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II - La crise internationale de Bizerte à l'ONU (juillet-août 1961)
55ème anniversaire de la fête de l'évacuation de bizerte (1963-2018)
Publié dans La Presse de Tunisie le 15 - 10 - 2018


Un brillant succès pour la diplomatie tunisienne
Par Mohieddine HADHRI
Après avoir rappelé les origines et les circonstances du déclenchement de la guerre de Bizerte en juillet 1961, l'auteur décrit dans ce second volet les conséquences de cette crise sur le plan international et au sein de l'ONU à New York , laquelle a consacré les droits légitimes de la Tunisie, ouvrant ainsi la voie à l'évacuation de Bizerte par la France le 15 octobre 1963.
Vers l'internationalisation de l'affaire de Bizerte
Dans le monde, la question de Bizerte prit très vite les dimensions d'une crise internationale majeure qui venait s'ajouter à la crise de Berlin. Les capitales occidentales étaient furieuses. De Paris à New York en passant par Londres, les journaux dénonçaient la provocation de Bourguiba qui se targuait d'être l'ami de l'Occident et ne manquaient pas de l'accuser, comme l'a fait le New York Times, de faire le jeu des Soviétiques en Méditerranée.
« Quel que soit le mobile de son acte, le président Bourguiba fait le jeu des Soviétiques en Méditerranée et il risque de provoquer en Afrique du Nord de nouvelles complications qui pourraient le conduire à sa perte. » (1)
Au cours de la crise de Bizerte, l'Union soviétique se tint à l'ONU aux côtés de la Tunisie. Khrouchtchev rencontrait l'ambassadeur de Tunisie à Moscou, Ahmad Mestiri et l'Agence Tass de son côté, publiait le 23 juillet 1961 une déclaration dénonçant dans des termes violents , « l'agression de la France contre la Tunisie » . L'attitude soviétique dans l'affaire de Bizerte suscitait la colère des journaux américains qui estimaient que le « principal bénéficiaire de cette guerre dépourvue de signification est Khrouchtchev. et que la crise de Bizerte détournait l'attention des alliés occidentaux de la question de Berlin et donnait aux communistes une occasion de se poser en champions des Etats arabes. » (2)
Dès le 19 juin 1961, l'affaire de Bizerte fut portée par la Tunisie devant l'ONU. Dans le télégramme adressé par la Tunisie au secrétaire général de l'ONU, le suédois Dag Hammarskjöld , on pouvait lire notamment :
« Depuis le 19 juillet après-midi, la ville et le gouvernorat de Bizerte sont l'objet d'attaques de la part de l'aviation et de la marine françaises. En outre, 800 parachutistes français ont été largués sur Bizerte, violant ainsi l'espace aérien de la Tunisie malgré l'interdiction formelle du Gouvernement tunisien. (….) Ces actes représentent une violation caractérisée de l‘espace aérien et de l'intégrité territoriale de la Tunisie, Etat membre de l'Organisation des Nations unies. Ils constituent en outre une agression caractérisée et préméditée, menaçant gravement la paix et la sécurité internationales.
J'ai l'honneur en conséquence de vous demander de bien vouloir réunir d'extrême urgence le Conseil de Sécurité en vue d'examiner la plainte que la Tunisie porte contre la France pour actes d'agression portant atteinte à la souveraineté et à la sécurité de la Tunisie et menaçant la paix et la sécurité internationales. (…) (3)
La première séance du Conseil se tint le lendemain matin 21 juillet et dur plus de 6 heures. Mongi Slim prit la parole en premier : il présenta les faits et affirma que la Tunisie rejette la présence de toute force étrangère sur son territoire. Son discours était un modèle de clarté, de fermeté et de modération. Sur le fond, il exprimait la philosophie politique des pays africains et arabes, aspirant au respect de la souveraineté des Etats et de la dignité des peuples.
