Triés sur le volet, les agents de sécurité veillent au grain pour empêcher les fauteurs de troubles de gâcher la saison touristique. Les agents de sécurité privés font aujourd'hui partie intégrante du décor de notre tourisme. Maîtres des points d'accès aux hôtels et aux discothèques, ils sont là, omniprésents, pour protéger l'établissement et faire régner l'ordre. La carrure impressionnante, triés sur le volet généralement parmi les pratiquants de sports de combat (boxe, lutte, karaté, judo...), ils sont chargés de l'ingrate tâche de faire barrage aux fauteurs de troubles. Ceux-là mêmes qui, en tant que bandits ou repris de justice, ou en état d'ébriété, tiennent coûte que coûte à entrer. Il n'y a pas photo: ces perturbateurs, il faut les... mâter absolument. Une fois muselés et maîtrisés par la force, ils attendent d'être embarqués par la police déjà alertée. Comme quoi, les dégâts ont été limités et le calme rétabli. Mais là où le boulot devient un vrai calvaire, voire un danger certain, c'est lorsque l'incident se termine en queue de poisson, sous forme d'une bataille rangée qui se déroule parfois à couteaux tirés pour ne prendre fin qu'avec l'intervention d'une patrouille policière. Les temps ont changé Autant dire que le métier d'agent de sécurité privé est devenu le métier de tous les risques. Hamadi Ben Salah, 36 ans, en connaît quelque chose. Ex-champion de Tunisie de boxe, originaire du quartier populaire de la cité Ettadhamen, il regrette d'avoir interrompu précocement ses études secondaires. «Je le regrette amèrement, murmure-t-il, parce que, condamné au chômage en dépit des promesses de mon club, de la fédération et même du ministère de la Jeunesse et des Sports, j'ai dû, à mon corps défendant, accepter ce sale boulot que je ne soupçonnais jamais si difficile, si dangereux. C'est très simple : j'ai des ordres du patron à appliquer scrupuleusement pour éviter le spectre du licenciement. Malheureusement, on nous oblige parfois à voir rouge et à user ensuite de nos poings de boxeur pour mettre un bandit hors d'état de nuire, avec tout ce que cela engendre comme dérangement pour la boîte, comme panique pour les clients et comme ennuis pour votre serviteur». A titre d'exemple, Hamadi nous raconte une de ses mésaventures qui l'a vu passer, toute la nuit, au chevet de sa victime qui avait frôlé le coma à l'hôpital. «Tout a commencé, se remémore-t-il, lorsqu'un intrus qui s'avérera être un repris de justice connu pour ses antécédents judiciaires en violences, drogue et braquages, s'amena, ce soir-là. Le look louche, la tenue incorrecte et sans la moindre politesse, il fit irruption dans la discothèque. Et lorsque j'intervins pour le faire sortir, il me gifla avant d'exhiber un... couteau. Je ne sais alors comment je lui adressai deux uppercuts foudroyants qui le mettront K.-O. Groggy, il perdit connaissance. Je l'ai cru mort. Inutile d'imaginer l'ampleur de ma peur, au point que j'ai failli prendre la fuite, n'eût été le concours précieux de mon employeur qui s'empressa de le transporter à l'hôpital. Une fois l'orage passé, j'ai subi deux heures d'affilée d'interrogatoires au commissariat de police où je l'ai finalement échappé belle, grâce aux témoignages déterminants de mon patron et de deux clients de la discothèque». En réalité, ce récit n'a rien de particulièrement étonnant, cela fait partie des risques du métier depuis belle lurette ! Or, les temps ont changé, tout simplement parce que la puissance physique et la force de frappe ne suffisent plus face à l'émergence de nouvelles menaces. En effet, aujourd'hui, il n'est plus rare pour un agent de sécurité privé de tomber sur un présumé visiteur qui ne paye pas de mine et qui doit normalement passer presqu'inaperçu, alors qu'en fait il est soit drogué, soit muni d'un couteau ou d'une bombe à gaz, soit carrément armé en mode terroriste. Et comme deux discothèques sur trois ne sont pas dotées d'équipements de détection des métaux, la moindre distraction du portier sera parfois lourde de conséquences. D'ailleurs, des boîtes de nuit, notamment à Hammamet et Sousse, ont fait l'objet ces dernières années, de décisions de fermeture ordonnées par les autorités régionales, à la suite des bagarres aux couteaux qui s'y sont déclarées. De surcroît, le tragique attentat terroriste qui avait frappé de plein fouet l'hôtel Impérial en 2015 ne semble pas avoir eu son effet dissuasif, la leçon n'ayant pas été retenue par certains hôteliers qui lésinent, hélas, encore sur les moyens en matière de recrutements en nombre suffisant d'agents de sécurité privés. «Nous sommes obnubilés par l'obligation de résultat, alors que nous sommes totalement démotivés», déplore notre interlocuteur, qui évoque «la maigreur des salaires, l'absence de primes incitatives et, comble de malheur, les risques de tous les instants d'un licenciement abusif». Cela nous conduit à parler des autres problèmes dont souffre ce métier. En effet, outre les difficultés citées ci-haut, nous avons conclu que cette profession n'offre quasiment aucune garantie pour une longue carrière. «On ne bénéficie, soutient Hamadi, ni de salaire honorable, ni de gratuité des soins, ni d'assurances, ni encore d'affiliation à la Cnss. C'est à prendre ou à laisser». Ceci pour les portiers temporaires. Quant à ceux qui ont la chance d'être enrôlés par les sociétés de gardiennage et de sécurité privées, eh bien, ils ne sont pas en reste, puisque là aussi, nous avons relevé plusieurs... bizarreries qui vont de la modestie du salaire à la privation de la prime de rendement, en passant par la condamnation de l'employé à changer régulièrement de poste et à attendre une... éternité pour avoir enfin droit à la prime des heures supp ! Ayant perdu patience, les présumées victimes sont passées récemment à l'action, d'abord en exhibant le brassard rouge sur le lieu du travail, ensuite en observant deux jours de grève. Le tout pour une seule revendication, à savoir la satisfaction de leurs droits légitimes. Jusqu'à quand durera leur malheur? That's the question.