Les élèves dans la rue et les parents de plus en plus inquiets. Depuis que la commission administrative de la Fges a décidé, le 25 décembre 2018, de boycotter les examens du second trimestre et d'observer des mouvements régionaux et des rassemblements pour dénoncer le manque de sérieux du ministère dans le traitement des revendications des enseignants, tous les élèves et leurs parents ne cessent d'exprimer leur colère contre le gel des examens et de réclamer une solution urgente à la crise entre le syndicat et le ministère de l'Education. En outre, ceux qui prétendaient à l'accès aux lycées pilotes ou aux écoles préparatoires commencent à déchanter, puisqu'ils risquent de perdre une année dans leur cursus scolaire et qu'ils ne pourront pas être évalués pour passer au niveau supérieur. En fait, toute la population en a ras-le-bol du fait que le syndicat ne cesse de mettre la pression sur tout le monde et d'exiger la satisfaction de toutes ses revendications, à savoir les majorations salariales, auxquelles s'ajoutent les primes spécifiques ainsi que celle de la rentrée, outre le départ à la retraite à 55 ans. Et comme ces demandes sont impossibles à satisfaire dans leur totalité, vu la conjoncture économique difficile du pays, le syndicat a décidé de refaire le scénario du premier trimestre, ce qui risque de toucher même les examens nationaux. D'où la déception et la colère des élèves qui demandent à ne pas les immiscer dans la crise et leur éviter des perturbations dans les cours, voire une année blanche. Aussi, ont-ils décidé de descendre en masse dans la rue pour montrer qu'ils ne se laisseront pas faire et crier leur désarroi vis-à-vis de ce conflit qui n'en finit pas. Anissa, 17 ans, inscrite en 4e lettres au lycée d'El Ala, nous confie dans ce contexte : «Je ne comprends pas pourquoi le ministère de l'Education et la Fges s'accusent mutuellement de provoquer la crise sans montrer une volonté réelle à la résoudre. Et chaque fois que le ministère propose une idée, on lui répond par la négative. C'est pourquoi tous les élèves sont démotivés, puisqu'il n'y a plus d'enjeu. Le comble, c'est que certains proviseurs ne sont pas au niveau de leurs tâches et ont peur de se faire humilier par les syndicalistes sur place qui ont le pouvoir de les faire virer. Ainsi, ils ferment les yeux sur certains comportements irresponsables de leurs protégés syndicalistes. Par contre, ils ne sont pas compréhensifs envers les professeurs qui veulent assurer le bon déroulement des devoirs. Est-ce normal ? Ces oscillations, ces doutes d'une année blanche et ces conflits m'affolent. L'angoisse m'étouffe et j'ai le cœur à vif, comme beaucoup de mes camarades, dont certains commencent à avoir des troubles psychologiques…».Son amie Moufida, dont le regard apparaît comme embué de larmes la roues, renchérit : «Ces menaces de grève qui se renouvellent tous les ans, ces négociations interrompues, ces accusations et les menaces des uns et des autres, c'est pour moi criminel et je trouve absurde de les préférer au sérieux, à l'abnégation, au dialogue constructif, à la réussite scolaire et à la persévérance, suivre le diktat de leur syndicat sans penser à notre équilibre moral et à noter avenir, une grande panique me saisit, car mes études demeurent le centre de mes préoccupations, étant donné que je vis dans un milieu rural dominé par la pauvreté et la marginalisation. Seules l'éducation et les connaissances peuvent me faire connaître des lendemains meilleurs…». Wassila, 16 ans, inscrite en 3e année mathématiques au lycée de Haffouz, est également désemparée face à ces discours de syndicalistes et qui sont arrogants et hautains : «Ce jusqu'au boutisme exaspère toutes les familles… Reléguée à une place secondaire, je me sens presque marginalisée à cause de l'inertie des décideurs politiques qui ne font rien pour stopper l'escalade. J'en suis déchirée et furieuse, surtout que je m'intéresse moins à mon destin d'adulte qu'à mon avenir immédiat. En fait, dès que je me sens utile au sein de la société et de mon entourage, l'horizon s'éclaircit et à nouveau je me fais des promesses. Mais quand je me jette dans le désespoir