Dès le départ, la France en dépit de ses efforts diplomatiques auprès des pays occidentaux et africains s'est retrouvée isolée dans l'enceinte onusienne comme l'a constaté son ambassadeur Armand Bérard en soulignant : « L'état d'esprit favorable à la Tunisie qui règne dans les milieux des Nations unies » ainsi que « la gêne certaine de nos amis africains à notre égard. »
Ainsi, aux termes de la Résolution intérimaire du 22 juillet 1961 (S/4882), le Conseil :
« Considérant la gravité de la situation en Tunisie, en attendant la fin des débats sur la question à son ordre du jour, 1- Demande un cessez-le-feu immédiat et le retour de toutes les forces armées à leurs positions initiales ; 2- Décide de poursuivre les débats. »
Toutefois, cette première résolution de l'ONU ne fut pas suivie d'effet, la France déniant toute compétence à l'ONU dans ce domaine, refusa de procéder au retrait de ses forces militaires de la ville de Bizerte investie par des milliers de parachutistes mettant celle-ci en état de non-respect de la résolution du Conseil de sécurité .
Répondant à cette situation de blocage, le 25 juillet 1961, 40 pays africains et asiatiques, rejoints par la Yougoslavie, adressent une lettre au président du Conseil de sécurité affirmant « le droit souverain qu'ont tous les Etats de ne pas tolérer la présence de forces étrangères ou de bases militaires étrangères sur leur territoire… Nous soutenons, ajoutent-ils, que le désir explicite de ne pas avoir de forces ou de bases étrangères sur le territoire de la Tunisie doit être respecté ».
Dès le départ, le secrétaire général de l'ONU , Dag Hammarskjöld, appela à la cessation des combats tout en soutenant la position de la Tunisie, où il se rendit le 23 juillet 1961 sur invitation du Président Bourguiba. Très bien accueilli par la Tunisie, Dag Hammarskjöld, à l'inverse, subit une humiliation publique de la part des autorités françaises à Bizerte qui refusaient de le recevoir. A 16 heures, Dag Hammarskjöld arrivait dans la ville de Bizerte après avoir été contrôlé par une patrouille de l'armée française, la malle de sa voiture ouverte et son identité vérifiée. Sa demande d'entretien avec l'amiral Maurice Amman, commandant de la base de Bizerte, fut refusée sur ordre de de Gaulle. Le porte-parole de l'ONU à New York stigmatisait «le mépris que la France reflète à l'égard des Nations unies». Cela ne manquera pas de se traduire dans les débats de l'enceinte onusienne tout comme dans le vote qui allait suivre au cours de la troisième session extraordinaire de l'Assemblée générale convoquée par Dag Hammarskjöld pour le 21 août 1961.
Au cours de cette troisième session, Mongi Slim, qui était notre représentant permanent à l'ONU, a mené avec brio une bataille diplomatique remarquable, mobilisant tous les représentants des pays arabes et afro-asiatiques en faveur de la position tunisienne, réussissant brillamment à isoler la France tant et si bien que celle-ci allait décider de se retirer avant le vote final de l'Assemblée générale sur l'affaire de Bizerte. En effet, le 25 août 1961, lors d'une session extraordinaire de l'Assemblée générale, la communauté internationale adopta une résolution blâmant la France à une large majorité par 66 voix et 30 abstentions contre 0 pour la France en l'absence de la délégation française. Par ce vote onusien, unique dans les annales de l'Assemblée générale, la Tunisie remporta une victoire diplomatique éclatante contre la France. D'aucuns sont allés jusqu'à évoquer « un Dien Bien Phu diplomatique » subi par la France dans l'affaire de Bizerte au sein de l'ONU.
