L'ONG Human Rights Watch (HRW) vient de publier deux rapports sur la situation des droits humains en Tunisie. Constat : un bilan contrasté. La Tunisie peut mieux faire, lit-on entre les lignes Si le premier document aborde le traitement par la police des dernières manifestations du mois de janvier conséquents à l'adoption par l'ARP de la loi de finances 2018, le second évalue, dans le cadre d'un rapport mondial, les évolutions et les retards enregistrés dans le domaine des droits de l'Homme en Tunisie. Les récentes mobilisations sociales contre la hausse des prix de plusieurs produits de consommation se sont déclenchées d'une façon sporadique dès le 4 janvier, puis ont vite couvert plus de vingt villes, connaissant des violences et des actes de vandalisme et de pillage, notamment dans les cités populaires. Suite aux manifestations, plus de 930 personnes ont été arrêtées, selon les déclarations de Khalifa Chibani, porte-parole du ministère de l'Intérieur. Répression des manifestants et arrestations arbitraires HRW a enquêté sur plusieurs séquences de ces derniers événements. Son rapport intitulé : «Tunisie : brutalités policières lors des manifestations» relève : «Dans de nombreux cas lors de la vague de manifestations, les autorités ont respecté les droits aux libertés de réunion et d'expression pacifique. Les 12 et 14 janvier, par exemple, Human Rights Watch a observé le comportement de la police anti-émeutes à Tunis. En dépit d'une certaine tension avec des manifestants sur l'avenue Habib-Bourguiba dans le centre-ville, la police n'a pas empêché les manifestants de défiler en scandant des slogans antigouvernementaux...». Mais à d'autres moments, la police a réprimé les manifestants et arrêté par coups de filets et arbitrairement plusieurs d'entre eux. Dans les postes de police, et au cours des interrogatoires, certains ont été tabassés et même torturés, selon HRW. «Dans certains cas, des témoins ont affirmé que les autorités avaient violé les droits des personnes arrêtées en recourant contre elles à la violence physique ou en leur déniant l'accès à un avocat», poursuit le rapport. Par ailleurs, l'organisation ne semble pas d'accord avec la version du ministère de l'Intérieur concernant le décès de Khomsi Yeferni, un chômeur de 41 ans, le 8 janvier à Tebourba. Les autorités avaient affirmé que la victime était atteinte d'une maladie respiratoire et était morte asphyxiée par les gaz lacrymogènes. HRW a enquêté sur les circonstances de la mort de cet homme, visionné la vidéo montrant une voiture de police le renversant puis passant sur son corps — une vidéo filmée par l'un des manifestants — interviewé sa famille ainsi que des témoins de son décès. Les autorités ont annoncé l'ouverture d'une enquête sur la mort de Khomsi Yeferni. «Une telle enquête devrait être menée sans retard. Elle doit être impartiale, inclure des interrogatoires de témoins et mener à faire rendre des comptes à tout agent du gouvernement dont il serait prouvé qu'il a contribué à la mort de Yeferni, soit délibérément, soit par un acte de négligence criminelle. Des enquêtes similaires devraient être menées sur toutes les allégations de mauvais traitement physique de détenus», préconise HRW. «La Tunisie avance dans plusieurs directions à la fois» Par ailleurs et dans une perspective plus large de la situation des droits humains en Tunisie, la réalité semble complexe et pleine de paradoxes. Le dernier Rapport mondial de HRW pour l'année 2018 relève que si la Tunisie continue à avancer en matière des droits des femmes, elle a adopté en septembre dernier une loi amnistiant certains délits de corruption, étudie actuellement une loi qui renforce l'impunité des forces de l'ordre et continue à criminaliser l'homosexualité. «Comme une amibe, la Tunisie avance dans plusieurs directions à la fois, certaines bénéfiques, d'autres nocives», a déclaré Amna Guellali, directrice de Human Rights Watch à Tunis, cite le Rapport mondial, qui constate que « la lenteur des réformes affaiblit le respect des droits humains. Parmi ces retards, HRW revient sur une Cour constitutionnelle encore absente, quatre après l'adoption de la nouvelle loi fondamentale. D'un autre côté, les autorités ont continué à se servir du Code pénal pour réprimer et sanctionner des discours pacifiques et le droit à une vie privée. L'ARP a adopté le 13 septembre 2017 la loi, «relative à la réconciliation dans le domaine administratif», qui amnistie les fonctionnaires impliqués dans la corruption et le détournement de fonds publics, mais sans en retirer de bénéfices personnels. «Cette loi sape le travail de l'Instance de la vérité et de la dignité, instaurée en 2014, qui est compétente pour enquêter à la fois sur les anciennes violations des droits humains et sur les délits économiques», note encore le Rapport.