Tahar Bekri déclame une poésie qui ressemble comme deux grains de sable à de l'activisme écologique et si une première lecture révèle immédiatement l'éloge de l'immensité, une deuxième au second degré nous entraîne vers la perception d'une saisissante apologie de la planète. Un recueil déstructuré en triptyque aux morceaux épars au fil des poèmes : l'adversité des siècles et leurs lacérations, les périls qui guettent la population traditionnelle du désert et les nouveaux vautours analphabètes épris du néant. Il est vivant, il écoute, on l'entend respirer, impossible de rater ses soupirs, regardez-le attentivement, il a les cheveux prématu rément blanchis, à force d'en avoir vu de toutes les couleurs… Voici le désert antithèse du désert synonyme de néant que sillonne Tahar Bekri avec une suite de 41 poèmes organiquement dépendants les uns des autres, contés comme une saga. Le poète insiste très lourdement sur sa vieillesse, osant un parallèle de grand-père avec Gandhi, certainement pour nous souffler qu'il se suffit de peu et qu'il est non-violent mais aussi pour nous faire comprendre que ses souvenirs remontent très loin dans le passe et, de toute évidence, encore plus loin vers l'avenir. Il survivra à tout, semble-t-il vouloir nous chuchoter. L'adversité des siècles Quand on lit directement les vers, on saisit immédiatement l'éloge de l'immensité professée par le poète, mais quand on cherche à lire entre les lignes, on ne peut alors manquer d'identifier une étonnante apologie de la planète… qui en a bien besoin car, malgré la multiplication des défenseurs, leurs plans ne cessent de se heurter, encore et encore, au mur érigé par les plus forts : le mur des intérêts immédiats des Etats et de leur logique d'hégémonie et de profit pure et simple. La poésie de Tahar Bekri ressemble comme deux grains de sable à de l'activisme écologique qui dresse un triple tableau, un triptyque allions-nous dire, de ce qu'il est advenu du désert tel que défini par l'identité profonde de son être. Un premier tableau qui décrit l'adversité qui fait rage contre le désert depuis des siècles avec des armes qui transitent sous diverses bannières, l'insolence des chenilles des chars, les épouvantails cauchemardesques, les débris omniprésents, les milliers d'obus, les étendards des prétendants, les razzias incessantes, les guerriers aux sabres inutiles, les mandibules des acridiens, les miradors des sentinelles, les sabots de fer, la soldatesque assoiffée de sang, les scorpions… Périls de la population du désert Un second tableau revient également par bribes dans les poèmes de Tahar Bekri, mais celui-ci ne vous emplit pas de dégoût comme le premier car nous sommes ici en présence de la plus poignante des nostalgies : le désert nimbé du romantisme des hommes et des éléments. En vérité, une description de la population qui lui appartient de droit ; les chameaux chancelants sous les palanquins, la rosée éplorée, les palmeraies orphelines, les vallées du cœur, les vents pleureurs, les rires, les fêtes, les bracelets, les mélodies, les tempêtes, l'aurore, la pluie qui adoucit les arbustes, le vent caressant les épis, la nuit à la belle étoile, le ciel sans nuages, les cascades roucoulantes, les ruisseaux offerts, les parcelles de l'ombre, les rouges-gorges impatients, les couleurs, les matins, les jardins, les odeurs, les feuillages, les grappes vertes… Une population qui souffre le martyre, qui n'a plus sa place, dont la plupart a définitivement déserté les lieux… Des analphabètes qui brûlent les manuscrits Ceux qui les remplacent occupent le troisième volet du triptyque où le poète décrit une population de vautours en dehors du temps. Des épouvantails barbus qui se saisissent des esprits faibles à grands coups de sermons et de vindictes, avec des promesses de dupes d'un au-delà flamboyant. Le poète ne lésine pas sur les épithètes en décrivant des chacals qui ne prennent pas la peine de cacher des crocs qui ne promettent que les agonies les plus sordides. Des reptiles qui rampent pour creuser des galeries destinées à faire éclore les hybrides génétiques dont l'ADN ignore le sens de la vie et ne s'attache qu'au négoce de la mort. Des corps factices momifiés et séniles qui n'ont que faire de la vérité. Des manieurs de fouets qui lacèrent le corps des érudits, faisant couler leur sang, broyant leurs os. Des gardes inflexibles doublés de négriers qui asservissent tout sur leur passage. Des analphabètes de l'imposture qui brûlent les manuscrits et des oracles auto-proclamés qui n'écoutent que leur propre voix. Et tous ne caressent qu'une seule ambition coupable. Celle de mettre le feu aux poudres et de ne laisser personne en dehors du brasier. Le drame se poursuit dans leur sillage quand le désert devient une porte ouverte à toutes sortes de brigands qui se trouvent des affinités avec l'incertitude de l'histoire. Un avant-goût de lecture ? Voici le 28e poème; celui que nous avons trouvé le plus beau et le plus nostalgique : ‘'Palmeraie nourricière Des pauvres Accueillant l'oued généreux et avare Les sources amoureuses de chants Les bêtes pour la compagnie fidèle Un dos soutient les jarres L'autre emporte le flot Tant de sobriété Suffisait à la patience De devancer les sabots La nudité n'est pas une tare Mais couvrait le corps si beau.'' Oui, ‘'La nudité n'est pas une tare'', cela n'a jamais été aussi vrai qu'en décrivant l'essence du désert, antithèse du néant. L'ouvrage ‘'Désert au crépuscule'',52p., mouture française Par Tahar Bekri Editions Alanwar, 2018