse de ses effectifs. Avec presque une équipe nationale évoluant à l'étranger, il a préparé, sans problèmes aucun, ceux qui évoluaient entre nos murs. Et en l'absence forcée de quelques-uns de ses joueurs cadres blessés à la veille de la compétition, il a colmaté les brèches et révélé une nouvelle génération d'éléments de valeur qui ont devant eux des années de compétition au premier plan. Nous avons tous été témoins de cette remarquable solidarité entre anciens et nouveaux joueurs qui, en fait, n'avaient rien de... nouveau. Ils étaient champions d'Afrique juniors en titre, héritiers d'un titre en cadet. Ils accédaient naturellement à la marche suivante. Nous avons assisté à cet élan qui a submergé une équipe égyptienne qui n'a rien compris de ce qui lui arrivait. A la veille de la compétition, les Egyptiens se congratulaient de bonheur : l'équipe tunisienne était privée de quelques-uns de ses meilleurs éléments et non des moindres. Ces jeunots, (qui ont remarquablement caché leur jeu), ils allaient en faire une bouchée. Les deux premières sorties leur ont encore donné des motifs d'espoir. L'équipe tunisienne paraissait mal dans sa peau et quelque peu empruntée, confuse dans son évolution et ses idées. C'était mal connaître les ressources d'un sport fortement ancré dans les villes et villages et qui disposait d'excellents techniciens qui sortaient des joueurs de valeur à tour de bras. La suite, tout le monde la connaît : une étoile sur les futurs maillots de nos internationaux qui auront à défendre leur titre à domicile en 2020. «Nous avons les moyens humains» Et maintenant que vous êtes champions d'Afrique pour la dixième fois ? Bien entendu, la mission est encore plus délicate. Le fardeau est lourd, mais je pense que nous avons les moyens de relever le défi. Notre équipe est essentiellement jeune. Nous avons une excellente marge de progression, dont nous allons essayer de profiter au maximum pour grimper encore d'un cran. Mais il faudra des moyens. Mais après ce titre, ces titres si nous prenons en considération ceux des cadets et des juniors, les portes pourraient s'entrouvrir... Nous avons des promesses et non des moindres. Monsieur le Président de la République, qui nous a reçus, nous a assuré de son soutien et nous a promis toute l'aide possible pour préparer les prochaines échéances. Monsieur le Chef du gouvernement nous a, quant à lui, rappelé que sa porte est ouverte pour aplanir le cas échéant les difficultés qui pourraient surgir. Je suis sûr que le ministère des Sports sera à nos côtés. C'est déjà beaucoup. Nous reprendrons le travail avec un moral gonflé à bloc, parce que je sais que ce ne sont pas des promesses en l'air. Comment expliquez-vous cette arrivée... massive d'éléments compétitifs en un temps record et dans les différentes catégories? C'est le fruit d'une organisation que la Fthb a mise en place. Les Centres de formations de l'élite ont tout simplement réussi dans la mission qui leur a été confiée. Les Centres de Nabeul (garçons et filles), du Lycée Sportif de Tunis (garçons et filles), du Sousse (filles), de Mahdia (garçons et filles) ont fonctionné convenablement et produiront sans doute d'autres éléments de valeur. Un technicien formateur spécialisé et un préparateur physique sont attachés à ces Centres que nous souhaitons lancer dans tous les gouvernorats. Mais il faut des moyens, que seule la tutelle pourra nous procurer. Avec une couverture généralisée du territoire, nous pourrions assurer la pérennité de notre sport. Ces titres ne sont pas une fin en soi, mais des motivations qui nous incitent à tout faire pour les garder, mais aussi pour franchir de nouveaux paliers. Il y a des problèmes Et où est le problème ? Il y a au moins trois que nous ne pourrons pas résoudre par nos seuls moyens et l'intervention du ministère au niveau de son homologue de l'Education nationale est nécessaire. Celui des horaires qui doivent absolument convenir aux jeunes qui fréquentent nos Centres de l'élite, et celui du logement pour ceux qui sont pris en charge. Faute de quoi, nous risquons de perdre le fruit de toutes ces années de travail avec les conséquences qui en découleront. Le troisième problème est relatif à l'infrastructure. Il faut arrêter d'injecter des milliards dans des salles en béton qu'il devient difficile d'entretenir et dont le taux d'occupation est pour ainsi dire réduit. Avec la même enveloppe, on peut construire dix salles à travers la République et ramener plus de jeunes filles et garçons vers le sport. C'est ce que font maintenant tous les pays du monde. Les matériaux de construction ont évolué de nos jours et on peut empaqueter une salle et la déplacer si elle est sous-utilisée ou mal entretenue. Les Américains ont organisé les épreuves