Une évidence, une certitude : les concertations et les négociations reprennent cette semaine (probablement mercredi 6 juin) dans le but de trouver une issue au blocage actuel. Mais cette fois, Youssef Chahed ne se contentera pas du statut «d'un spectateur qui attend ce que les séniors décideront pour lui» Quand Me Saïda Garrache, la porte-parole officielle de la présidence de la République, était intervenue, lundi dernier, pour annoncer que le président Béji Caïd Essebsi «a décidé la suspension du Document de Carthage», on avait cru que le document et la genèse de l'opération politique qui a accompagné son apparition ont vécu et que les présidents des partis politiques et les patrons des organisations nationales qui s'apprêtaient à signer le Document de Carthage II et à approuver ses 64 articles (63 articles à caractère économique, le dernier, soit le 64e, était consacré au sort de Youssef Chahed) étaient renvoyés à leurs chères études dans le sens que le processus a échoué en entier et que la crise va s'enliser davantage. Sauf qu'en analysant un peu plus profondément la déclaration de Me Garrache, on découvre qu'elle ne parlait pas de la fin du processus du Document de Carthage mais bel et bien de la suspension des concertations sur l'adoption de la feuille de route aux 64 points préparée par les experts représentant les partenaires au Document jusqu'à nouvel ordre, ce qui revient à dire que l'initiative est toujours en vigueur et même si le point 64 relatif au sort de Youssef Chahed a divisé les participants à la réunion, le dialogue et la concertation sur la feuille de route et sur la personnalité qui la mettra à exécution se poursuivront. En d'autres termes, l'Ugtt, l'Unft et Nida Tounès (faction dirigée par Hafedh Caïd Essebsi) qui exigent le départ de Youssef Chahed, d'une part, et Ennahdha ainsi que les députés acquis au chef du gouvernement, d'autre part, continueront le dialogue, une fois que les esprits se seront calmés et aussi une fois que le président de la République aura repris l'initiative et décidé de contenir ou de maîtriser la crise interne qui a éclaté au sein de Nida Tounès (plusieurs députés nidaïstes ayant déclaré qu'ils s'opposent aux positions du directeur exécutif de leur parti). On attendait également le retour à la table des négociations, une fois les deux présidents de la République et d'Ennahdha et architectes d'«Attawafok» seraient parvenus à créer les conditions idoines à surmonter la crise conjonctuelle qu'Ennahdha et Nida Tounès sont en train de vivre à la suite des résultats ayant sanctionné les municipales du 6 mai 2018, résultats qui ont encouragé les opposants au consensus à aller encore de l'avant pour exiger que l'expérience cesse. Youssef Chahed change de statut Et au moment où on attendait les résultats auxquels pouvaient aboutir les tractations secrètes entre le palais de Carthage, d'une part, et Ennahdha et l'Ugtt, d'autre part, Youssef Chahed s'est invité au débat mais publiquement pour signifier aux partenaires du paysage politique national qu'il n'est plus disposé à ce que les autres décident de son sort, en premier les responsables de son parti, Nida Tounès, «précisément ceux qui ont mené le parti à la déconfiture et sont les responsables de son double échec cuisant aux législatives partielles en Allemagne et aux municipales du 6 mai dernier». Et le discours de Youssef Chahed d'introduire une nouvelle donne dans les concertations se déroulant actuellement pour trouver une solution à la crise politique paralysant le pays depuis près de trois mois. On se pose désormais la question suivante : Youssef Chahed a-t-il réussi à s'imposer comme un partenaire inéluctable dans toute issue à la crise dans le sens que les concepteurs de la solution «Document de Carthage» ne sont plus en mesure de décider de son avenir sans qu'il n'y soit associé ou au moins écouté ? Et ceux qui posent cette question n'oublient pas de préciser que l'accession de Youssef Chahed du statut «d'un Premier ministre à La Kasbah attendant docilement les décisions de Carthage» à celui «d'un chef de gouvernement qui fait entendre sa voix sur la TV nationale alors que le président de la République était en voyage et qui fait régner la division au sein de son parti et aussi de son bloc parlementaire où plusieurs députés n'hésitent plus à dénoncer publiquement les agissements de leur directeur exécutif», ce nouveau statut du locataire de La Kasbah reste tributaire de la position d'Ennahdha qui continue à tirer les ficelles et à monnayer ou à marchander les dividendes qu'il pourra tirer du maintien de son soutien à Youssef Chahed ou du changement de sa position peut-être au cours de la semaine qui s'ouvre aujourd'hui, dans le sens de cautionner ce que le chef de l'Etat proposera pour départager Youssef et Hafedh. Certaines indiscrétions sont en train de circuler ces derniers jours, militant pour une formule selon laquelle aussi bien le chef du gouvernement que le directeur exécutif de Nida Tounès «payeront communément les frais de la situation conflictuelle actuelle». En tout état de cause, s'il y a un enseignement à tirer de cette crise, c'est bien celui de la conviction qu'en Tunsie, aucune crise ne peut être résolue en dehors du dialogue et de la concertation même si on met toujours beaucoup de temps pour y recourir. A l'époque du Dialogue national, l'on se rappelle qu'on a frôlé le chaos à plusieurs reprises mais la voix de la raison a fini par prévaloir et on est arrivé à une solution consensuelle qui nous a permis de mener le pays aux législatives et à la présidentielle d'octobre et novembre 2014. Aujourd'hui, c'est bien par la grâce du dialogue et rien que par le dialogue que l'on balisera la voie à la réussite de l'échéance 2019, même si quelques visages n'y seront pas.