Prescrits uniquement sur ordonnance médicale, certains psychotropes se retrouvent sur les circuits parallèles de distribution et finissent entre les mains de délinquants dangereux. Dans un article paru la semaine dernière sur ces mêmes colonnes, nous avons indiqué que le phénomène des braqueurs agissant sous l'emprise de la drogue s'est bel et bien installé dans nos murs, allant jusqu'à atteindre, ces jours-ci, une ampleur sans précédent. A l'appui, nous avons cité des exemples frappants qui en disent long sur la gravité des proportions prises par un phénomène dont personne, pour le moment, ne peut prévoir l'issue, en l'absence de solutions salutaires. De toutes les parties prenantes, seule la police s'en occupe jusqu'à présent, avec plus ou moins de bonheur. C'est-à-dire à coups d'arrestations et de coups de filets parfois spectaculaires. Mais est-ce suffisant? Bien sûr que non, surtout que, faut-il le rappeler, nos forces de sécurité intérieure, en dépit de leur professionnalisme et de leur désir de bien faire au péril de leur vie, ne sont pas encore suffisamment prêtes à relever le défi, en raison des insuffisances criardes dont elles souffrent sur le plan logistique et au niveau des effectifs. Que faire alors? Une seule solution : couper les vivres aux malfrats, en les privant de leurs sources d'approvisionnement en stupéfiants. Tâche loin d'être aisée, qui s'apparente même aux travaux d'Hercule. Il est vrai que les réseaux des trafiquants de drogue sont non seulement de plus en plus nombreux mais aussi bien outillés, solidement structurés et aux ramifications mystérieuses et difficilement identifiables. Outre leurs points d'appui dans certains départements de l'Etat, ces réseaux réussissent couramment à s'approvisionner aussi bien à l'étranger, par réseaux internationaux interposés, que dans nos murs où les filiales ne manquent pas. Tout cela n'est peut-être pas nouveau. Mais ce qui est vraiment inquiétant, c'est que les quantités des stupéfiants circulant sur le marché clandestin ne cessent de croître, de l'aveu même de sources policières au fait du dossier, qui indiquent que, selon les conclusions de certaines enquêtes, il s'est avéré que des malfrats arrêtés ont obtenu leur dose, qui dans les pharmacies, qui dans les hôpitaux, qui encore dans des cliniques. Pour y parvenir, tous les moyens sont bons : une intervention d'un complice faisant partie du personnel, un vol avec effraction et, parfois même, une attaque à l'arme blanche sur les lieux. En témoignent, au moins, les nombreux délits de cambriolage et de raids dont ont été victimes des officines et des établissements de santé, et au cours desquels les assaillants ont fait main basse «exclusivement» sur les médicaments dopants, et rien qu'eux ! Eurêka… Parmi les drogues et autres barbituriques, désespérément recherchés, parce que fortement prisés par les malfrats, la «zatla» tient le rôle de vedette. Coûtant trois fois rien (à partir de cinq dinars la dose), elle est abondamment commercialisée, donc facilement trouvable, principalement dans les quartiers populaires où les dealers et autres revendeurs en herbe courent encore les rues, malgré leurs antécédents judiciaires dans le domaine du trafic de stupéfiants. Faute de «zatla», on se rabat sur d'autres produits dopants, tels que les comprimés artal, sobitex, stilnox et surtout le tranxene. Et dire que ces médicaments assez sensibles ne sont vendus que sur ordonnance médicale et qu'ils ne sont prescrits que pour les cas de patients nécessairement soumis à un traitement bien déterminé, et selon des précautions rigoureuses et interdisant tout abus. En prenant sa dose, et souvent en la dépassant, le délinquant tombe automatiquement dans un état d'enivrement qui le transforme en un être inconscient de ses actes, irresponsable et dépourvu de tout sens de la mesure. Dès lors, il n'éprouve aucune peine à aller à l'aventure, et plus rien ne l'arrête. C'est pourquoi la majorité écrasante des braqueurs capturés par la police, sans doute par oubli, font des aveux contradictoires alors que des auteurs de meurtres ayant commis leurs crimes sous l'emprise d'une des drogues citées ci-haut, affirment, lors de l'opération de reconstitution des faits, qu'ils ne se souviennent plus des détails de leur sale besogne et que, finalement, ils ont agi par… légitime défense pour les uns et sans la moindre préméditation pour les autres. Eurêka! Couper les ponts des boss Pas plus tard que mercredi dernier, la fleur de nos douaniers a encore une fois fait mouche, lorsqu'ils ont réussi à découvrir, dissimulée à l'intérieur d'une voiture en provenance de Libye, une marchandise prohibée composée de pas moins de 2.500 comprimés dopants devant être écoulés dans nos murs. Mis en examen, le propriétaire du véhicule a martelé qu'il avait agi en solo, niant totalement son appartenance à un quelconque réseau de contrebandiers. A-t-il dit toute la vérité? Nous oserons répondre par «non», car adepte comme ses camarades de la fameuse loi de l'omerta qui se base, dans la pure tradition de la mafia, sur ce qu'on appelle dans ce milieu «l'art de dérouter les enquêteurs», l'objectif étant de brouiller la piste conduisant au sommet de la hiérarchie, le chef du gang surnommé «le boss» par le biais duquel tout se trame, tout se dessine, et aux lieutenants et revendeurs d'exécuter les ordres, avec, en sus, l'implacable avertissement : «gare à la désobéïssance, gare à la distraction». Tout cela pour dire que si deux malfrats sur trois perpétuent leurs délits sous l'effet de la drogue, c'est qu'ils bénéficient de sources de ravitaillement pour le moins qu'on puisse dire impérissables. Et c'est justement vers ces sources que la chasse aux contrebandiers devra impérieusement s'orienter. Tâche ardue, on en convient, mais, dans une première étape, il faut concentrer les efforts de veille sur les circuits de distribution, une sorte de labyrinthe où l'on se perd certes sans pour autant s'avouer vaincu. Et cela a été d'ailleurs prouvé, lorsque des inculpés ont avoué à la police que la «marchandise» provient non seulement des voies traditionnelles que sont les frontières terrestres, aériennes et maritimes, mais aussi de… la Pharmacie centrale, premier fournisseur de nos pharmacies. Ce département vital n'a-t-il pas été secoué récemment par des révélations accablantes faisant état de mauvaise gestion, d'abus financiers et de fuite de médicaments? Et c'est ainsi que le «butin» finit par atterrir dans les mains des malfrats, après avoir transité par les parties impliquées dans ce trafic. Se contenter d'arrêter un consommateur est donc une maigre consolation qui n'a absolument rien d'un exploit tant qu'on n'a pas pu remonter la piste du boss et le mettre hors d'état de nuire.