Au cours d'un colloque organisé avant-hier, l'IVD a présenté les grandes lignes de son programme concernant la préservation de la mémoire La préservation de la mémoire fait partie des prérogatives de l'Instance Vérité et Dignité. D'ailleurs une commission entière à l'IVD, présidée par Adel Maizi, est chargée de cette mission. La loi relative à l'instauration de la justice transitionnelle et à son organisation du mois de décembre 2013 stipule par ailleurs : « L'Instance recommande la prise de toutes mesures qu'elle juge appropriées pour préserver la mémoire nationale au sujet des victimes de violations. Elle peut, également, mettre en place les activités requises à cet effet ». Qu'a prévu l'IVD, dont les travaux arrivent à terme en décembre 2018, à ce niveau ? Comment raviver continuellement une mémoire de la répression et de la dissidence politique tue pendant des décennies ? Qu'en sera-t-il des archives de la commission Vérité? Notamment des enregistrements audiovisuels des témoignages des victimes ? Toutes ces questions ont été abordées avant-hier au cours du colloque sur les défis de la justice transitionnelle à l'approche de la fin du mandat de l'IVD. Un colloque initié par l'IVD, en collaboration avec plusieurs organisations de la société civile et avec l'appui du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme (Hcdh) et du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Edifier des mémoriaux et réformer les manuels d'histoire En Tunisie, l'histoire contemporaine s'est limitée, depuis des décennies, à une histoire officielle construite autour du mythe du chef, du culte de sa personnalité et du parti au pouvoir. De cette histoire ont été congédiées toutes les formes de répression qu'a connues le pays. Une vérité entre autres révélée au fil des douze auditions publiques tenues par l'IVD depuis le mois de novembre 2016, où des victimes sont venues relater les récits de périodes entachées de douleur, de peur, de pertes et de violences. « La Tunisie n'a jamais vraiment eu de politique de sauvegarde de la mémoire. La preuve, nous ne possédons même pas de carte archéologique. Que dire alors d'une mémoire des atteintes aux droits de l'Homme ? », fait remarquer Adel Maizi, commissaire à l'IVD. Le président de la commission de la préservation de la mémoire se base sur les recommandations des victimes pour dresser un projet ambitieux. « Beaucoup de victimes demandent la conservation des lieux liés à la répression et leur reconversion en mémoriaux ou en musées, tel la prison du 9 Avril, à Tunis, ou la rue Sabbat Edhlam, dans la Médina. D'autres préconisent de baptiser des rues, des places et des établissements publics des noms de victimes disparues ». Parce que grand est l'impact de la discipline Histoire pour la construction d'une identité nationale, pour développer l'appartenance à un pays et pour réconcilier les uns avec les autres, l'IVD est en pourparlers avec le ministère de l'Education nationale afin de réformer les manuels d'histoire et l'enseignement de cette matière, annonce encore Adel Maizi. « A archives spécifiques, une structure spécifique » L'autre volet important sur lequel travaille la commission de préservation de la mémoire concerne l'issue des archives de l'IVD. A côté des 80 000 Gigas, volume des enregistrements des auditions privées des victimes, l'Instance a rassemblé des documents divers. Ceux qu'elle a photocopiés à partir de dossiers originaux de la présidence de la République, par exemple, ou encore les procès politiques des 60 dernières années, en plus de ses publications à elle et des objets donnés par les victimes en vue de la mise en place d'un musée des violations. « Les Archives nationales peuvent-elles accueillir tous ces documents ? Cette institution bénéficie-t-elle de l'indépendance nécessaire pour gérer un tel fonds ? La loi sur la justice transitionnelle ne va-t-elle pas s'opposer à la loi sur les archives et à l'accès immédiat à ces informations, parsemées de données personnelles ? Comment faire pour que ces archives restent accessibles à tous ceux qui vont mener des procédures d'instruction et d'investigation en lien avec les chambres pénales spécialisées qui vont continuer après la fin des travaux de l'IVD ? Quelle sera la durée de vie des enregistrements des victimes ? Qui en décidera ?», s'est interrogé Adel Maizi. Imed Hazgui, président de l'Instance nationale d'accès à l'information, répond à quelques unes des questions du représentant de l'IVD. Pour ce magistrat, si les Archives Nationales sont dotées de toute la technicité nécessaire à l'hébergement et au traitement du fonds de la commission Vérité, elles ne semblent pas être munie des outils pédagogiques et d'une démarche culturelle et de communication qui lui permettraient de mettre en valeur les documents de l'IVD. « Le temps presse et il faut décider dès maintenant du lieu où l'IVD va déposer ses fonds », insiste Imed Hazgui. Mais le choix de l'Instance semble être fait. C'est à une institution dédiée à la mémoire que va la préférence de Sihem Ben Sedrine, la présidente de la commission vérité et de son équipe. « A archives spécifiques, une structure spécifique », soutient le député Imed Daimi. Il recommande à l'IVD d'engager, au plus tôt, une initiative législative mettant en place et encadrant cette nouvelle structure dédiée à la mémoire, qui serait proposée à l'ARP soit par le président de la République, le gouvernement ou dix députés « afin que le contenant des archives de l'IVD soit prêt au moment où elle achève ses travaux », conclut Imed Daimi.