Une bien belle rentrée culturelle 2018-19 pour le Cinéclub de Tunis que la Cinémathèque tunisienne accueille en lui offrant un nouvel espace de travail aux conditions de projection optimales, au sein de la Cité de la culture. Après une ouverture remarquée avec « Nahla », en hommage au regretté Farouk Baloufa et au cinéma algérien, qui a donné le ton de la nouvelle saison, voici que le documentaire « Sur le chemin de l'école » du Français Pascal Plisson, sorti en 2013, nous rappelle au bon moment la rentrée des classes en nous invitant à découvrir les difficultés que rencontrent des enfants en milieux défavorisés pour se rendre à l'école. Ce film tourné dans trois continents met l'accent sur l'amour d'enfants africains, argentins et indous pour l'instruction. Cette soif d'apprentissage et de savoir que le film s'obstine à rechercher aux quatre coins du monde insiste sur le caractère héroïque du simple fait d'aller à l'école. D'un contexte à l'autre, les similitudes sont tellement spectaculaires que l'on s'interroge. S'agit-il bien d'un documentaire ou sommes-nous à la limite de la fiction ou carrément en plein mensonge ? En vérité, la question qui s'impose est plutôt celle-ci, quelle éducation faudrait-il inculquer pour aider l'enfant, où qu'il soit, à grandir dignement sans pressions, sans punitions, sans réprimandes, ni contraintes ? Cette réflexion n'existe pas dans le film où l'apparente motivation quasi béate des enfants se traduit par une accumulation d'effets et un pathos un peu artificiels. Par contre, le film de Abbas Kiarostami « Où est la maison de mon ami ? », débattu dernièrement, ne tombe ni dans l'exagération, ni dans la séduction, ni dans le cliché. Il est tout simplement vrai. Là encore, nous sommes plongés dans la rudesse du monde rural, mais nous sommes aux antipodes du film de Pascal Plisson qui présente le cadre naturel par exemple de la savane comme un décor exotique. Pour Kiarostami, le décor est un univers organiquement lié au récit et à la psychologie des personnages. Imprégné de culture, l'environnement naturel, architectural et urbain participe à la connaissance du contexte social. En postulant que la peur des enfants est la conséquence de la sévérité des adultes, le réalisateur iranien avoue avoir fait « un film politique dans le sens où la politique touche l'ensemble de la vie en commun et détermine le quotidien de chaque individu». L'école est donc ici présentée comme le produit d'un système d'instrumentalisation où le lavage de cerveau s'avère être la finalité de l'éducation. Parce que la caméra de Abbas Kiarostami se met à hauteur de l'enfant et qu'elle montre le monde de son point de vue, la peur de la punition prend une dimension emblématique. Jamais montrée, elle est omniprésente, ce qui maintient la tension de bout en bout. La terreur que son idée suscite est une dénonciation évidente du pouvoir. L'obstination du jeune héros de huit ans à rendre à son camarade de classe, son cahier qu'il a emporté par mégarde, devient un parcours du combattant, une épopée, une véritable initiation. Par fidélité, par solidarité et mû par un sentiment de responsabilité, Ahmed court tout au long du film en dévalant collines et vallées, escaladant des marches abruptes, à la recherche de la maison de son ami. D'un paysage à l'autre, d'un hameau à l'autre, il nous entraîne dans un Iran profond et archaïque, filmé respectueusement avec distance, retenue et justesse. Film tendre et délicat, sur les valeurs du courage, de la volonté, de la loyauté, de l'entraide, il y a dans ce long métrage de fiction, la prévalence d'observations quasi documentaires qui donnent, par petites touches, tout leur sens aux détails. Les sons du vent, le miaulement des chats, le caquètement des poules ou l'essoufflement d'un vieillard qui indique le chemin à l'enfant, sont autant d'indications discrètes qui insufflent un supplément d'âme à ce film farouchement réaliste, rustique, sans détour, ni concession. En effet, avec une sensibilité qui dégage une poésie, Abbas Kiarostami fait preuve d'une grande sobriété. Si ce film qui fait partie de la liste des 50 titres à conseiller aux moins de 14 ans, établie en 2005 par British Film Institute, s'il est unanimement considéré comme un chef-d'œuvre, c'est bien parce qu'il s'écarte des sentiers battus de la représentation facile afin de chercher d'autres voies pour dire la complexité du réel.