L'atelier de sensibilisation des acteurs nationaux à la Stratégie de spécialisation intelligente, tenu jeudi dernier à Tunis, grâce à la collaboration entre Initiative régionale d'appui au développement économique durable (Irada), l'Agence nationale de promotion de la recherche scientifique (Anpr), le ministère de la Formation professionnelle et de l'Emploi et le ministère du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, a été l'occasion pour les représentants des parties concernées d'enrichir leurs connaissances quant à cette nouvelle vision du développement. Lors de la première session, le Pr Dominique Foray, fondateur du concept et directeur du Collège du management de la technologie à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, a présenté le cadre général de la démarche S3 : spécialisation intelligente. Il s'agit, à son sens, d'une obligation, non seulement pour la Tunisie, mais aussi pour maints pays dotés d'un potentiel à renforcer et de capacités à déployer pour une meilleure exploitation des ressources régionales, matérielles soient-elles et humaines. Ayant signifié à la Commission européenne son intérêt quant à l'adoption de ladite démarche, il y a près de deux ans, la Tunisie est le premier pays arabe et africain à s'apprêter à changer sa vision politico-économique. Aussi, trois régions pilotes ont-elles été choisies pour démarrer l'expérience, notamment une région du Nord qu'est Bizerte, une région côtière de l'intérieur et un pôle industriel par excellence, à savoir Sfax, et une région du Sud qu'est Médenine. Cette démarche, rappelons-le, consiste à cerner les priorités développementales d'une région donnée, à définir le ou les secteurs à transformer via le couple recherche-innovation. L'idée n'étant point, pour le Pr Foray, d'opter pour des méga-projets mais pour des moyens projets, applicables et à même de résoudre moult problèmes relatifs à un secteur, voire à une région. Depuis la phase de l'identification des priorités jusqu'à la planification des actions, tout un processus doit être tracé selon des trajectoires adaptées aussi bien aux spécificités régionales que celles sectorielles du domaine en question. «L'oléiculture, par exemple, constitue une priorité aussi bien pour Sfax que pour Médenine. Sauf que le processus n'est pas le même mais les objectifs, eux, sont tout aussi ambitieux», indique-t-il. Selon l'orateur, la spécialisation intelligente est un domaine complexe, ce qui ne l'empêche point d'être à la portée de tous. Il suffit, à vrai dire, de s'appliquer à la démarche conceptuelle, laquelle compte quatre phases majeures: définir les secteurs prioritaires en termes de transformation «car, précise-t-il, la priorité n'est pas le secteur en lui-même mais sa transformation intelligente» ; traduire les idées de transformation en projets applicables et innovants, trouver des fonds de financement et des moyens à même de permettre aux acteurs d'agir efficacement selon les axes fixés. Un suivi en temps réel s'avère être nécessaire pour s'assurer du bon déroulement desdits projets. Priorités circonscrites : projets flexibles S'agissant de la première phase, elle représente, en effet, la grande ligne d'une nouvelle politique économique. Prenant à titre indicatif le cas de la soierie de Lyon, il a expliqué que ce domaine, strictement réservé jadis aux tissages haut de gamme, s'était converti en une panoplie de projets, et ce, grâce à sa capacité de transformation ; des projets, qui, outre la soie, sont fondés sur la production de tissus fabriqués via des techniques nouvelles. La Suède, autre exemple à retenir, a elle aussi opté pour la transformation intelligente en misant sur la bio-économie forestière. Quant à la Hollande, c'est dans la dynamisation des PME que les efforts sont fournis, désormais. «Il faut souligner, poursuit l'orateur, que les priorités et les projets qui en découleront ne doivent aucunement être vagues. La priorité définie doit être circonscrite afin que la flexibilité des projets et des actions soit possible». Et d'ajouter que des projets de petite ou de moyenne envergure sont susceptibles de résoudre de grands problèmes sectoriels. L'essentiel, c'est de réussir le processus et d'engager tous les acteurs concernés en tablant sur un ensemble d'actions permettant de transformer le secteur, dont les nouvelles technologies, la recherche, l'innovation et la formation. La Tunisie met le pied à l'étrier Durant la deuxième session de la rencontre, le Pr Foray est revenu sur l'expérience naissante de la Tunisie en matière de spécialisation intelligente. Une expérience dont la genèse remonte à près de deux ans. En octobre dernier, des ateliers régionaux ont été organisés dans les trois régions précitées. Des experts régionaux se sont investis pour identifier les priorités, fixer ensemble des projets et réfléchir sur les moyens à même de les réussir. «Il faut passer à une échelle plus large, rechercher des fonds de financement autres que l'UE, notamment les banques de développement, et envisager un nouveau plan, lequel ferait d'une région connue pour sa diversité économique une région idéale pour la stratégie de spécialisation intelligente», a-t-il souligné à La Presse. Et d'ajouter que beaucoup de projets ont été validés, ce qui confirme la bonne identification des priorités. Cette approche a permis, via les ateliers régionaux, de rassembler des experts représentant plusieurs domaines complémentaires. Quatre priorités ont été cernées, à savoir la transformation du secteur de la santé via les technologies de la santé, la transformation de l'oléiculture à Sfax ; la transformation de la filière de l'oléiculture à Médenine, et la modernisation du domaine laitier et de la culture des artichauts à Bizerte. Ces domaines constituent les points de départ vers une transformation à la fois savante et futuriste. Une fois les projets fixés, des actions doivent être définies pour impliquer tous les acteurs concernés, notamment les responsables, les experts, les chercheurs, etc. Un plan d'action doit être, enfin, fignolé et suivi en temps réel. A Bizerte, il a été opté pour l'approche à contraintes, c'est-à-dire à une approche à même de revenir sur les contraintes entravant l'essor, voire la transformation intelligente d'un secteur donné. Des projets ont été établis dans ce sens, l'objectif étant de se soumettre à la triple équation, à savoir capacités-opportunités-relations. «J'entends par relations la synergie, la densité et la complémentarité dans la chaîne des valeurs des projets établis», a-t-il précisé. Il a même anticipé sur une éventuelle coopération internationale entre deux régions spécialisées dans la transformation intelligente d'une même filière. La quatrième et dernière phase de cette démarche consiste en la mise en place d'un plan d'action, lequel sera suivi en temps réel. Le Pr Foray n'a pas manqué, lors de ses deux interventions, de rappeler une évidence : celle de la réussite mais aussi celle de l'échec ! Ce dernier pourrait résulter d'une mauvaise détermination des priorités, d'un manque de moyens, d'où l'impératif de fonder le choix sur des données économiques actualisées. La coordination devrait être, à son sens, nationale ou régionale mais nécessairement centralisée.