Rien d'ordinaire, ce matin du 17 janvier 2019. Pas d'embouteillages dans le Grand Tunis, trafic routier en veilleuse et peu de gens dispersés, ici et là, bougent sans précipitation. Ce fut une journée de grève générale décrétée par l'Ugtt, suite à l'échec des négociations-marathons engagées, depuis juillet dernier, avec son partenaire de tout temps, le gouvernement. L'événement occupait les Unes des journaux, l'info étant longtemps relayée en boucle par les médias étrangers et nationaux. Hier, l'artère principale de la capitale, mais aussi d'autres rues et ruelles étaient, dès 10h00 du matin, fermées à la circulation automobile. Les départements administratifs, la Poste, les recettes des finances, les banques publiques, les hôpitaux aussi étaient en grève. De même, le trafic maritime, des trains et des avions était pratiquement paralysé. Le mot d'ordre de l'Ugtt a été scrupuleusement suivi. Seulement, en pareilles circonstances, il y a lieu d'assurer aux citoyens un minimum de service garanti : services d'urgences dans les établissements hospitaliers, Sonede, Steg et autres. Cela leur favorise le droit d'accès aux prestations publiques vitales. Chacun se débrouille comme il peut Au premier rayon du soleil, tout s'annonce bouleversé. Stations du métro et des bus quasiment désertées, vidées de leurs usagers. En l'absence des moyens de transport public en commun, hommes et femmes étaient appelés à se débrouiller pour avoir une place dans les taxis jaunes, individuels ou collectifs. Pour eux, c'est l'unique voie pour gagner la capitale et ses périphéries. Seules opérationnelles, les entreprises privées et zones industrielles. Face à ce blocage, le ministère des Transports tient, lui, à recourir aux réquisitions, comme solution, pour parer à toute urgence. C'est que plus de 670 mille fonctionnaires et agents du secteur public ne travaillent pas, sauf qu'ils se rendent à leur lieu de travail pour tout juste marquer leur présence, dérogeant, cette fois-ci, à l'ordre professionnel habituel. A l'appel de leur organisation ouvrière, ils ont massivement répondu présent. En fait, ils se sont donné rendez-vous à l'historique place Mohamed-Ali, où se dresse le siège de l'Ugtt comme forteresse de militantisme syndical, depuis son père fondateur Farhat Hached et d'autres figures de proue tels Ahmed Tlili et Habib Achour. Grand rassemblement Entre-temps, syndicalistes et sympathisants ont tôt commencé à affluer, de tous bords, pour prendre part au rassemblement ouvrier auquel avait appelé l'Ugtt. Cela concerne, évidemment, les travailleurs du district du Grand Tunis. Leurs camarades, partout dans les régions, devaient, certainement, leur emboîter le pas. A l'unisson, des cris de soutien ont retenti et des slogans ont été scandés, mettant en avant les droits humains fondamentaux. Et des banderoles ont été placardées au vieux mur de la centrale syndicale, sur lesquelles sont affichés des messages clés : «La Tunisie n'est pas à vendre», «Pour la défense de notre décision souveraine», Avec l'Ugtt, jamais l'ouvrier ne sera humilié», et bien d'autres scandés à la gloire de l'Ugtt. Son secrétaire général, Noureddine Taboubi, a déclaré, dans un discours à l'adresse de ses adhérents, que personne ne peut défier l'Ugtt. Et celui qui ose le faire se retrouvera, dit-il, écarté, affirmant qu'il y a eu plutôt question d'ajustement du pouvoir d'achat et non de majorations salariales pures et simples. Plus tard, la foule a quitté la place Mohamed-Ali pour manifester sur l'avenue Bourguiba. Comme l'a, d'ailleurs, rassuré le secrétaire général adjoint, Sami Tahri, le scénario du 26 janvier 1978 est loin d'être reproduit. Quant à la grève du 17 janvier 2019, l'Ugtt prétend l'observer pacifiquement dans la sérénité. En tout cas, rappelle-t-il pour l'histoire, ça n'a rien à voir avec celle du «Jeudi noir», où les milices du parti au pouvoir avaient, à l'époque, mis le feu aux poudres. C'était une journée meurtrière qui a fait des centaines de morts et blessés. Tout compte fait, les craintes de Caïd Essebsi à ce propos n'ont aucune raison d'être.