Hélas ! Un mois plus tard, le 18 septembre 1961 précisément, Dag Hammarskjöld, secrétaire général des Nations unies, périt dans un accident aérien tragique alors qu'il effectuait une mission de maintien de la paix au Congo, pays africain en pleine guerre civile. Avec la disparition dans des circonstances mystérieuses de Dag Hammarskjöld, la communauté internationale aura perdu un diplomate remarquable, inventeur de la diplomatie du maintien de la paix qui aura réussi à assumer pleinement son rôle en tant que secrétaire général de l'ONU dans les batailles de la décolonisation du tiers-monde.
Une semaine après cet évènement tragique, l'ambassadeur tunisien Mongi Slim a été élu président de la XVIe session de l'Assemblée générale des Nations unies. Ce qui constitua, faut-il le souligner, un véritable exploit de la jeune diplomatie tunisienne. Son nom fut même évoqué par de nombreux pays africains et arabes pour succéder à Dag Hammarskjöld dont il était un proche et fidèle collaborateur en tant que secrétaire général de l'ONU.
En tout état de cause, la crise de Bizerte et l'élan de solidarité qu'elle suscitera dans le monde arabe, en Afrique, en Urss, ainsi que dans les pays scandinaves eut pour conséquence l'infléchissement de la diplomatie tunisienne vers un rapprochement du camp des Non-Alignés. Le 2 septembre 1961, lors de la Conférence constitutive du mouvements des Non-Alignés à Belgrade, Bourguiba y assistera pour la première fois, accueilli en héros de la décolonisation. Et à la tribune de Belgrade, c'est sous l'emblème de la décolonisation que Bourguiba a prononcé son discours. Pour la première fois aussi, Bourguiba remerciait les pays socialistes et se déclarait officiellement favorable a l'admission de la Chine populaire aux Nations unies.
Le 15 Octobre 1963 : l'évacuation de Bizerte
C'est le 5 septembre 1961 que l'affaire de Bizerte est évoquée inopinément par de Gaulle dans sa conférence de presse. D'abord, il réagit mal dans sa conférence de presse à ce vote onusien du 21 août 1961 en critiquant ouvertement l'ONU :
«Il paraît que l'Organisation des Nations «dites unies» a discuté et voté une motion sur le sujet. Je ne crois pas nécessaire d'indiquer qu'étant donné la façon dont cette organisation est maintenant composée, les courants frénétiques ou chimériques qui l'agitent et aussi l'état de violation permanente de sa propre Charte où elle se trouve, nous ne lui reconnaissons aucun droit d'arbitrage ni de juridiction».
Puis, dans une tentative de justifier les événements dramatiques de Bizerte, il avançait les arguments suivants :
«On comprend que la France ne veuille pas et ne puisse pas dans l'actuelle situation du monde s'exposer elle-même, exposer l'Europe, exposer le monde libre, à l'éventualité d'une saisie de Bizerte, par des forces hostiles. J'ai dit à Bourguiba que la situation étant ce qu'elle était, la France ne pouvait et ne voulait pas quitter Bizerte, et je dois dire qu'il m'a paru s'en accommoder. Il affirmait à plusieurs reprises que, pour le Maghreb, la question essentielle était le règlement de l'affaire algérienne ; et tant que cette affaire-là n'aurait pas abouti, il ne poserait pas la question de Bizerte pour ne pas ajouter à la complication des choses. Nous pouvions penser que tout en proclamant la souveraineté de la Tunisie sur Bizerte, souveraineté qui n'a jamais été contestée, en principe, du côté français et qui ne l'est pas ; et tout en déclarant qu'un jour serait négocié le retrait des troupes françaises, on comprenait que la situation générale ne comportait pas actuellement cette issue. Puisse Tunis trouver avec Paris un arrangement qui soit conforme au bon sens. C'est le souhait de la France».
Cette nouvelle rigidité du discours de de Gaulle fut mal reçue et mal comprise en Tunisie. Le 7 septembre 1961 , les quotidiens tunisiens critiquent sévèrement les déclarations du chef d'Etat français. La Presse titre : «De Gaulle refuse d'évacuer Bizerte». L'organe du parti, El Amal, écrit en première page : «De Gaulle dévoile son intention de perpétuer l'occupation de Bizerte». Un journal parisien avance : «Les Tunisiens sont atterrés des propos du général de Gaulle (...) Ils envisagent la reprise des combats».
