Le peuple algérien semble avoir dit son mot et de belle manière. Maintenant, sachant que le président Bouteflika est contesté et que le peuple refuse qu'il prolonge son mandat, quelle est l'alternative? Avant tout, je relève deux choses, la première est la solidarité des Tunisiens avec le peuple algérien, et des événements pareils sont de nature à souder les relations entre les deux peuples. La deuxième, c'est qu'il faut relever la manière inattendue dont le peuple algérien a mené ces manifestations. Civisme, organisation, propreté, sourire. La femme algérienne a participé avec le hayek qui était le symbole de la résistance pendant la révolution algérienne. Jamais une manifestation n'a été aussi large après la révolution algérienne. Ce qui a également marqué, c'est cette rencontre entre les anciens militants et la jeunesse. Cela veut dire qu'il y a une unanimité à laquelle ne s'attendaient pas les autorités qui pensaient que le cinquième mandat, comme celui qui l'a précédé, allait passer comme une lettre à la poste. Personnellement, j'étais le directeur de la campagne électorale de Bouteflika en 1999 (la première campagne), et à partir du troisième mandat, j'ai publiquement désapprouvé les candidatures de Bouteflika. Maintenant, la question qui se pose est de savoir si c'est lui le véritable décideur et l'auteur de la première et la deuxième lettres, ou bien est-ce qu'il y a un noyau qui s'inspire de lui ? Je dois avouer que la première comme la deuxième lettres semblent avoir été écrites de manière raffinée. Il fallait néanmoins avec la première lettre rassurer l'opinion publique, en faisant lire la lettre ou une partie de la lettre par le président Bouteflika, il en a été incapable. Et s'il en est incapable, c'est qu'il serait incapable de mener une quelconque réforme. Bouteflika ne s'est pas adressé à la nation depuis 2013, il ne peut donc pas être l'auteur de ces lettres Il n'est l'auteur ni de la première, ni de la deuxième lettres, ni même capable de guider un changement, je vous l'accorde. Sur la pression extraordinaire et inattendue du peuple algérien, les autorités ont été acculées à trouver une échappatoire. Et là les cas de figure ne manquent pas. Soit le Conseil constitutionnel, dont le président est un proche de Bouteflika, aura le courage d'appliquer l'article 102 de la Constitution et annonce la vacation du pouvoir et dans ce cas-là le président du parlement assume la charge de chef de l'Etat pour une durée de quatre-vingt-dix jours au maximum, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées. D'une manière ou d'une autre, la question constitutionnelle va se poser. Bouteflika est constitutionnellement président jusqu'au 29 avril. Qui gouvernera après cette date? Est-ce le président de la conférence nationale, Lakhdhar Ibrahimi? La réponse à cette question nous la saurons lorsqu'un nouveau gouvernement sera désigné. A partir de la composition du gouvernement, on comprendra où l'on va. Est-ce Lakhdhar Ibrahimi qui chargera le gouvernement de gérer les affaires courantes ou bien est-ce que ce sera la conférence nationale, de manière collégiale, qui gérera les affaires courantes pendant la vacation du pouvoir? Par ailleurs, la conférence nationale se doit de faire preuve d'une clarté irréprochable: au bout de combien de temps rendra-t-elle ses conclusions ? Quand les élections seront-elles organisées, c'est la raison pour laquelle certains refusent la position du gouvernement. Certains pensent que c'est une roublardise de la part de l'entourage du président pour consolider leurs positions. Certains disent que finalement le cri du peuple a été pris en considération, qu'il a fait tomber le chef du gouvernement. Moi je crois qu'en politique on ne peut tout avoir. Si le pouvoir n'avait rien lâché, la confrontation aurait été désastreuse, d'autant plus que les ennemis de l'Algérie l'attendent au tournant. Je crois que la sagesse se trouve au milieu. Comme dit Bourguiba: «On prend et on demande". A condition que tout le monde se mette autour d'une table, y compris l'opposition, des jeunes, ainsi que deux ou trois membres de l'équipe sortante qui jouissent de la confiance du peuple. Donc un gouvernement d'union nationale ? Oui mais réduit, pour qu'il soit composé de certains visages du régime sortant et d'autres de l'opposition. Il faut surtout qu'il y ait un calendrier clair. Quel sera le rôle de cette conférence nationale ? Sera-t-elle habilitée à désigner et à destituer? Je propose également qu'il y ait dans le cadre de la révision de la Constitution un organe indépendant chargé de surveiller et d'organiser les élections, pour éviter toute influence directe ou indirecte. C'est seulement à ce moment-là que nous entamerons la création de la deuxième République algérienne, à laquelle rêve le peuple algérien, qui a été très patient. Lakhdhar Ibrahimi, qui sera probablement le président de la conférence nationale, devra clarifier tout cela. Et l'organisation des élections ne devra en aucun cas dépasser une année. Lakhdhar Ibrahimi est un modéré, il est respecté, il est intègre. Il n'a jamais été en confrontation avec le pouvoir, donc pour Bouteflika et sa famille, c'est une garantie. Il va essayer de convaincre tout le monde de faire table rase du passé. Il semblerait cependant que le très controversé Bernard-Henry Lévy aurait soutenu la nomination de Lakhdhar Ibrahimi à ce poste. Je ne sais dans quelle mesure cela est vrai, mais ce serait le plus mauvais service qu'il rende à Ibrahimi. Vous avez évoqué la naissance d'une deuxième République, peut-on parler d'une deuxième République sans Constituante ? Nous n'avons pas besoin de tout chambouler. Il y a quelques points à changer dans la Constitution. Il faudra, dans ce cas, passer par un référendum. Il faut changer deux points à la Constitution. Il faudrait qu'il y ait uniquement deux mandats pour le président et instaurer un organe pour organiser les élections. Dans ce mouvement populaire, il n'y a pas de leaders, la population a rejeté même les partis d'opposition. Mustapha Bouchachi a été proposé par le mouvement, mais il a refusé. Il ne faudrait pas que le mouvement des jeunes soit confisqué. Il n'y a plus de possibilité de retour en arrière. Ni la police ni l'armée ne tireront sur le peuple algérien, soyez en sûr. La clique au pouvoir cherche une porte de sortie. Elle est aux abois. Il y a une unanimité nationale pour rompre avec le système actuel. C'est une véritable révolution douce. Concernant le président Bouteflika, je me remémore ce qu'écrivait Corneille dans le Cid: «Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie». Dans sa jeunesse, son agilité d'esprit et son dynamisme l'ont propulsé au rang des plus grands diplomates et politiques. Dans sa vieillesse, par la maladie et la duplicité de son entourage, il est devenu la risée du monde.