Agréable, riche et tellement dense d'informations confinées jusque-là dans un silence volontaire. On y découvre les noms, les parcours et les exploits de prêtresses, de saintes, d'Alimet (femmes de sciences) et de sultanes oubliées. Emna Ben Miled est psychologue et psycho-historienne. Chercheuse, spécialisée en études féminines, elle mène depuis plusieurs années un travail de longue haleine sur l'histoire des femmes tunisiennes. Elle vient de nous livrer le fruit de treize années de recherches sous la forme d'un ouvrage illustré de 248 pages : «Les Tunisiennes ont trois mille ans d'histoire». Agréable, riche et tellement dense d'informations confinées jusque-là dans un silence volontaire. On y découvre les noms, les parcours et les exploits de prêtresses, de saintes, d'Alimet (femmes de sciences) et de sultanes oubliées. Confinées qu'elles sont dans le «refoulé historique», selon les mots de l'auteure, et dans une histoire «masculino-centriste». Dans un capital de signes qu'il a fallu déchiffrer et décoder pour faire sens grâce aux instruments de la psychanalyse. Les saintes, dignes héritières des prêtresses carthaginoises «Pour relever le défi du silence, j'ai beaucoup lu et j'ai opté pour une psychanalyse du texte historique. Treize années de recherches documentaires ininterrompues, le silence finit par parler... Des noms, des surnoms, des bribes, des fragments de rituels, quelques actes, des signes tombent. Et toujours par accident de parcours. Et les informations sont si infimes qu'on ne comprend pas tout de suite sur quoi on est tombé !», écrit Emna Ben Miled dans l'introduction de son ouvrage. Emna Ben Miled cherche à convaincre et à prouver que la «tunisianité», synonyme de l'identité des femmes de son pays, est une construction dont les fondations remontent très loin dans l'histoire car «l'inconscient collectif d'un peuple traverse le temps», note-t-elle. Elle est à la recherche de cette liberté des femmes dans la vie publique quelque part confisquée depuis l'inauguration de la période islamique en Tunisie. Celle des prêtresses carthaginoises, qui dirigeaient temples religieux, collèges d'enseignement et grandes bibliothèques. «Ainsi, avant la naissance des religions monothéistes, à l'intérieur des religions païennes, des femmes brillèrent de tout leur feu». Par la suite, arrivèrent de dignes héritières de ces prêtresses, les saintes de la Tunisie islamique. Lella Arbia, Lella Salha, Lella Hadhria, Lella Meriem, Lella Zemzmia, Lella Sabra, Lella Cherifa, Lella Latifa, Lella Afiya, Lella el Khadra, Om Zine jammaliya, Saida Mannoubiya...Elles sont si nombreuses qu'aucune région, aucun ville, ni village ne manqua de ces femmes quasi sacralisées par les populations qui en firent des messagères de Dieu. Beaucoup d'entre elles refusèrent de se marier avec un conjoint choisi par le père. Elles déclarèrent ainsi haut et fort leur volonté de décider de leur destin. Saida Mannoubiya, elle, devient «qôtb», un pôle de lumière spirituelle soufie. Elle occupa une position supérieure à celle de l'imam et dirigea les prières, relate Emna Ben Miled, qui consacra en 2015 un film à cette sainte qui a vécu hurra (libre) au XIIIe siècle. Saida Mannoubiya tire son exceptionnelle émancipation de ses origines amazigh, où les femmes ne se voilent pas, ne subissent ni le tabou de la virginité, ni le poids de la polygamie. C'est cette civilisation qu'Emna Ben Miled a essayé de sortir de l'oubli dans son livre, en ressuscitant sa culture, ses mœurs, et surtout le sens de la liberté de ses femmes.