Cependant, le même jour, un nouveau coup de théâtre : à midi, une dépêche de Belgrade annonce une déclaration du président Bourguiba et les correspondants de la presse étrangère sont dûment prévenus d'avoir à enregistrer une mise au point «énergique» du chef de l'Etat tunisien. L'après-midi, depuis Belgrade, Bourguiba, saisissant intelligemment l'adresse du général de Gaulle, se déclara «pleinement satisfait de la reconnaissance de la souveraineté tunisienne et du désir français de quitter Bizerte».
Alors qu'en apparence, les déclarations du général de Gaulle, justifiaient la guerre menée à Bizerte par l'armée française, Bourguiba avait compris qu'il s'était agi, pour la France, d'un combat en retraite conditionné par le problème algérien. Plutôt que de se raidir dans le défi, il avait choisi de n'entendre que le seul élément positif des propos gaulliens, en ignorant tous les autres ; persuadé que la logique des événements lui donnerait raison.
Les négociations prendront près de deux ans avant d'aboutir. Le 15 octobre 1963, l'évacuation de Bizerte sera amorcée. Bourguiba célébra donc ce grand événement politique en compagnie du président égyptien Nasser qui accepta l'invitation de Bourguiba, du président algérien Ahmed Ben Bella, du prince héritier de Libye et d'un représentant du roi du Maroc. L'évacuation de la base de Bizerte semblait marquer le dénouement de la crise des relations franco-tunisiennes et représenter pour un moment un nouvel horizon pour les relations maghrébines et arabes .
La bataille de Bizerte et les leçons de l'Histoire
Une question fondamentale demeure : cette guerre était-elle inévitable ? Les historiens auront tout loisir d'étudier les péripéties de cet épisode tragique dans les relations franco-tunisiennes. Dans le sillage de cette affaire, deux vieux combattants de la liberté : De Gaulle et Bourguiba, que tout aurait pu rapprocher — tant leurs qualités de visionnaire savaient s'accommoder du pragmatisme — s'étaient laissés entraîner dans un conflit sanglant et meurtrier..
Cependant, quelles que fussent la genèse de la crise de Bizerte et ses conséquences dramatiques, cette bataille sanglante nous permet, avec le recul du temps, de tirer quelques enseignements historiques dont nous retiendrons trois au moins :
1) D'abord pour la Tunisie elle-même, la récupération ou plutôt la libération de Bizerte avait coûté cher à la Tunisie. En effet, la guerre de Bizerte avait profondément bouleversé et terriblement choqué le peuple tunisien. La France avait utilisé une armada sans commune mesure avec le front tunisien, composé d'une jeune et modeste armée défensive et d'une population manifestant pacifiquement ses protestations. Ces quelques jours de combat auront fait, selon des estimations, plusieurs centaines de morts ; près de 900 selon le New York Times et la Croix-Rouge internationale. Cependant, le communiqué officiel tunisien fera état de 630 morts et de 1.555 blessés. Toutefois, les pertes réelles en vies humaines du conflit de Bizerte continuent à alimenter les controverses. D'aucuns sont allés jusqu'à évoquer sans preuves de milliers de morts et de disparus.
