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De l'opinion ou de la pensée unique
La Presse Lettres, Arts et Pensée : Désir de comprendre
Publié dans La Presse de Tunisie le 05 - 11 - 2010


Par Habib HAMDA JERBI*
" C'est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal." Hannah Arendt.
La vérité n'est pas une entité existante, elle a avec la pensée des rapports très particuliers qui sont les rapports des hommes avec le sens. Que la question de la vérité ne soit pas séparable du sens s'explique facilement : la vérité concerne en effet les rapports que les hommes entretiennent avec le monde, celui des choses naturelles comme celui des hommes, et qui ne sont pas de simples rapports physiques. Or le véritable ressort de la pensée est le constat que tous les êtres qui forment le monde réel, et dont se compose la vie, les objets, les faits humains et les êtres, sont sujets à un changement permanent. Ils subissent altération et corruption, leur existence n'est, de fait, que le spectacle d'un écoulement perpétuel que rien ne semble contredire. Le devenir semble, à juste titre, être la loi du monde réel, loi qui gouverne la manière d'exister de tous les êtres : ce constat, rien ni personne ne peut le démentir.
Or la question que se pose la pensée, et par laquelle elle se met en mouvement partant de ce constat, peut être formulée ainsi : est-ce que l'existence soumise à l'altération et à la corruption est la seule vérité de tout ce qui existe ? Est-ce cela, donc, " tout " ce que les êtres sont ? Tel ustensile qui s'use et qui casse, et qui finira par se désagréger, et cet autre homme qui grandit, qui vieillit et qui meurt, est-ce cela tout ce qu'ils sont ? Est-ce que leur seule existence n'est rien d'autre que leur apparaître provisoire, dans leur existence éphémère ? Toute pensée procède en fait d'un sentiment profond d'un malaise selon lequel le réel, tel qu'il apparaît, manque d'intelligibilité, et ce, du moment que toutes ses composantes ne font que " fuir " et disparaître. Pourtant, pour l'homme, ce réel doit avoir un sens.
La première manière de " saisir " le monde, et de le fixer d'une certaine manière, sera une forme des plus pauvres de la pensée, parce que la plus primaire, quoique la plus commune et la plus partagée : c'est l'opinion. Primaire, elle l'est en tant qu'elle est la pente naturelle de la pensée, celle qui épouse le cours des choses. Comme manière de penser, l'opinion se manifeste toujours sous la forme d'une affirmation ou d'une négation, et c'est en cela qu'elle devient une pensée achevée qui s'arrête sur un jugement, soutenue par la croyance (elle-même une opinion plus générale) stipulant qu'en s'arrêtant elle-même, elle arrête le temps. Elle consiste en un choix d'un " sens ", par un acte de prise de " position ", selon un certain point de vue, eu égard à ce qui est censé être la vérité des choses, position d'après laquelle on détient une vérité et on s'y tient.
Seulement, en adoptant un jugement positif ou négatif, la pensée s'arrête. L'opinion n'est pas ainsi seulement le choix d'une pensée unique (d'un certain sens), elle subsume en fait et surtout le principe du choix d'un sens unique en général, celui du devenir. Elle véhicule ainsi la vision d'un monde soumis au temps comme principe d'ordonnancement, et selon lequel seul le présent (et l'avenir tout tracé, parce que conçu sous le mode d'un présent projeté) compte.
L'opinion se croit pourtant être le choix du " bon sens ", celui de la direction du temps, toujours orienté vers un sens unique. L'homme de l'opinion se donne par la pensée qui s'arrête en opinion les seules valeurs qui lui permettent de vivre, tout en étant de son temps, pour être ainsi, par les temps qui courent, dans l'air du temps.
Vision tragique de la vie s'il en est pourtant : tragique parce que réduisant le sens, et toute la vérité, à l'existence d'un monde et d'une vie régis exclusivement par le temps qui passe, et dont la mort, la fin du temps, celui de la vie, échéance inéluctable pour tout être, devient le facteur déterminant de toute vie et son seul souci. L'homme de l'opinion sera l'homme d'un certain temps, ou plutôt l'homme du " temps en temps ", croyant à tous les dieux, sans feu ni lieu.
En s'arrêtant en une opinion, la pensée ne fait rien d'autre, pourtant, que se supprimer elle-même, elle choisit la sécurité du jugement final qui fait l'économie de la réflexion, surtout s'il est un jugement partagé par la plupart, pour être un " sens commun ".
Mais si tout le réel se réduisait à l'existence, et l'existence au devenir, toute connaissance serait alors décalée par rapport à une réalité dans laquelle rien n'existe véritablement, mais tout devient, et sera toujours autre que lui-même. Toute connaissance ne serait alors que relative, et rien, sinon la force brute, ne pourra alors contraindre qui que ce soit, ou l'obliger, à se soumettre à une vérité arbitraire, et qui de surcroît n'est pas la sienne propre : tout un chacun sera la mesure de toutes les valeurs et de toute vérité.
