Spectacle désolant. Pire, révoltant. L'un des lieux chargés de l'histoire à la fois spirituelle, culturelle, militaire et politique de la Tunisie est aujourd'hui livré à l'abandon, à la saleté et à la misère. Un véritable crime de lèse-Patrimoine qui, en plus, nuit considérablement à l'image du pays. Le cimetière de Sidi-Arfa, à Kairouan, du nom de son illustre locataire, à la fois chef spirituel, militaire et politique (décédé en 1542), crie détresse. Situé à la sortie sud-ouest de la capitale sacrée, il est devenu, en effet, un véritable dépotoir, un concentré de misère. De plus, il est devenu le refuge de familles pauvres qui y vivent sous les tentes et sous le zinc (juste derrière les mini-remparts). Abandon sur toute la ligne, même pas un écriteau pour renseigner les lieux, ni un autre pour renseigner sur celui dont le sanctuaire domine cette petite colline qui forme ce lieu sacré où gisent plusieurs savants dont Abou Ishaq Ettounsi (Xe siècle) et était contemporain du célébrissime imam Ibn Abi Zeyd Al Qayrawani et de Sidi Mehrez. Ensemble, ils avaient participé à la lutte scientifique contre le chiisme que les Fatimides ismaéliens avaient voulu imposer à notre peuple tout au long du Xe siècle. Prolongement du non moins sacré cimetière dit de Qoraïch qui abrite les sépultures d'illustres personnages dont certains avaient vécu au VIIe siècle, le cimetière de Sidi-Arfa a connu, il y a quelques années, une tentative de réhabilitation. Un bon nombre de Kairouanais, y compris des vieux ne connaissent presque rien sur Sidi Arfa, à part le fait qu'il est un marabout (à ne pas confondre avec l'Imam Ibn Arfa el Ourghemmi, Imam de la grande mosquée de la Zitouna et contemporain d'Ibn Khaldoun – XIVe siècle). Sidi Arfa, de son vrai nom Arafa Ibn Ahmed Ibn Makhlouf Ech Chebbi el Hidhli, est le fils du fondateur de la confrérie soufie d'Ech chebbiyya, à Kairouan, eux-mêmes descendants de Sidi Naamoun (originaire de la Chebba près de Mahdia). Contre Espagnols et Ottomans A la mort de son père, en 1485, il devient le chef de ladite école spirituelle pour s'avérer être un guide religieux vénéré, participant ainsi à la cohésion sociale de la région à une époque très trouble. Il va se distinguer au milieu du XVIe siècle en tenant tête, par les armes à la fois aux invasions de l'armée espagnole et à celle des Ottomans. Lorsque le sultan hafside, Hassan, demanda secours à Charles Quint d'Espagne afin de l'aider à contrer les ambitions des Ottomans (1535), le cheïkh Arfa réunit alors les cavaliers des tribus de la région et annonça la désobéissance. Avec ses hommes, ils commencèrent par évincer la garnison ottomane implantée, une année auparavant, à Kairouan par Dargouth Pacha, pour fonder un peu plus tard (1537) au centre du pays un Etat indépendant avec Kairouan pour capitale. Son armée dut glorieusement repousser, à partir de 1535, trois expéditions punitives du sultan, qui échouèrent toutes. La dernière ayant réuni des dizaines de milliers de soldats dont deux mille venus d'Espagne (le 12 novembre 1540 près de Jemmal). Mais l'Etat fondé par Sidi Arfa ne put résister à la puissance de feu ottomane (redoutables canons) et à certaines trahisons. Ainsi, le 3 janvier 1558, l'armée de Dargouth Pacha réoccupa Kairouan et mit fin à cette importante tentative de contrer l'occupation étrangère du pays, la principauté d'Ech Chebyya.