De l'autre côté de la Méditerranée, en France, la guerre de Bizerte a suscité de nombreux écrits et témoignages. L'un des témoignages vécus sur ces événements sanglants de Bizerte est celui de Philippe Boisseau, jeune militaire français ayant pris part au combat de Bizerte :
«… Parfois, quand je ne trouvais pas le sommeil, j'ai souvent pensé à vous, soldats tunisiens ou jeunes militants destouriens en bleus de chauffe, plombés de soleil, baignant par centaines dans votre sang qui coulait sur l'asphalte…. Tuer des centaines de jeunes hommes pour une base qu'on a décidé de toute façon de rendre et qu'on rendra en effet quelques mois plus tard ! Quelle folie!. »
Au cours de ces journées fatidiques, les combattants tunisiens, malgré le rapport inégal de forces, ont fait preuve d'un courage et d'une détermination remarquables, se battant rue par rue, maison par maison, suscitant l'admiration de l'adversaire. Contrairement à ce qu'a écrit de Gaulle dans ses mémoires en parlant de « la débandade de l'armée de Bourguiba», l'amiral Maurice Amman, commandant en chef de la base navale de Bizerte lors de la guerre de Bizerte, l'a clairement évoqué quelques jours après la bataille : " Je tiens à rendre hommage à la jeune armée tunisienne qui s'est bien battue et dont les soldats furent très courageux.".
De son côté, le peuple tunisien a fait preuve tout au long de cette crise sanglante d'un haut degré de civisme. Tout au long de ces journées fatidiques, il n'a été enregistré aucun acte de violence ou d'hostilité ouverte contre les membres de la communauté française vivant encore en Tunisie et dont le nombre était de l'ordre d'une centaine de milliers. Même les prisonniers français se chiffrant par dizaines n'ont pas été maltraités.
2) A l'échelle de l'Afrique du Nord, un autre leçon s'est imposée clairement. Le conflit de Bizerte aura indirectement et efficacement contribué à hâter la fin de la guerre d'Algérie puisque cette dernière deviendra indépendante un an plus tard, le 5 juillet 1962, une indépendance qui a mis fin à l'une des guerres les plus meurtrières dans l'histoire de la décolonisation française. Au cours de cette guerre d'Algérie, nul doute que la Tunisie a payé un lourd tribut pour sa solidarité réelle et effective avec la cause algérienne, laquelle fut la cause principale des crises et des malentendus qui ont jalonné les rapports franco-tunisiens depuis l'indépendance en mars 1956.
3) Enfin, la guerre de Bizerte aura d'une certaine manière contribué à faire mûrir les idées et les méditations du Général de Gaulle sur le dossier combien douloureux et dramatique de la décolonisation en Afrique du Nord. A propos de cette affaire de Bizerte, Alain Peyrefitte rapportera plus tard ce que lui répondait le Général de Gaulle, après le Conseil des ministres du 10 avril 1963. A la question du conseiller de de Gaulle « Est-ce-que nous n'avons pas été un peu durs avec nos amis Tunisiens dans l'affaire de Bizerte ? » le Général de Gaulle a répondu ce qui suit :
- «Je n'aime pas qu'on manque à la France. C'est pourquoi notre riposte militaire fut rude et rapide. Simplement, cette affaire a révélé la veulerie du monde politique français, qui a cru devoir massivement faire chorus avec Bourguiba. Nous commençons à disposer d'engins nucléaires. Nous allons être capables de pulvériser Bizerte et Moscou à la fois».]
Malgré l'intransigeance du Général de Gaulle au cours de cette crise de Bizerte, le chef de l'Etat français aura compris qu'il était irréaliste de prétendre conserver dans la République Française, des populations ayant une culture différente, un niveau de vie différent, situées de surcroît de l'autre côté de la Méditerranée.
L'indépendance de l'Algérie reconnue en juillet 1962 faisant suite à celle de l'Afrique noire intervenue deux ans plutôt, l'évacuation de Bizerte réalisée, le 15 octobre 1963, devait être une suite logique des faits de l'histoire. La liberté et la dignité des peuples pouvaient, à partir de ce moment, être présentées comme l'une des bases de la politique française de la Ve République non seulement vis-à-vis du Maghreb mais à l'égard de l'ensemble des pays arabes. En effet, partant de ces nouvelles convictions tirées des vicissitudes de l'histoire, le Général de Gaulle n'hésitera plus à se prévaloir de ces principes pour renouer et promouvoir des rapports confiants avec l'ensemble du monde arabe.
