Sous titré Essai métissé, le livre Rhapsodie méditerranéenne, que Jean-Marie Lamblard vient juste de publier aux éditions Loubatièes, a de quoi surprendre. Il est un voyage à rebours dans le temps, d'hier et d'aujourd'hui, qui interpelle non seulement notre conscience mais également notre raison. L'auteur est docteur en ethnozoologie; il a sillonné le monde et engrangé les expériences ; il sait donc de quoi il parle. Son intention première, en écrivant ce livre, est on ne peut plus claire: " …Sans renoncer au plaisir de conter une histoire, il s'agit de guider l'audacieux dans un périple autour de la mer des deux rives et, chemin faisant, d'essayer de reconstituer les affrontements de peuples, les coudes à coudes fraternels, et les échanges fructueux, en restituant aux populations du Nord-africain leur souveraineté dans la genèse de ces moments historiques majeurs"(10) Se présentant comme un «conte» divisé en douze «actes», avec un prologue appelé «Avant-dire», un épilogue et une longue bibliographie, le livre est une remontée aussi savante que plaisante, pleine de verve, dans le temps, brassant une multitude de sujets, du «mythe de la cabre d'or» et autres «fariboles» provençales des temps immémoriaux, jusqu'à la chute de Grenade, en passant par le siècle d'or d'Alaric, l'invasion des Vandales, des Arabes, des Berbères et autres Sarrazins. Un périple long et varié, suivant à la trace un fil d'Ariane : l'observance du «limpieza de sangre» ou la propreté du sang et, dans son sillage, ses tristes conséquences. En effet, c'est de cela qu'il s'agit en réalité : faire entrevoir subtilement les méfaits dus à la qualification de certains événements historiques et les différences fondatrices du décalage existant entre eux. En voulant témoigner sur les divers " gisements de mémoire contenant en germe des facteurs d'intolérance" . (p.25)J-M. Lamblard visait à débarrasser ses lecteurs des œillères fixées par l'enseignement traditionnel et leur faire découvrir des réalités jusqu'ici insoupçonnables parce qu'elles ont été masquées ou déguisées, puis imposées d'une manière insidieuse. Un exemple parmi d'autres : " Au Moyen-Age, des Arabes appelés Sarrazins ont-ils envahi et occupé massivement le Midi de la France? Déclarons-le d'emblée, la réponse est non. Cette façon de présenter l'histoire est fausse et souvent tendancieuse. " (p. 14) Tout comme cette " Chanson de Roland scolaire qui ressurgit soudain, avec son combat de chrétiens contre musulmans, et ses anachronismes. " (p. 9) Faut-il le souligner ? Ce témoignage a valeur d'engagement. L'authenticité ethnique est un leurre, affirme J-M. Lamblard, c'est duper le monde que de vouloir " transposer les lois de Mendel sur les populations humaines. "(p .8). Ou encore : " Répétons que nous ne croyons pas beaucoup aux racines ethniques ou territoriales. Seul ou en couple, l'homme de nature apparaît foncièrement nomade, c'est un voyageur, un sans-frontière " (p.63), tant il est vrai que " la frontière et l'Etat guichetier ne sont que des obstacles inventés par les modernes. " (p.151) Que la pureté raciale soit donc un prétexte à l'exclusion, nul doute là-dessus. L'oublier revient à occulter fractures et ces inégalités porteuses d'une violence insidieuse qui frappent aujourd'hui le monde. " Il faut prendre garde aux résurgences des vieux démons racistes " (p. 8), prévient J-M. Lamblard. Ajoutons que, de tout temps, l'homme est resté, hélas, un loup pour l'homme ; la triste conclusion de Bertold Brecht est toujours d'actualité : " Le ventre est encore fécond d'où est / Surgie la bête immonde. " La Méditerranée a toujours été un monde pluriel où s'entrecroisent les êtres et les cultures, aire de rencontres obligées et d'échanges. N'a-t-elle pas été, de tous les temps, le berceau des cultures, la mère nourricière ? Mais comment réussir à déterminer avec certitude le peuplement de ses pays riverains ?, se demande J-M.Lamblard, comment arriver donc à reconstituer honnêtement l'histoire des migrations antiques ? L'histoire orale ne peut jamais traverser des millénaires sans accrocs, sans ajouts, sans superpositions. A cet égard, il faut lire la savoureuse faribole sur «Hannibal et ses éléphants traversant le Rhône», pour s'en convaincre.(p.22) En cette période de globalisation et de migration généralisée où les frontières culturelles s'ouvrent de plus en plus et où le maître-mot est devenu la transmission du savoir, espérons que ce livre puisse servir à corriger un tant soit peu les ignorances ou les simplifications outrancières et créer ainsi un esprit d'ouverture sur la culture de l'Autre. Seul le relativisme des cultures peut garantir l'apprentissage interculturel et, partant, dissiper l'incompréhension entre les peuples. Rendre la mémoire aux lecteurs, à ces «audacieux», leur faire découvrir l'arrière-scène de l'Histoire, qui apporte quelque clarté sur les errements du passé, voilà donc la «substantifique moelle» de ce beau livre qu'il faut lire et relire. Il est vrai que le progrès humain ne se juge qu'à l'aune du but que tout un chacun assigne à sa vie. Celui que J-M. Lamblard s'est assigné dans Rhapsodie méditerranéenne des plus nobles. En tête de sa préface, il avait placé ces mots de Régis Debray: " La réécriture du passé est dynamique, tournée vers le futur. Son rôle est de donner sens au présent en offrant un point de mire enviable à une communauté qui aurait de quoi douter de son avenir ". Et c'est tout dire. http://www.rafikdarragi.com/