de natation des JO de Los Angeles dans une piscine amovible. Des records du monde ont été battus. A la fin des JO, on a déplacé cette piscine vers une ville qui en avait besoin. D'ailleurs, pour le handball, le basket-ball et le volley-ball on devrait concevoir pour ces trois disciplines tout un pole commun avec une administration, des salles d'entraînement légères , fonctionnelles, modernes et bien équipées avec antenne médicale, salles de musculation, de kinésithérapie, de visionnage avec une vidéothèque qui deviendra une mémoire pour ces sports en pleine évolution, lieu de restauration et pourquoi pas de logement, etc. Nous soulagerons les salles actuelles, et nous les libérerons pour les clubs qui sont à l'étroit. De petits complexes pareils peuvent devenir exploitables par les équipes étrangères qui considèrent que la Tunisie est un pays où on dispose de toutes les commodités dans un rayon réduit et fonctionnel. Mais depuis des années, tous les ministres de l'Education nationales qui se sont succédé parlent de permettre aux élèves de quitter l'école à 16h00 au plus tard, pour leur permettre de s'adonner à des activités sportives et culturelles... Nous n'en sommes pas encore là, ce serait, bien entendu, l'idéal, mais et il faut pour l'immédiat prendre les décisions qui sont absolument urgentes et nécessaires pour éviter de réduire à néant ce qui a été amorcé et qui s'est avéré positif. Nous comptons sur la compréhension des différentes parties prenantes pour aplanir les difficultés, conserver cette dynamique et protéger nos jeunes. Jusque-là, il semble que les choses ne vont pas si mal... Si nous prenons en considération que nous sommes la seule fédération à être présente dans toutes les compétitions, régionales, continentales ou internationales, oui, cela va bien. Mais les difficultés ne manquent pas. Nous devons penser à «professionnaliser» la gestion de notre fédération. Cela est valable pour toutes les autres, car le temps du bénévolat est révolu. Il faut mettre en place un comité exécutif qui n'a en charge que le fonctionnement de la fédération, étant donné les responsabilités et le temps que ces occupations absorbent. Les objectifs deviennent de plus en plus astreignants en gagnant des titres et nous devenons des cibles pour tout le monde. Nous devons travailler plus. Nous sommes acculés à ne plus rien lâcher. Toute faiblesse est payée cash. Habitués aux défis Pensez-vous pouvoir relever ces défis ? Nous sommes là pour ça. La Fthb a la chance d'avoir eu des dirigeants qui ont sérieusement travaillé. Ce que nous avons hérité de nos devanciers est important. Les clubs, en dépit de toutes les difficultés, surtout en cette période difficile que traverse le pays, continuent à tourner et à encadrer au mieux possible les jeunes dont ils ont la charge. Les dirigeants du handball, contrairement à d'autres disciplines, sont pour leur majorité des personnes issues du milieu et savent vivre avec cette pression qu'ils ont appris à contrôler. Et c'est pour cela que ça marche. Cela dit, les objectifs internationaux sont à la merci de bien des impondérables. A titre d'exemple, la dévaluation du dinar a complètement remis en question nombre de nos projets. Nous devons dépenser plus pour assurer une participation minimale régulière à notre élite. Le contact avec nos adversaires potentiels et ceux dont nous avons besoin pour nous tirer vers le haut est essentiel. Il n'est absolument pas question de nous renfermer sur nous-mêmes. Les sponsors sont compréhensifs et nous aident à limiter les dégâts, mais il faut encore plus, parce que nous souhaitons classer une fois pour toutes le handball tunisien dans le gotha des premières nations du monde et monter sur le podium aux prochains Jeux olympiques. C'est dans nos cordes. Nous possédons une splendide génération qui a compris que le mérite est définitivement un choix instauré pour que les meilleurs soient retenus et que seul le travail et le dévouement au service des couleurs nationales priment. Vous voulez, bien sûr, parler des sélections filles et garçons ? Bien entendu. Nous ne faisons pas de différence, en dépit des apparences. Le problèmes des filles sera progressivement résolu avec les Centres de formation de l'élite qui finiront par fournir des éléments de valeur avec un nombre suffisant de compétitrices valables, pour mettre un terme à ces périodes creuses que nous subissons de temps à autre. Mais la qualité existe et nos techniciens sont confiants. Les beaux jours sont devant nous. Reste ces clubs formateurs qu'il faut aider. Nous vivons tous sous le même toit. Les clubs dans toutes les disciplines et à plus forte raison en handball, nous le savons, sont à court de ressources. C'est la situation financière et économique