Quelques remarques pour conclure…
Au cours de ces dernières années, la guerre de Bizerte n'a cessé de susciter un faux débat focalisant sur la responsabilité de Bourguiba dans le déclenchement de cette crise inutile de prestige personnel avec la France. Ce qui nous amène à nous poser la question suivante : Bourguiba a-t-il commis une erreur d'appréciation à la fois des rapports de force en présence et de l'opportunité d'engager la crise de Bizerte en juillet 1961? La réponse est non ! En dépit du lourd bilan en vies humaines, la récupération de Bizerte, bastion stratégique en Méditerranée, à l'instar de Suez en 1956, était à ce prix.. Les historiens ont l'habitude de répéter que tout acte ou évènement politique est le fruit du contexte historique dans lequel il est né, qu'il soit favorable ou défavorable. De ce point de vue, le début des années soixante correspondait bel et bien avec la vague irrésistible de la décolonisation de l'Afrique. Dans l'affaire de Bizerte, Bourguiba l'avait très bien compris et a agi en conséquence. L'histoire lui donnera raison…
Dans cet esprit, la commémoration de l'évacuation de Bizerte ne devrait pas être uniquement une cérémonie de recueillement mais une occasion pour expliquer aux nouvelles générations le sacrifice de centaines de jeunes Tunisiens morts à la fleur de l'âge pour l'indépendance de notre pays.
A l'heure où notre pays est gagné par le doute, après sept années de confusion politique, de surenchères idéologiques et démagogiques, où des voix discordantes en arrivent jusqu'à la remise en cause de notre indépendance nationale chèrement acquise, cet épisode de la crise internationale de Bizerte leur apporte un démenti cinglant témoignant de la ténacité et de la détermination de Bourguiba et du peuple tunisien tout entier à arracher à la France le dernier bastion hautement stratégique de la base aéronavale de Bizerte.
Notes de références
New York Times 20 juillet 1961. Voir Articles et Documents , Documentation Française numéro 1121 22 juillet 1961
Voir La crise internationale de Bizerte dans Articles et Documents, Documentation Française Numéro 1121, 22 juillet 1961, p 4
Télégramme du 20 Juillet 1961 Document S-4861 Documents officiels du Conseil de sécurité des Nations unies .
Hadhri Mohieddine , "La crise internationale de Bizerte en 1961" in Jean Paul Bled, De Gaulle et le monde arabe , Actes du Colloque d'Abou Dhabi , Nov 2008, édition Annahar Beyrouth 2010.
De Gaulle Charles, Discours et messages, Paris, Plon, 1970, pp 754-758 Voir aussi Andre Lewin, De Gaulle et l'Organisation des Nations unies in Lewin A. et al. La France et l'ONU depuis 1945, Paris, Arléa/Corlet/Le Seuil, 1995 Voir aussi Smouts M.-C., La France à l'ONU Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences Politiques, 1979
Alain Peyrfitte, C'était de Gaulle, Paris, Fayard, 1997,tome 2, p 115
Conférence de Bourguiba du 8 septembre 1961 dans Mohamed Sayyah, La République délivrée 1959-1964, Tunis Dar El Amal, 1986 ,pp 441-453
Sur le bilan des pertes humaines, les sources sont contradictoires mais concordent néanmoins quant à son caractère élevé du côte tunisien avec près de 900 morts et des milliers de blessés contre une trentaine du côté français .
Philippe Boisseau, Les loups sont entrés dans Bizerte Edition : France – Empire Paris 1998 Voir aussi Damien Cordier-Féron, « Bizerte 1961: 666 morts pour une base inutile », Guerre et histoire, n°6, avril 2012.
Voir Sébastien ABIS, L'affaire de Bizerte , op cit, pp 129
Alain Peyrfitte, C'etait de Gaulle , tome 2, p 115


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