comme ces jours-ci, c'est avec toute la violence de ma jeunesse, de ma santé et la douleur morale peut me ravager avec autant de sauvagerie qu'une souffrance physique». Les parents portent plainte Notons dans ce contexte qu'un grand nombre d'enseignants du secondaire du gouvernorat de Kairouan se sont rassemblés le 23 janvier devant le commissariat régional à l'Education, à l'appel de leur fédération générale pour une journée de colère, en signe de protestation contre la nonchalance du ministère de l'Education à l'égard de leurs revendications. Faouzi, professeur d'informatique, et Maher, professeur d'anglais, imputent à l'autorité de tutelle la responsabilité de la perturbation du processus d'apprentissage en fermant la voie aux négociations avec la Fges : «Nous ne sommes pas satisfaits de cette situation de laisser-aller, ni des manifestations d'élèves dans les rues, mais nous comprenons leur colère. Tout le corps éducatif attend une réaction positive du ministre qui serait ouvert au dialogue, tolérant et compréhensif...». Par ailleurs, beaucoup de parents ont déposé des plaintes auprès du procureur de la République en signe de protestation contre l'attitude irresponsable de la Fges qui a pris en otage l'avenir de leurs enfants. Khadija, cadre dans une banque, âgée de 48 ans et mère de trois adolescents, exprime sa révolte de constater que la plupart des syndicalistes sont radicaux dans leurs prises de position : «Au lieu de trouver un consensus avec le ministère et de dénoncer les pratiques de certains enseignants qui s'absentent fréquemment, qui ne maîtrisent pas la classe et qui continuent de donner des cours privés, tout en boycottant les examens, la Fges n'en fait qu'à sa tête en voulant imposer toutes ses tergiversations et en ne respectant même pas les directives de M. Tabboubi, S.G.de l'Ugtt ! C'est du n'importe quoi ! Personnellement, quand je vois nos enfants errer devant leurs établissements éducatifs, ne sachant que faire, un grand cataclysme m'emporte, j'ai peur pour leur avenir et je me sens seule et incomprise. Si je pouvais fuir quelque part, mais où ? N'importe où…!». Le fléau de l'abandon scolaire Il va sans dire que cette année scolaire comme ses précédentes s'avère difficile à cause de la montée des protestations tous azimuts dans le secteur de l'éducation et tous les parents se demandent ce qui va arriver à leurs enfants qui doivent toujours subir les coups de tête de certains adultes. En outre, les élèves, lésés, ont vu leur capacité de concentration diminuer. De ce fait, même ceux qui vont avoir leur bac vont aborder leur cursus universitaire avec un bagage trop indigent, ce qui conduira à leur échec. Par ailleurs, il y a trop de différends, de politique politicienne et les vrais perdants, ce sont les laissés-pour-compte et les couches défavorisées touchées par l'abandon scolaire et l'analphabétisme. En effet, dans les zones rurales et montagneuses, telles que Oueslatia, El Ala ou Chrarda, l'absence de moyens de transport scolaire, la menace de rencontrer des animaux sauvages, l'absence répétée des enseignants, la dispersion des habitations, l'éloignement de l'école ou du collège, l'analphabétisme des parents aux mentalités rétrogrades, l'échec du système scolaire, la difficulté de passage d'un cycle à un autre, l'infrastructure défaillante, les grèves à répétition et l'hostilité dans le milieu scolaire sont parmi les facteurs ayant amplifié le fléau de l'analphabétisme dont le taux est de 35% (le plus élevé à l'échelle nationale). Et les délégations les plus touchées sont Bouhajla avec un taux de 46,3% et El Ala (43,3%). Notons dans ce contexte que lors d'une conférence nationale organisée, le 7 janvier courant, par le ministère des Affaires sociales, le directeur général de la promotion sociale a annoncé qu'un centre de compétences sera créé à Kairouan. En outre, des centres multidisciplinaires seront créés dans les différentes zones municipales du gouvernorat de Kairouan dans le cadre d'un partenariat entre le ministère et les collectivités locales afin d'inciter les inscrits au programme national d'enseignement pour adultes à créer des microprojets.