du pays qui a des conséquences sur tout et sur tous. Cela finira par passer. Les dirigeants des clubs, compréhensifs et attachés à leur mission formatrice, serrent les dents en attendant des jours meilleurs. C'est pour cela qu'il faut les aider pour éviter de les écœurer en donnant l'impression que nous sommes insensibles à leurs problèmes. Le handball tunisien avait des problèmes avec les instances dirigeantes internationales. Qu'en est il actuellement surtout que notre pays aura à organiser la prochaine CAN ? Nous avons tout remis à plat et nous avons eu le plaisir de le constater. Tant au niveau de l'IHF que de la Cahb, il n'y a plus aucun problème. Le handball tunisien pour lequel on reconnaît un rôle majeur dans la propagation de cette discipline sur le continent et à sa présence sur la scène internationale est maintenant respecté et nous avons rétabli ces relations de confiance qui sont nécessaires pour mieux servir les intérêts de notre pays. La Tunisie est un pionnier qui a sa place et qui bénéficie d'un prestige non négligeable. Nos techniciens sont partout, nos joueurs et joueuses sont des ambassadeurs et des ambassadrices qui donnent une idée extrêmement positive du sportif et de la femme tunisienne. Personne ne peut nier cet apport et cette situation qui caractérise notre sport. Pour promouvoir la destination Tunisie et donner la véritable image du Tunisien et de la Tunisienne, de leurs traditions et de leur culture, il n'y a pas mieux que ce drapeau qui grimpe, sous le regard attentif des millions de prunelles à travers le monde, au mat central alors que retentit l'hymne national. Les yeux admiratifs, les bains de foule, les demandes d'autographes, les maillots qu'on s'arrache et bien d'autres réactions que nous enregistrons sont de véritables révélateurs qui comblent de fierté nos joueurs et ceux qui viennent les encourager dans ces pays hôtes ou voisins. 2020 : objectif prioritaire La Tunisie a été chargée d'organiser la CAN 2019. Comment cela se présente ? Il faudrait signaler que les Gabonais ont placé la barre assez haut. Cela ne nous effraie pas. Nous avons pleinement confiance dans notre logistique, nos hôtels, nos moyens de transport et, bien entendu, dans le savoir-faire des hommes. Nous mettrons incessamment en place les commissions. Elles veilleront à la mise à niveau des salles et des détails de l'organisation qui sera affinée au fur et à mesure. Reste la préparation de l'équipe. C'est un détail purement technique qui relève du programme général des sélections nationales. Si nos programmes sont respectés, nous serons prêts pour défendre notre titre et nous qualifier sans problèmes pour les JO. La Tunisie a fait une proposition qui semble avoir été bien accueillie par les instances internationales. Oui, nous avons proposé de créer une coupe intercontinentale à l'image de ce qui se fait en football. L'IHF et la Cahb sont intéressées. Il y a de fortes chances que cela soit retenu. Est-ce que le programme de préparation pour le Mondial a été affûté ? Bien sûr, surtout que nous avons agi en considérant que la Tunisie était en mesure de se qualifier. Une fois le tirage au sort effectué, nous mettrons en place le calendrier et les moyens d'action. Le choix des adversaires à rencontrer dans le cadre de ce programme ne sera pas difficile. Notre équipe jouit d'un très bon prestige. Elle est hautement compétitive et, où elle va, draine du public. Les Tunisiens à l'étranger ne ratent jamais ces rendez-vous. Il n'en demeure pas moins que ce sera totalement différent de la préparation pour la CAN. A la CAN, nous avons fait en sorte que l'équipe monte progressivement en puissance et soit en forme à partir des quarts. Au Mondial ce sera le contraire. Nous devons être en pleine possession de nos moyens d'entrée. C'est ce qui explique notre fraîcheur en finale. Les Egyptiens ont fait le contraire et sont allés rencontrer des adversaires assez forts qui les ont amenés trop tôt à la période de forme. Vous connaissez la suite. En attendant, il y a les JM en Espagne (à Tarragone du 22 juin au 1er juillet 2018) et ce ne sera pas facile. L'Espagne est championne d'Europe et a enlevé le titre au champion du monde ! Pour terminer. Cette ambiance durera-t-elle au sein de l'équipe ? Bien sûr et nous y veillerons. L'entraîneur espagnol est un homme qui connaît son travail. Il vient d'une école qui a fait ses preuves et qui sait où aller. Il est enthousiaste et entre ses joueurs et lui s'est créée une véritable osmose, un genre de complicité. Je pense que nous avons fait un bon choix d'autant plus que l'école espagnole connaît actuellement une belle réussite à travers le monde. L'étoile qui scintillera désormais sur les maillots de nos joueurs nous donne le droit de rêver.