Ce qui est le plus détestable, mais le plus insoutenable surtout, dans l'hypothèse du devenir universel, c'est que la relativité ne sera pas le propre des seules réalités sensibles : les valeurs seront autant, sinon plus, soumises à la relativité des opinions. Le vrai, le juste, le bon, seront ainsi, selon tout individu, ce qui est profitable pour lui, ce qui correspond à ses intérêts. L'homme de l'opinion sera toujours quelqu'un de tyrannisé par son opinion propre à laquelle il est fidèle comme à son maître, et qui tyrannise les autres en son nom. Dans la sphère de la vie privée, il sera un tyran domestique, mais s'il lui arrive d'avoir quelque pouvoir dans l'Etat qui est le sien, ses méfaits seront à la mesure de sa puissance qui serait alors grande, et dans la démesure de son ignorance qui, étendue aux affaires de la cité, aura les conséquences les plus néfastes.
Cette manière de penser n'est pas la seule dont la Raison humaine possède la capacité, et elle n'a jamais été celle dont elle peut se satisfaire, quoiqu'on puisse toujours y trouver son compte. Il y a en effet une autre manière de penser que l'opinion, et qui est une façon de refuser l'apparaître comme seule vérité des choses, c'est la réflexion. Les Anciens Grecs, qui considéraient la réflexion comme ce qui donne un sens au monde des hommes, lui ont donné le nom de phrônèsis. Cela veut dire, littéralement, penser en prenant, et pour prendre, soin de soi. Elle est ainsi ce par quoi on accède au véritable sens des choses et de la vie. Les Grecs ont donné à la réflexion le statut supérieur d'un débat public sous la forme d'un discours publié, traitant de la nature et de la société, dans des formes d'expression aussi diverses que la science, la littérature, le théâtre ou la philosophie. C'est en cela que les Grecs avaient, avec leurs penseurs, selon le mot de Nietzsche, des sages qui sont des hommes d'Etat, alors que les autres peuples avaient des saints.
Pour fonder un savoir, c'est-à-dire une connaissance différente de l'opinion qui est l'expression des affections et des sentiments, l'intelligible devient une exigence de la pensée, et ce, pour faire valoir, dans le cadre de la vie en commun, une connaissance qui remplit les conditions d'universalité et d'intelligibilité pour tout homme de bonne volonté. La position de l'existence des valeurs comme des " en soi ", au-dessus de tous, mais à la portée de la réflexion néanmoins, répond donc à une exigence à la fois épistémologique (chose que le savoir scientifique semble satisfaire), mais aussi éthique (question loin d'être résolue au vu des conflits entre les peuples qui concernent, au jour d'aujourd'hui, et de plus en plus, la question des valeurs). La position de l'existence des intelligibles comme des " en soi " est en effet la condition de la possibilité pour une attribution juste et une prédication correcte, et donc d'un discours de vérité et non d'opinion, mais c'est tout autant la condition de l'entente avec autrui, et donc la condition de la paix. C'est pourquoi c'est nécessairement sur le plan politique que la Raison s'exprime toujours ; car, de fait, la Raison est politique dans son essence même : on ne peut jamais, en effet, avoir raison tout seul. Dans l'absence de la réflexion, l'universel se perd de vue pour toute la communauté, et la conséquence sera d'une gravité extrême. Ce sera là une perte suprême, la perte de ce qui représente, pour un temps au moins, la vérité universelle pour cette communauté : la loi comme forme concrète d'une valeur universelle, et qui sera alors torturée en tout sens, pour pouvoir s'adapter à toutes les circonstances. L'absence de pensée en tant qu'hégémonie de l'opinion ou de la pensée unique, se révèle ainsi dans ses effets les plus dramatiques : elle a le visage d'un relativisme généralisé des valeurs.
Penser sous forme de réflexion sera, pour la société, être capable de " se " réfléchir, c'est-à-dire de s'exprimer et de se manifester à travers les médias de la réflexion que sont les œuvres de pensée, littéraires et artistiques, comme moyens par lesquels elle se donne à voir à elle-même. La vie politique (la vie en commun) se fait ainsi l'objet d'un débat public, au grand jour de la place publique ou de l'espace commun, de la part de citoyens considérés comme égaux, et dont la " chose publique " (la res publica) est une affaire véritablement commune. L'expérience de la vie commune pourra alors devenir l'objet d'une réflexion positive, parce qu'elle se prête, dans l'Etat, à un débat public d'arguments, ce qui aboutit à la fin de la mystification du pouvoir (dans tous les sens du terme), c'est-à-dire à chercher à définir le politique en lui-même, à le traduire en formules à la portée de l'intelligence des gens de bonne volonté. Ainsi sera mise en évidence et définie l'activité d'une pensée proprement politique, extérieure à la mythologie et à la religion, avec ses principes, ses concepts et ses vérités. Le monde, celui des hommes, est soumis certes au temps, mais quand il devient objet de pensée réfléchie, s'ouvre alors pour lui la possibilité d'acquérir un sens, et de se faire autrement monde.
* Professeur de Philosophie, faculté des Lettres et des Sciences humaines de Kairouan


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